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La Suède protégera-t-elle enfin l’objection de conscience?

Objection de conscience en Suède

Par Nicolas Bauer1695369441771
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La Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, Mme Nazila Ghanea, effectuera une visite en Suède au cours du dernier trimestre de 2023. En tant qu’ONG titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations Unies (ECOSOC), l’ECLJ a reçu un courriel du Conseil des droits de l’homme indiquant: «Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous faire parvenir des contributions écrites sur les questions relevant du mandat» de la Rapporteuse spéciale. Nous avons répondu favorablement afin d’aider Mme Ghanea à préparer sa visite de la Suède.

Cette experte de l’ONU a un mandat pour présenter des recommandations pour surmonter les obstacles à l’exercice de la liberté de conscience et de religion dans ce pays. Dans sa contribution écrite, l’ECLJ a fait le choix de se focaliser sur l’un de ses obstacles: l’absence de droit à l’objection de conscience pour les professionnels de santé face à l’avortement. Contrairement aux autres pays européens, la Suède oblige des professionnels de santé à pratiquer des avortements, jusqu’au délai légal de 18 semaines de grossesse. Cette obligation est sans dérogation ou échappatoire pour ceux qui réprouvent l’avortement et demandent à exercer uniquement leur métier: soigner.

Lire notre contribution écrite à la demande de l’ONU sur l’objection de conscience

Notre contribution écrite démontre qu’obliger des soignants à pratiquer l’avortement constitue une violation du droit à la liberté de conscience et de religion ainsi qu’une discrimination fondée sur la conviction ou la religion. Cette démonstration se fonde sur le droit international, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II) de 1966.

 

La protection internationale de l’objection de conscience

En droit international, l’objection de conscience a d’abord été reconnue comme un devoir, consacré au Principe IV de Nuremberg (1950): «Le fait d’avoir agi sur l’ordre de son gouvernement ou celui d’un supérieur hiérarchique ne dégage pas la responsabilité de l’auteur en droit international, s’il a eu moralement la faculté de choisir».

Elle est également un droit, en tant que partie intégrante de la liberté de conscience et de religion, consacré à l’article 18 du Pacte II. Le Comité des droits de l’homme, qui a pour mission d’interpréter le Pacte II, considère que: «si le droit de manifester sa religion ou sa conviction en tant que tel ne peut s’interpréter comme donnant le droit de refuser de s’acquitter de toutes les obligations imposées par la loi, il offre […] une protection contre l’obligation d’agir à l’encontre d’une conviction religieuse sincère[1]».

En Europe, le plus récent des instruments généraux concernant les droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000), reconnaît expressément le droit à l’objection de conscience (Article 10.2).

 

L’objection de conscience dans le domaine médical

Le droit à l’objection de conscience s’applique en particulier lorsque l’acte réprouvé consiste à tuer un être humain. D’après le Comité des droits de l’homme, dans son Observation générale n° 22 (1993) sur l’article 18: le «droit à l’objection de conscience [...] peut être déduit de l’article 18, dans la mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions».

Le président du groupe de rédaction de l’Observation générale n°22 avait indiqué que l’objection de conscience visée «n’est pas une objection au service militaire en tant que tel mais une objection à l’idée de tuer d’autres êtres humains[2]».

En principe, l’objection de conscience ne devrait pas avoir de raison d’être revendiquée dans le domaine médical: le but de la médecine est de soigner et nul médecin ne peut, en conscience, refuser de soigner un malade. Cependant, le champ de l’activité médicale s’est modifié ces dernières décennies, avec, d’abord, la contraception, ensuite, d’autres activités non thérapeutiques, comme la chirurgie esthétique ou la stérilisation.

Pour les objecteurs de conscience, le but de la médecine a même été inversé avec des pratiques telles que l’avortement et l’euthanasie. Du fait de ces pratiques, le domaine médical est devenu le lieu où la question de l’objection de conscience se pose avec le plus d’acuité. L’importance de l’objection de conscience dans le domaine médical a été rappelée notamment par deux résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE)[3].

 

La position d’Heiner Bielefeldt, ancien Rapporteur spécial de l’ONU

Le 8 mars 2016, le collègue de Mme Nazila Ghanea et prédécesseur comme Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, Heiner Bielefeldt, s’est exprimé fortement en faveur du droit du personnel médical de refuser de participer à un avortement, à l’occasion d’une conférence organisée par l’ECLJ au siège des Nations unies à Genève[4]. Il a notamment cité le cas de la Suède, où une sage-femme très lourdement condamnée pour avoir refusé de participer à un avortement a été contrainte à «l’exil professionnel».

L’ancien Rapporteur spécial a estimé que ce droit, fondé sur la liberté de conscience, doit bénéficier au personnel médical participant directement à l’acte en cause, dès lors que leur objection est fondée sur une conviction forte et profonde. Heiner Bielefeldt a indiqué que le droit à l’objection de conscience n’est pas seulement fondé sur le droit à la liberté de conscience, mais aussi sur l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui reconnaît que tout être humain est «doué de raison et de conscience».

 

Les obligations des États relatives à l’avortement

La Convention internationale des droits de l’enfant (1989) reconnaît à «l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle», le besoin «d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance». L’embryon et le fœtus humains sont reconnus par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) comme des êtres vivants «appartenant à l’espèce humaine[5]». La vie humaine est un continuum à partir de l’instant de la fécondation, comme l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’arrêt Oliver Brüstle c. Greenpeace e.V[6].

En conséquence de la nature même de l’avortement, tuant un enfant avant sa naissance, cet acte n’est pas protégé au titre des droits fondamentaux. En effet, il est impossible de disposer d’une liberté ou d’un droit sur l’existence d’un être appartenant à l’espèce humaine. C’est pourquoi, la CEDH refuse de protéger l’avortement au titre des droits de l’homme[7].

Les Comités des Nations Unies et la CEDH ont développé sur l’avortement une approche obligeant l’État légalisant l’avortement à concilier l’exercice effectif de l’objection de conscience par des professionnels de santé avec l’accès des femmes à cette pratique, sans faire prévaloir l’une ou l’autre de ces considérations[8].

En matière de liberté de conscience, la CEDH a jugé que la possibilité de changer de travail n’était pas suffisante pour protéger le droit à la liberté de conscience de façon effective[9]. Il faut une raison très sérieuse, comme une grave atteinte aux droits d’autrui, pour justifier de priver quelqu’un de son travail. Un prétendu droit à l’avortement, qui est dépourvu de toute existence en droit international, ne peut prévaloir sur un des droits de l’homme les plus fondamentaux, à savoir la liberté de conscience.

 

L’interdiction de la discrimination fondée sur la religion ou la conviction

Le Pacte II interdit la discrimination fondée sur «la religion», l’«opinion» ou «toute autre situation» (article 26)[10]. En droit international, la discrimination est dite «directe» quand «un individu est traité moins favorablement qu’une autre personne dans une situation semblable pour une raison liée à un motif interdit», telle que sa religion[11]. La discrimination dite «indirecte» est constitué «dans le cas de lois, de politiques ou de pratiques qui semblent neutres a priori mais qui ont un effet discriminatoire disproportionné sur l’exercice [d’un droit] eu égard à des motifs de discrimination interdits», telle celui de la religion[12]. Une discrimination peut être relevée en raison de son objet ou de son effet sur la victime, indépendamment des motivations de l’auteur[13].

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont donné comme objectif commun au droit de la non-discrimination de «garantir à tous les individus un accès équitable et juste aux opportunités qui se présentent dans une société[14]». Le Comité des droits économies, sociaux et culturels des Nations Unies donne comme exemple de discrimination «lorsque des personnes appartenant à une minorité religieuse n’ont pas accès sur un pied d’égalité à l’université, à l’emploi ou aux services de santé en raison de leur religion[15]».

Dans le domaine médical, c’est uniquement par la protection d’un droit à l’objection de conscience en matière d’avortement que les personnes ayant une conviction morale ou religieuse à ce sujet ont accès à l’emploi sur un pied d’égalité avec les personnes ne partageant pas cette conviction.

____________

[1] Comité des droits de l’homme, Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi c. République de Corée, communications nos 1321/2004 et 1322/2004, CCPR/C/88/D/1321-1322/2004, 3 novembre 2006, § 8.3. 

[2] Comité des droits de l’homme, Compte rendu analytique de la 1237e séance, tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 13 juillet 1993, CCPR/C/SR.1237, 1er décembre 1993, § 45.

[3] Voir la Résolution 1763 du 7 octobre 2010 (§ 1) et la résolution 1928 du 24 avril 2013 (§ 9.10).

[4] Les vidéos de cette conférence sont accessibles sur la chaîne YouTube de l’ECLJ et rassemblées dans cet article : https://eclj.org/conscientious-objection/the-un-special-rapporteur-on-freedom-of-religion-or-belief-in-favor-of-a-right-to-conscientious-objection-in-the-context-of-abortion-and-euthanasia?lng=fr

[5] CEDH, Vo c. France, n°53924/00, 8 juillet 2004, § 84.

[6] CJUE, Oliver Brüstle c. Greenpeace e.V, C-34/10, 18 octobre 2011, § 35.

[7] Commission EDH (Plénière), Brüggemann et Scheuten c. République Fédérale d’Allemagne (déc.), n° 6959/75, 19 mai 1976 ; CEDH, Boso c. Italie (déc.), n° 50490/99, 5 septembre 2002 ; A. B. C., c. Irlande [GC], n° 25579/05, 16 décembre 2010, § 214 ; P. et S. c. Pologne, n° 57375/08, 30 octobre 2012, § 96.

[8] Voir : Heiner Bielefeldt, Nazila Ghanea, Michael Wiener, Freedom of Religion or Belief: An International Law Commentary, Oxford University Press, 21 janvier 2016, pp. 298-301. Voir aussi : CEDH, R. R. c. Pologne, n°27617/04, 26 mai 2011, § 206 ; P. et S. c. Pologne, n°57375/08, 30 octobre 2012, § 106.

[9] CEDH, Eweida et autres c. Royaume-Uni, n° 48420/10, 15 janvier 2013, § 83.

[10] Voir à ce sujet : Heiner Bielefeldt, Nazila Ghanea, Michael Wiener, Freedom of Religion or Belief, op. cit., p. 311 et 323.

[11] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation Générale n°20, Article 2-2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adoptée à sa quarante-deuxième session, E/C.12/GC/20, 2 juillet 2009, § 10-a.

[12] Ibid., § 10-b.

[13] Heiner Bielefeldt, Nazila Ghanea, Michael Wiener, Freedom of Religion or Belief, op. cit., p. 314.

[14] Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, Conseil de l’Europe, Manuel de droit européen en matière de non-discrimination, février 2018, p. 48.

[15] Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation Générale n°20, op. cit., § 22.

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