C’est l’histoire d’un jeune garçon de 16 ans, porteur d’une trisomie 21, qui se retrouve un jour fiévreux et ayant des difficultés à respirer. Inquiète, sa mère l’emmène aux urgences et, après quelques examens, un traitement par antibiothérapie est décidé par l’équipe médicale. Malgré ce traitement, l’état de santé de Mehdi continue de se dégrader pendant 15 jours. Une lourde opération dite de « rattrapage[1] » est réalisée et finalement, Mehdi El Bekri décède le 30 janvier 2016 à l’hôpital.
Aujourd’hui sa sœur Jamila l’affirme : l’équipe médicale a refusé le traitement protocolaire efficace à son petit frère en raison de son handicap et l’a débranché après une lourde opération qui aurai pu être évitée si la prise en charge avait été correctement faite. Souffrant d’une « pleurésie purulente » clairement identifiable sur l’échographie pleurale réalisée dès son arrivée aux urgences le 14 janvier 2016, il fallait absolument faire sortir ce pus de la cage thoracique de Mehdi, sans quoi un traitement par antibiotiques uniquement se révèle dans tous les cas inefficace. Selon les pièces du dossier, l’équipe médical de l’hôpital n’a pas souhaité pratiquer cette opération protocolaire pourtant indispensable, par peur que Mehdi, en raison de son handicap, n’arrache ses drains.
Malgré sa détermination pour prouver la mauvaise prise en charge médicale ayant mené à la mort de son petit frère, Jamila El Bekri se heurte à la puissance institutionnelle de l’hôpital et à l’indifférence de la justice. En effet, deux jours avant sa mort, l’hôpital a fait un signalement à la justice contre la mère de Mehdi El Bekri. Le parquet de Nancy, a immédiatement retiré l’autorité parentale en matière de soin à la mère de Mehdi. Or, ce dernier, mineur, est mort deux jours après à l’hôpital. Dans de telles circonstances, l’État aurait dû diligenter immédiatement une enquête pour établir si la responsabilité pénale de quelqu’un dans la mort de Mehdi devait être retenue et répondre à plusieurs questions fondamentales : Que reprochait l’hôpital à la mère de Mehdi pour faire un signalement ? Pourquoi toute sa famille a été interdite de visite ? Pourquoi le traitement et l’opération n’ont-ils pas été efficaces ? Pourquoi le protocole de soin standard n’a-t-il pas été donné à Mehdi ? Pourquoi l’original du dossier médical n’a-t-il pas été saisi ? Enfin et surtout : Mehdi est-il réellement mort suite à l’échec de l'opération ou a-t-il été « débranché » sans même l'avis de sa famille, comme des pièces du dossier le laissent supposer[2] ?
Aucune enquête n’a été diligentée pour répondre à ces questions fondamentales, hormis une expertise demandée par la famille. Cette dernière a eu toutes les peines du monde à obtenir l’intégralité du dossier médical du jeune homme, et les paroles du médecin et de l’expert semblent incontestables devant les juridictions. Finalement « ces choses là arrivent » disent-ils en substance, donc il n’y a pas lieu d’enquêter pour éventuellement retenir la responsabilité de l’hôpital.
Il est grave et préoccupant qu’une enquête sérieuse n’ait pas eu lieu dans de telles circonstances.
Au-delà du cas particulier et tragique de Mehdi El Bekri, cette affaire met en lumière deux grandes problématiques médicales dans notre pays aujourd’hui : l’eugénisme et l’euthanasie.
D’abord la grande ambivalence des médecins vis-à-vis du handicap. Avant la naissance, les enfants porteurs d’une trisomie 21 sont clairement considérés comme n’ayant pas intérêt à vivre ; et le personnel médical pousse dans son immense majorité les femmes à avorter l’enfant qu’elles portent. Selon la Fondation Lejeune, environ 96 % des enfants trisomiques sont avortés pendant la grossesse. C’est quasi-automatique et le délai pour pratiquer un tel avortement est spécialement long : jusqu’à la veille de la naissance. Avec une politique d’élimination des bébés trisomiques aussi assumée, peut-on croire qu’une fois nés, ces enfants ne feront pas encore l’objet de discriminations à raison de leur handicap ?
En l’espèce, un enregistrement audio et une pièce du dossier qui nous ont été fournis nous permettent d’affirmer que c’est bien en raison du handicap que l’équipe médicale n’a pas voulu poser de drains à Mehdi. À supposer que cela soit médicalement justifié, n’y avait-il pas d’autres solutions techniques pour le soigner correctement ?
En raison de sa structure institutionnelle, l’hôpital jouira toujours d’un avantage substantiel vis-à-vis des familles en cas de litige juridique. L’hôpital est constitué de professionnels de santé : ce sont les experts, tandis que les familles n’ont pas en principe de connaissances en médecine. Les médecins et l’administration peuvent facilement se soutenir ; ce sont eux qui possèdent les dossiers médicaux, etc. Cette affaire et une multitude d’autres le montrent : obtenir gain de cause en justice pour erreur médicale est extrêmement difficile et parfois impossible pour les familles de victimes. Or, dans le cadre du débat sur l’euthanasie et le suicide assisté, cette donnée doit interpeler les Français. Des abus ont déjà lieu dans les pays ou ces pratiques sont légales et tout indique que si l’on donne aux médecins un droit de tuer un patient, des abus et des pressions en tout genre auront inévitablement lieu[3].
Il est proche le jour où, comme Tom Mortier, nous pourrions recevoir une lettre de l’hôpital nous apprenant que notre mère a demandé l’euthanasie et qu’il nous faut venir récupérer ses affaires. On demandera alors à une commission de vérifier que la procédure a été respectée et on se rendra compte que le médecin ayant euthanasié notre mère siège également dans la commission de contrôle…
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[1] Arnaud Scherpereel, « Pleurésie purulente : le chirurgien compte définitivement pour du beurre (ou presque !) », Société de pneumologie de langue française, 15 décembre 2014, accessible ici.
[2] Voir notamment le document de « gazométrie sanguine » dans la vidéo à 11 minutes et 45 secondes ainsi que la pièce D125 du dossier pénal qui indique encore que la veille de son décès, le 29 janvier 2016, Mehdi a les « pupilles symétriques et réactives, soin des yeux ++, langue abimée. Réagit aux soins : tousse à l'aspiration, sursaute, cligne des yeux. »
[3] Voir également l’application délicate des directives anticipées et l’opposition entre la famille et le corps médical : Daniel Vigneau, « Confirmation par le Conseil d’État du pouvoir du médecin d’écarter des directives anticipées inappropriées ou non conformes », Dalloz, 4 janvier 2023, accessible en partie ici.