Euthanasie : le contre-exemple belge
Cinq ans seulement après la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, le débat sur la fin de vie est relancé en France avec une offensive pro-euthanasie consistant en quatre propositions de loi.
Au Sénat, celle « visant à établir le droit à mourir dans la dignité » (n° 131) portée par la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie (PS) a été rejetée le 11 mars 2021. Il s’agissait d’un texte reprenant pour l’essentiel une proposition de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins palliatifs rédigée par l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD) en 2018.
À l’Assemblée nationale, l’actuelle offensive pro-euthanasie a pris corps par les propositions de loi n° 3806 « visant à garantir et renforcer les droits des personnes en fin de vie » portée par Jean-Louis Touraine (LREM), n° 3755 « visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France » portée par Marine Brenier (LR) et n° 288 « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie » portée par Olivier Falorni (groupe Libertés et Territoires). Cette dernière sera débattue le 8 avril prochain. Le gouvernement ne semble toutefois pas favorable à une légalisation de l’euthanasie dans l’immédiat : au Sénat, le 11 mars dernier, le ministre de la Santé Olivier Véran a déclaré qu’il « ne [croit] pas que le moment choisi pour modifier le régime juridique de la fin de vie soit le moment opportun ». Il a annoncé également la création, à compter du mois d’avril 2021, d’un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie.
« On meurt mal en France ». Tel est le leitmotiv des partisans de la légalisation de l’euthanasie, que les députés Touraine et Brenier reprennent à leur compte dans l’exposé des motifs de leurs propositions de loi. On peut ainsi y lire que la loi Claeys‑Leonetti constitue un « cadre juridique trop restrictif » (proposition Brenier) et « présente (…) quelques lacunes, responsables de souffrances et d’affaires médiatiques régulières » (proposition Touraine). L’objectif est donc de faire évoluer le droit français de la fin de vie par une nouvelle étape comprenant l’euthanasie, de manière à « mettre fin à une hypocrisie qui n’a que trop duré » dès lors qu’il semblerait « qu’entre 2 000 et 4 000 personnes terminent leur vie, chaque année en France, grâce à l’assistance active à mourir d’un médecin » (proposition Touraine) : ce serait donc parce qu’une telle pratique existe clandestinement qu’il faudrait officiellement l’autoriser. Or cette conception de la loi délégitime toute interdiction ou obligation, et rend in fine inutile la loi elle-même.
Les lois étrangères autorisant l’euthanasie : des modèles pour les promoteurs de l’euthanasie
Les partisans de l’euthanasie s’appuient également sur l’existence de lois étrangères permettant cette pratique et/ou le suicide assisté. En Europe, c’est le cas des Pays-Bas depuis 2001, de la Belgique depuis 2002, du Luxembourg depuis 2009 et de la Suisse. Dans l’actualité récente, la loi portugaise sur l’euthanasie, votée le 29 janvier 2021, vient toutefois d’être jugée contraire à la Constitution par le Tribunal constitutionnel le 15 mars 2021. Trois jours plus tard, c’est en revanche le Sénat espagnol qui a approuvé la « loi de régulation de l’euthanasie » votée en décembre dernier.
Meurt-on pour autant mieux dans ces pays où l’euthanasie est permise ? Ses promoteurs louangent ces lois comme étant exemplaires, les présentes propositions de loi s’inspirant d’ailleurs largement de la loi belge, elle-même proche de la loi néerlandaise. D’après la proposition Touraine, « Les dispositifs mis en place par ces pays, comparables à celui proposé par ce texte, sont encadrés et offrent un moyen de contrôle, contrairement à la législation française actuelle. Ils n’ont d’ailleurs jamais été remis en cause dans ces divers pays tant ils répondent aux demandes de la population. » Pour la députée Brenier, le fait que d’autres pays autorisent l’euthanasie est la « preuve que nous devons nous inscrire dans cette démarche. En ce sens, la Belgique est un bon exemple à suivre. En 2002, année de la légalisation de cette aide active à mourir, nos homologues parlementaires ont pensé un cadre juridique global, regroupant à la fois la mise en place de l’aide active à mourir, un travail de fond sur leur système de soins palliatifs et donc la fin de vie en général. En travaillant à ce cadre confectionné sur mesure, qui permettrait un contrôle précis de tous ces actes médicaux, la Belgique a mis en avant ce qui doit également être notre objectif en France : le libre choix du patient avant tout ». Quant au député Falorni, il écrit de la loi belge que « Non, elle n’a pas non plus favorisé une multitude de dérives. Bien au contraire, [elle] a balisé strictement l’aide active à mourir alors que près de 2 000 actes d’euthanasie clandestine‑ donc de facto criminels‑ sont pratiqués en France sans aucun contrôle, de façon notoire ». La réalité se révèle pourtant moins exemplaire que veulent le faire croire les promoteurs de la soi-disant « mort douce ».
Les dérives permises par les lois étrangères autorisant l’euthanasie
En effet, les dérives sont notoires en Belgique comme aux Pays-Bas[1] et proviennent de diverses sources[2]. Les auteurs d’une toute récente étude s’inquiètent de ce que « plusieurs conditions de la loi sur l’euthanasie censées fonctionner comme garde-fous et garanties procédurales, en réalité, échouent souvent à fonctionner de la sorte »[3]. Les conditions auxquelles l’euthanasie est permise se voulaient strictes à l’origine mais s’avèrent floues et subjectives, permettant une interprétation large par les praticiens. Notamment le fait de permettre l’euthanasie en cas de souffrance psychique permet nombre d’abus en raison de la difficulté d’appréhender l’ampleur d’une telle souffrance : c’est ainsi que, régulièrement, des professionnels de santé belges demandent que les conditions permettant une telle euthanasie soient affinées, voire qu’une telle possibilité soit supprimée[4]. En Belgique comme aux Pays-Bas, la tendance est toutefois à la multiplication des euthanasies (officiellement 235 euthanasies pratiquées en 2003 et 2444 en 2020 en Belgique) et à l’anéantissement progressif des garde-fous originaires : en 2014, la possibilité de demander l’euthanasie a également été ouverte aux mineurs « dotés de la capacité de discernement » sans limite d’âge en Belgique, tandis que les Pays-Bas ont permis l’euthanasie des nouveau-nés sous certaines conditions par le Protocole (officieux) de Groningen (2005) et réfléchissent à en ouvrir l’accès aux personnes fatiguées de vivre et aux mineurs de moins de 12 ans. La mentalité euthanasique progresse comme le montrent trois études révélant que « 40 % des Belges sont pour l’arrêt des soins pour les plus de 85 ans »[5]. Aux Pays-Bas, l’association NVVE a créé des « équipes volantes » et une clinique de fin de vie traitant les cas-limite que les médecins refusent de prendre en charge[6].
Les commissions de contrôle à l’efficacité douteuse
Dans les systèmes belge et néerlandais, des commissions sont chargées de contrôler l’application de la loi en matière d’euthanasie mais leur efficacité est largement remise en cause. Ce contrôle s’effectue a posteriori – c’est-à-dire après la mort de la personne - et se fonde sur la simple déclaration faite par le médecin ayant pratiqué l’euthanasie. Or il est vain d’espérer protéger la vie des personnes avec un contrôle opéré après leur décès. En outre, le caractère déclaratif du système rejaillit sur la qualité du contrôle : les cas douteux ne sont pas déclarés, ce que reconnaît le président de la commission belge[7]. Une étude révèle ainsi qu’environ 50 % des euthanasies belges n’auraient pas été déclarées en 2007[8]. La question de l’indépendance d’une telle commission de contrôle se pose également : dans le cas belge, près de la moitié de ses membres sont issus d’associations militant en faveur de l’euthanasie[9] et/ou sont des médecins pratiquant eux-mêmes l’euthanasie : ils sont donc juges et parties. Finalement, il suffit de lire les rapports de ces commissions pour se rendre compte qu’elles valident parfois des cas d’euthanasie se situant à la limite de la légalité, voire au-delà des prévisions de la loi. Selon le 3ème rapport quinquennal (2012-2016) d’évaluation de la loi néerlandaise, « Lorsqu’un médecin a agi de manière non-conforme aux critères de minutie mais apparemment avec bonne foi, la commission préfère adopter à son égard une attitude éducative plutôt que d’entamer des poursuites »[10]. Très peu de dossiers sont finalement transmis à la justice : entre 2002 et 2016, la commission belge n’a transmis au procureur du roi qu’un seul dossier sur 14 573 euthanasies[11]. Cela est étonnant alors que des affaires sont régulièrement médiatisées comme celles concernant les frères Verbessem (frères jumeaux sourds et ayant un glaucome devant les rendre aveugles), Nathan Verhelst (victime de l’échec d’une opération de changement de sexe) ou Tine Nys (femme ayant reçu un diagnostic d’autisme quelques mois avant son euthanasie) en Belgique, ou Gaby Olthuis (femme euthanasiée car elle souffrait d’acouphènes) aux Pays-Bas. La justice néerlandaise s’avère très laxiste en la matière comme le montre l’affaire Albert Heringa qui a vu l’acquittement d’un homme ayant, en toute illégalité, « assisté sa mère dans son suicide ».
Les inquiétudes de Jean Léonetti, père des lois françaises relatives à la fin de vie
Il est intéressant de remarquer que le député Jean Léonetti, père des lois Léonetti et Claeys-Léonetti, faisait état dans un rapport en 2008 des « Inquiétudes que suscitent les législations et les pratiques issues de la légalisation de l’euthanasie » dans ces deux États[12]. Concernant le système néerlandais, il notait que « l’application de cette loi présente plusieurs caractéristiques : les critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient sont flous, l’existence même d’un contrôle a posteriori faisant porter la vérification plus sur le respect de la procédure que sur la réalité des motifs médicaux ; l’appréciation du médecin est subjective et la méconnaissance de la loi n’est pas sanctionnée. Il y a d’ailleurs quelque paradoxe à revendiquer haut et fort un droit à l’autonomie de la personne et à s’en remettre avec cette réglementation à la décision du médecin »[13]. M. Léonetti observait aussi qu’en conséquence de ce « pouvoir médical » en la matière, une perte de confiance dans le personnel médical est visible et pousse les personnes âgées néerlandaises à partir vivre en Allemagne. Il concluait : « les pratiques médicales hollandaises sont mal vécues par une partie de la population »[14].
Les dérives euthanasiques belges devant la CEDH
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est actuellement saisie de l’affaire Tom Mortier c. Belgique qui met en cause les dérives euthanasiques belges. L’ECLJ a été autorisé par la Cour à lui présenter des observations écrites en tant que tiers intervenant dans cette affaire. Si la CEDH n’a jamais admis un droit à l’euthanasie[15], tout en ne s’y opposant pas par principe, elle s’est aussi déclarée consciente qu’une législation légalisant l’euthanasie peut conduire à des dérives et abus : elle a ainsi noté que « l’on ne saurait sous-estimer les risques d’abus inhérents à un système facilitant l’accès au suicide assisté »[16] et a jugé que « protéger notamment toute personne d’une prise de décision précipitée, ainsi que (…) prévenir des abus »[17] sont des objectifs légitimes. En effet, de tels abus sont prévisibles car « Si la mort est vendue comme une solution à la souffrance et si le suicide est perçu d’un bon œil quand c’est un médecin qui le provoque, la vraie question n’est pas tant de savoir pourquoi certains s’y opposent, mais "pourquoi dire oui aux uns, et non aux autres ?"[18] ». Finalement, les lois étrangères autorisant l’euthanasie sont-elles si exemplaires ? Les objectifs affichés par les promoteurs de l’euthanasie lors de l’adoption des lois belge et néerlandaise étaient de mettre un terme aux euthanasies clandestines, encadrer les demandes d’euthanasie et contrôler l’application de la loi : ils ne sont pas atteints. Ce sont pourtant ces mêmes objectifs qui sont mis en avant aujourd’hui par les auteurs de l’actuelle offensive pro-euthanasie en France.
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[1] Sur la situation aux Pays-Bas, voir : L’euthanasie aux Pays-Bas, Alliance Vita, 24 novembre 2017.
[2] Voir notamment le reportage de Pierre Barnérias, « L’euthanasie, jusqu’où ? » (2013) Voir aussi : C. du Bus, « Euthanasie en Belgique : une nouvelle étude pointe les dérives de la loi », Institut européen de bioéthique, 9 février 2021
[3] Kasper Raus, Bert Vanderhaegen, Sigrid Sterckx, “Euthanasia in Belgium: Shortcomings of the Law and Its Application and of the Monitoring of Practice”, The Journal of Medicine and Philosophy: A Forum for Bioethics and Philosophy of Medicine, Vol. 46, Issue 1, February 2021, Pages 80–107.
[4] Voir p. ex. Ariane Bazan e.a., « Schrap euthanasie op basis van louter psychisch lijden uit de wet. De dood als therapie? », De Morgen, 08.12.2015 : 65 professeurs d’université, psychiatres et psychologues demandent que soit supprimée la possibilité d’euthanasie des patients atteints de souffrances psychiques et dont le décès n’est pas prévu à court terme.
[5] https://www.lesoir.be/213111/article/2019-03-19/sante-40-des-belges-sont-pour-larret-des-soins-pour-les-plus-de-85-ans
[6] Voir L’euthanasie aux Pays-Bas, Alliance Vita, 24 novembre 2017.
[7] Complément d’enquête : « Santé, GPA, vieillesse : quand l’homme défie la nature », France 2, octobre 2014.
[8] Smets T., Bilsen J., Cohen G., Rurup ML., Mortier F., Deliens L., “Reporting of euthanasia in medical practice in Flanders, Belgium: cross sectional analysis of reported and unreported cases”, BMJ, 2010;341:c5174.
[9] É. de Diesbach, M. de Loze, C. Brochier et E. Montero, Euthanasie : 10 ans d’application de la loi en Belgique, Institut Européen de Bioéthique, Avril 2012, Bruxelles, p. 6.
[10] https://www.ieb-eib.org/ancien-site/pdf/20170704-derde-evaluatie-wtl.pdf
[11] Dominique Grouille, « Fin de vie : les options belge, suisse et orégonaise », La revue du praticien, vol. 69, janvier 2019.
[12] Jean Leonetti, RAPPORT D’INFORMATION FAIT AU NOM DE LA MISSION D’ÉVALUATION DE LA LOI N° 2005-370 DU 22 AVRIL 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, p. 131 et s. (Pays-Bas) et p. 137 et s. (Belgique).
[13] Jean Leonetti, RAPPORT D’INFORMATION FAIT AU NOM DE LA MISSION D’ÉVALUATION DE LA LOI N° 2005-370 DU 22 AVRIL 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, p. 136.
[14] Ibid.
[15] Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, 29.04.2002, § 39-40.
[16] Haas c. Suisse, n° 31322/07, 20.01.2011, § 58.
[17] Ibid., § 56.
[18] Aubert Martin, « Euthanasie: les dérives vendues comme des progrès souhaités », Huffpost, 20 juin 2017.