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Les chrétiens d’Irak, un peuple plurimillénaire poussé à l’exil

Chrétiens d’Irak, un peuple plurimillénaire poussé à l’exil

Par ECLJ1748269819513
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Près de huit ans après la chute officielle de l’État islamique en Irak, la situation des chrétiens, entre insécurité et discriminations, demeure inquiétante. L’Irak est placé 17e dans le classement des pays persécutant les communautés chrétiennes[1], alors même que leur présence y est ancestrale. L’ECLJ travaille à attirer l’attention de l’ONU sur ces persécutions. Nous avons relayé au Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des minorités les craintes et les besoins que nous ont exprimés les différentes ONG actives sur place et les responsables de l’Église. Ce Rapporteur fera une visite officielle en Irak du 15 au 23 juin 2025.

Une minorité en voie de disparition

En Irak, les chrétiens étaient encore 1,5 million au début des années 2000, et il n’en reste plus aujourd’hui que 140 000[2], répartis entre l’Irak fédéral et la région autonome du Kurdistan irakien. Assyriens ou chaldéens, pour la plupart, mais aussi syriaques et arméniens, catholiques ou orthodoxes, ces chrétiens d’Irak forment moins de 1% de la population irakienne. Ils composent la minorité religieuse la plus nombreuse du pays, parmi les Yézidis, les Mandéens, les Chabaks, et les Kakaïs. La majorité de la population est musulmane, avec 64% de chiites et 34% de sunnites[3], mais les communautés chrétiennes, converties par saint Thomas dès le premier siècle, sont les héritières directes des populations de l’antique Mésopotamie. Leur présence, bien antérieure à la conquête arabe, s’est poursuivie sans interruption depuis le début du premier millénaire.

La prise de pouvoir de l’État islamique de Mossoul le 10 juin 2014 a provoqué la fuite de milliers de chrétiens, vers la plaine de Ninive, le Kurdistan, ou à l’étranger. Car « dès la prise de la ville, la voix des djihadistes résonnait dans les haut-parleurs des mosquées dans les mégaphones pour moquer les chrétiens, leur annoncer qu’il fallait dès à présent choisir entre la conversion, l’exil, ou la soumission au statut de dhimmis. La plupart sont partis avec seulement leur voiture et ce qu’ils portaient sur eux », raconte monseigneur Najeeb, archevêque chaldéen de Mossoul[4]. Plus de dix ans après, à peine une vingtaine de familles chrétiennes sont revenues dans cette ville au triste souvenir. Le gouvernement irakien ne s’investit que très peu dans la reconstruction, et ce n’est que grâce à des ONG que quelques églises ont pu être rénovées et sonnent à nouveau. De même, les terres, les boutiques et les ateliers des chrétiens ont trouvé de nouveaux propriétaires, ce qui complique plus encore le retour des déplacés, pour lesquels aucune politique publique n’est mise en place. Leur déracinement n’est qu’un premier pas vers l’exode.

Discriminations permanentes et inquiétude

Le départ quasi systématique des chrétiens vers les États-Unis, la Suède ou encore l’Allemagne s’explique par un environnement socio culturel islamique qui leur est hostile. Qu’il s’agisse de l’éducation, la recherche d’emploi, l’accès aux services publics, ils subissent des discriminations dans tous les domaines du quotidien. C’est ce que nous rapportent de nombreuses ONG (SOS Chrétiens d’Orient, Christian Aid Program Northern Irak, The Return, Hammurabi Human Rights Organization) qui œuvrent sur le terrain afin d’améliorer les conditions de vie des chrétiens. N’appartenant pas aux ethnies majoritaires et n’adhérant pas aux principaux partis politiques, ils ont plus de difficultés pour obtenir un emploi, surtout dans l’administration publique, et pour faire respecter leurs droits à la sécurité et à la représentation politique. « Aujourd’hui nous ne sommes pas égaux », regrette Yohanna Yousif (Hammurabi Human Rigths Organisation)[5], « si tu n’es pas dans un parti, tu ne trouveras pas de travail. Ils ont tous les droits et nous aucun ». Roland, responsable projet, en témoigne aussi : « J’ai candidaté à une offre sur internet pour devenir enseignant. J’ai reçu une réponse positive par voie électronique, mais quand la liste des admis fut publiée, mon nom avait été effacé parce que je suis un chrétien. De même, en classe, quand un chrétien est premier, les enseignants le sous-notent afin qu’un élève musulman puisse occuper la première place dans le classement »[6].

Si Daesh ne constitue plus une menace directe, la sécurité des Irakiens et particulièrement des minorités religieuses, plus vulnérables, demeure en péril. En Irak fédéral, ce sont des milices chiites qui sévissent et violentent les populations civiles. Au Kurdistan, ces dernières sont prises en étau dans les combats incessants qui opposent l’armée turque et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les nombreux villages chrétiens de cette région sont fréquemment bombardés, ce qui pousse des familles entières au départ. C’est le cas à Miska, dans le district frontalier de Duhok l’église assyrienne a été détruite et 11 familles ont été déplacées[7]. Cette insécurité pour les membres de leur communauté, ainsi que le traumatisme de l’arrivée soudaine des djihadistes, et le sentiment d’être des citoyens de seconde zone, sans protection, plongent les chrétiens dans une inquiétude chronique quant à l’avenir. Dilan Adamat, de l’ONG the Return, constate avec tristesse que cette crainte pousse les chrétiens à quitter la terre de leurs ancêtres : « Ici, il faut sans cesse se battre, les gens n’en ont plus envie. Il y a une forte lassitude de toutes ces pressions sécuritaires, légales, sociales »[8].

Un remplacement de population organisé

Les chrétiens ne partent pas seulement pour un avenir meilleur. Ils sont poussés vers la sortie par différents acteurs politico-militaires qui voient dans cette minorité une entrave à leurs agendas stratégiques. C’est notamment le cas des milices chiites du Hachd al-Chaabi. Elles regroupent entre 140 000 et 238 000 combattants[9], et, soutenues par l’Iran, constituent une faction importante et hors de contrôle dans l’armée irakienne, au poids politique et militaire de plus en plus important. Dans la plaine de Ninive, ces milices prennent petit à petit le contrôle du territoire, des checkpoints, et installent des foyers chiites dans les zones traditionnellement chrétiennes. L’organisation Hammurabi le déplore, et propose des solutions pour endiguer ce processus : « On observe un réel changement démographique, ils distribuent des terrains aux chiites dans les territoires chrétiens. Nous demandons la création de districts protégés où les terres seraient réservées aux chrétiens ! ». Entre harcèlement et intimidation, les chrétiens sont poussés à vendre leurs terres au plus offrant. À Bartella, à une vingtaine de kilomètres de Mossoul, ils ne rassemblent plus qu’un quart de la population, quand ils étaient largement majoritaires en 2014. Cela participe au projet iranien d’établir un croissant chiite, pour la réalisation duquel les chrétiens ne sont qu’un point à déplacer.

La problématique des terres se retrouve au nord du pays, dans la région du Kurdistan, où les autorités comme la population sont traditionnellement plus ouverts aux chrétiens. Dans cette société à l’organisation clanique, quelques grandes familles puissantes et armées s’imposent sur les institutions. Elles exproprient les chrétiens de leurs terres non exploitées, et vont jusqu’à produire de faux documents pour justifier ce vol. La confiscation de leurs propriétés par des figures kurdes influentes ou des chefs tribaux est aujourd’hui une des problématiques principales auxquelles font face les chrétiens de cette région. En 2021, on comptait 223 familles ayant porté plainte à Erbil pour demander restitution de leur terre, mais une quarantaine seulement avaient obtenu gain de cause[10]. Ces spoliations comme la difficulté à trouver un emploi créent une « véritable hémorragie » car « nous vivons presque en réfugiés dans notre propre pays », déclare monseigneur Najeeb. Il explique que les chrétiens sont doublement persécutés : « comme les Irakiens, à cause de la faiblesse de l’État et de la violence des milices, et puis comme minorité religieuse ». Il condamne aussi un « génocide patrimonial », car aucune institution ne prend conscience de l’urgence de préserver le patrimoine culturel assyro-chaldéen pourtant plurimillénaire.

Lire la contribution de l'ECLJ au RS des Nations unies.

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[1] Irak – Profil pays 2024, Portes Ouvertes France, https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens/profils-pays/irak

[2] Shlama Foundation. “Population of Assyrians in Irak.” Shlama.org, 2025. https://www.shlama.org/population

[3] Humanists International, Freedom of Thought Report, 2024, https://fot.humanists.international/countries/asia-western-asia/Irak /

[4] Entretien de l’ECLJ avec Mgr Najeeb, le 8 mai 2025.

[5] Entretien de l’ECLJ avec Hammurabi Human Rights Organisation, le 20 mai 2025.

[6] Entretien avec Roland (le prénom a été changé), le 13 mai 2025.

[7] “Kirkuk: Christian property owners face legal and political obstacles to reclaim their lands”, KirkukNow, 25 janvier 2024, https://kirkuknow.com/en/news/70339

[8] Entretien de l’ECLJ avec Dilan Adamat de l’ONG The Return, le 12 mai 2025.

[9] Mohammad Salami, EISMEA, « Analyse de l’impact des milices en Irak : stratégies pour atténuer leur influence », 21 février 2024, https://eismena.com/article/analyse-de-limpact-des-milices-en-irak-strategies-pour-attenuer-leur-influence-2024-02-21

[10] Kurdish Gov’t missing in action – Hectares of Christian land swallowed up by trespassers, KirkukNow, 24 mai 2021, https://kirkuknow.com/en/news/65618

Pour la défense des Chrétiens persécutés
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