Chrétiens de Syrie: l’ECLJ alerte le Conseil des droits de l’homme
Le 4 août 2025, le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) a soumis au Conseil des droits de l’homme des Nations unies une déclaration écrite sur la situation dramatique des chrétiens de Syrie depuis la prise du pouvoir par l’ancien djihadiste Ahmed al-Charaa. Dans ce document fondé sur des témoignages de première main, l’ECLJ alerte sur le risque de disparition du pluralisme religieux dans le pays et la généralisation à l’échelle nationale du modèle de gouvernance centralisée islamiste d’Idlib.
Avant les printemps arabes, la Syrie comptait environ deux millions de chrétiens. À la chute du régime de Bachar el-Assad, en décembre 2024, ils n’étaient déjà plus que 500 000. Depuis, l’exode s’accélère dangereusement. « Si je demande aux chrétiens ce qu’ils veulent aujourd’hui, tous me répondront : quitter la Syrie. Ils ont peur pour l’avenir de leurs enfants, et des violences spécifiques sur les femmes », nous témoigne un évêque syrien.
Cette peur s’est cristallisée avec l’attentat du 22 juin 2025 contre l’église grecque-orthodoxe Mar Elias à Damas, qui a fait 25 morts et 63 blessés pendant la messe. Pour le patriarche Jean X, qui appelle à l’unité : « Ce n’est pas un incident isolé, ni un acte personnel. C’est une attaque contre chaque Syrien et contre toute la Syrie. » Pourtant, aucun représentant du gouvernement n’est venu sur place, à l’exception d’une ministre chrétienne, Hind Kabawat. « Le gouvernement porte l’entière responsabilité », a-t-il accusé dans son homélie aux funérailles.
Le chaos ne frappe pas uniquement les chrétiens. En mars 2025, plus de 1 400 personnes, dont une majorité de civils alaouites, ont été tuées dans des affrontements dans les provinces de Lattaquié et Tartous. En juillet, c’est la communauté druze qui a été visée à Soueïda, où des milices bédouines sunnites, soutenues par les forces gouvernementales, ont attaqué la ville : « On a vu la Syrie réelle: des bandes tribales appelant au jihad contre les Druzes, entrant à Soueïda pour massacrer, piller, puis repartir avec à l’arrière de leurs véhicules des réfrigérateurs, des lave-vaisselle… Dans certains cas, des femmes ont été enlevées, non pas pour esclavage sexuel comme à l’époque de Daech, mais pour être échangées contre rançon », nous décrit un universitaire.
Israël, soucieux de la sécurité à sa frontière et pour protéger la population druze, est intervenu militairement en ciblant notamment le ministère de la Défense à Damas. Le bilan de ces affrontements à Soueïda s’élève à plus de 1 000 morts, parmi lesquels figurent le pasteur Khaled Mezher, un évangélique d’origine druze, ainsi que sa famille, et Hosam Saraya, un citoyen américain d’origine syrienne âgé de 35 ans. L’église grecque-melkite Saint-Michel du village d’Al-Sura a été incendiée, et des dizaines de domiciles de chrétiens pillés et incendiés.
Malgré un discours de façade pour séduire l’occident, le nouveau président par intérim Ahmed al-Charaa cherche à imposer à l’échelle nationale le modèle d’Idlib, gouverné depuis 2017 par son groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Ce modèle inclut une gouvernance centralisée, une application stricte de la charia, une économie dérégulée aux mains de réseaux proches du pouvoir, et une tolérance minimale des minorités, maintenues dans une posture purement figurative, utile seulement à entretenir une illusion de diversité.
Les écoles chrétiennes sont contraintes d’enseigner la charia, de recruter des directeurs diplômés en droit islamique, et de séparer les garçons des filles. « C’est en contradiction avec toute la tradition éducative chrétienne syrienne. C’est inacceptable », s’insurge un évêque syrien. Dans l’espace public, les signes religieux sont imposés : la police religieuse confisque l’alcool, ferme les commerces qui en vendent, et surveille les relations hommes-femmes. Les prédicateurs diffusent des appels à la conversion au moyen de mégaphones. Tout ce qui n’est pas arabe sunnite est marginalisé : chrétiens, Alaouites, Druzes, Kurdes.
Sur le plan judiciaire, les anciens du régime Assad sont poursuivis, comme le général Hassan ou le colonel al-Basis. Mais aucune enquête équivalente n’a été ouverte contre les figures issues de HTS, pourtant intégrées au gouvernement actuel. Les massacres d’Alaouites en mars 2025 n’ont donné lieu qu’à l’arrestation de quelques subalternes. « Les groupes armés veulent se faire justice eux-mêmes sans attendre la mise en place de la pseudo-justice transitionnelle. Nous vivons une justice de revanche plutôt qu’une justice de réconciliation », nous confie un leader chrétien de la société civile.
Alors que plus de 90 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté, un système de prédation opaque s’est mis en place sous la direction du frère du président, Hazem al-Charaa. « C’est comme si le parti baasiste laïc avait simplement désormais une barbe islamiste », ironise un responsable chrétien. Un comité secret, composé d’anciens cadres de HTS, a récupéré plus de 1,6 milliard de dollars d’actifs grâce à des accords confidentiels avec des oligarques de l’ancien régime.
Face à ces dérives, l’ECLJ appelle les États membres du Conseil des droits de l’homme à:
Ces recommandations s’inscrivent dans une déclaration formelle transmise au Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 4 août 2025.