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Le délit de « prosélytisme » en Grèce devant la CEDH

Le délit de « prosélytisme » en Grèce

Par Nicolas Bauer1614331004376
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Mise à jour du 6 octobre 2022 : La Cour a décidé de rayer la requête du rôle. En effet, le requérant n'a pas répondu aux lettres de la Cour et n'a pas envoyé ses observations, ce qui signifie pour la Cour qu'il n'avait pas l'intention de poursuivre la requête.

 

« Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit[1] ». Mettre en pratique ce commandement de Jésus Christ est illégal dans des États musulmans, communistes, mais aussi actuellement en Grèce. D’après la Constitution grecque actuelle, entrée en vigueur en 1975 : « Le prosélytisme est interdit » (art. 13 § 2). Une loi adoptée en 1938, pendant le régime nationaliste de Metaxas, fixe les sanctions pénales en cas de prosélytisme[2]. Une personne tentant de « modifier le contenu » de la conscience religieuse d’autrui, même « indirectement », encourt une peine d’emprisonnement.

Très vague, l’incrimination de « prosélytisme » laisse une large place à l’interprétation. Une personne évangélisant l’un de ses amis, par des discussions religieuses, peut-elle être poursuivie pour prosélytisme ? Et peut-elle être condamnée pour ce délit si ledit ami témoigne devant le tribunal de sa totale liberté en embrassant la foi chrétienne ? La réponse est oui : c’est ce qui est arrivé à M. Damavolitis. Cet agriculteur crétois, marié et père de six enfants, a parlé de sa foi à un ami, M. Vamvoukas. Ce dernier a demandé le baptême, dans une Église pentecôtiste, qui n’est pas celle de M. Damavolitis. M. Vamvoukas n’a jamais porté plainte ; qu’importe, sa conversion a pour origine un acte délictueux et le procureur s’est donc chargé d’engager les poursuites contre M. Damavolitis.

 

La condamnation injuste d’un chrétien missionnaire

M. Damavolitis a été condamné à quatre mois de prison ferme ainsi qu’à une amende (2009). Ce jugement a été confirmé en appel (2011), puis en cassation (2013), et c’est enfin à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que M. Damavolitis a déposé une requête (2014). Ce chrétien protestant allègue une violation de son droit à la liberté de religion, reconnue à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’ECLJ, autorisé par la Cour à intervenir dans cette affaire pendante, a déposé des observations écrites le 15 février 2020. Nous avons démontré que pénaliser le prosélytisme viole les articles 9 et 10 de la Convention européenne.

La requête Damavolitis c. Grèce n’est pas la première que la Cour accepte de juger à propos de l’interdiction grecque du prosélytisme. Ce sujet revêt même une importance particulière dans la jurisprudence européenne. Il est l’objet du premier arrêt rendu en matière de liberté de religion, en 1993, soit trente-quatre ans après l’institution de la CEDH[3]. Un Témoin de Jéhovah, M. Kokkinakis, considérait que l’interdiction du prosélytisme violait ses droits. Les neuf juges siégeant alors à la Chambre avait été très divisés sur la question. Le jugement révèle une position de compromis entre eux : la Cour a reconnu la violation de la liberté de religion de M. Kokkinakis, mais n’a pas pour autant condamné la loi grecque.

Ce jugement Kokkinakis c. Grèce avait été critiqué comme insuffisamment protecteur des libertés. Certes, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a considéré que les juridictions grecques avaient adapté leur jurisprudence dans la décennie suivante, afin d’éviter des condamnations injustes et excessives[4]. Mais, comme le remarquait déjà le juge Pettiti en 1993, la jurisprudence Kokkinakis « laisse trop de place à une interprétation, ultérieure, répressive de la part des juridictions grecques[5] ». La condamnation de M. Damavolitis témoigne de la clairvoyance de cette mise en garde. Demander à la Grèce de modifier son interprétation de la loi n’a pas été suffisant pour protéger les libertés.

 

Une loi liberticide freinant les conversions

L’interdiction et la pénalisation du prosélytisme en Grèce violent plusieurs libertés reconnues aux articles 9 et 10 de la Convention européenne. En effet, l’apostolat est protégé à la fois par la liberté de « communiquer des informations ou des idées » (art. 10) et par celle de « manifester sa religion ou sa conviction (…), en public ou en privé » en particulier par « l’enseignement » (art. 9). La CEDH considère que l’État n’a aucun « pouvoir d’appréciation (…) quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci[6] ». Elle a explicitement reconnu, en matière religieuse, « le droit d’essayer de convaincre son prochain[7] ». La loi grecque sanctionne l’exercice de ce droit et dissuade les personnes de l’exercer (chilling effect)[8].

En outre, la protection légale du prosélytisme est indispensable à l’exercice, par chaque personne, de la « liberté de recevoir (…) des informations ou des idées » (art. 10) ainsi que sa « liberté d’opinion » (art. 10) et sa « liberté de changer de religion ou de conviction » (art. 9). Ces dernières, dans la Convention européenne, sont des droits absolus et inconditionnels, car ils touchent à la conscience même des personnes. La nécessité du prosélytisme pour permettre aux personnes d’exercer librement leur liberté de changer de religion est attestée par de nombreux témoignages, par exemple ceux du reportage de l’ECLJ « De l’islam au Christ : la persécution des convertis en France[9] ».

La loi grecque de 1938 viole donc les droits à la fois de celui qui pratique le prosélytisme et de celui qui en est l’objet. C’est pourquoi l’ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur l’intolérance religieuse, Abdelfattah Amor, avait « vivement recommandé » à la Grèce d’abolir son délit de prosélytisme[10]. L’affaire Damavolitis c. Grèce est une occasion pour la Cour d’adopter la même position et de reconnaître cette violation de la Convention européenne. Il est particulièrement clair dans cette affaire que la loi non seulement supprime les libertés de croyants, mais réprime également la conversion religieuse de chacun. C’était son objectif explicite en 1938 ; c’est aujourd’hui son effet sur MM. Damavolitis et Vamvoukas.

 

D’autres incriminations pour réprimer certains abus

La Grèce va devoir justifier, devant la CEDH, l’existence dans son droit interne d’un délit de prosélytisme. En 1938, l’objectif de Metaxas était de favoriser la « religion dominante », c’est-à-dire les chrétiens gréco-orthodoxes, et de lutter en particulier contre les courants protestants. À l’occasion de l’affaire Kokkinakis, en 1993, la Grèce avait prétendu protéger « la conscience d’autrui à l’égard des activités portant atteinte à sa dignité et à sa personnalité[11] ». Il est probable que cette justification, fondée sur les droits des personnes qui sont l’objet de pratiques prosélytes, soit reprise par la Grèce dans la présente affaire Damavolitis.

Il est permis d’espérer que la Cour ne sera pas convaincue par l’argumentation de la Grèce. Certes, la loi grecque de 1938 cite certaines méthodes contestables d’influence. Il n’est évidemment pas ici question de justifier certains abus graves, comme la manipulation mentale, la violation de domicile ou encore le vol de données personnelles. Mais ces pratiques très diverses sont la plupart du temps utilisées pour des raisons areligieuses. Elles font donc l’objet de dispositions de droit pénal ordinaire, qui s’appliquent à tous. C’est pourquoi, d’après le juge Martens, « même dans les cas de « coercition à des fins religieuses (…), rien (…) ne justifie d’ériger en infraction pénale la coercition dans le domaine religieux en soi[12] ».

La Grèce devra expliquer à la CEDH pourquoi son délit de « prosélytisme » va bien au-delà de la seule répression d’abus, au point de réprimer des discussions amicales privées. La médiatisation de M. Damavolitis, en particulier localement, lui a même fait subir un véritable ostracisme social. Il dit ne plus pouvoir fréquenter les cafés de son village et avoir changé ses enfants d’école pour cette raison. Ces persécutions larvées à cause de la justice sont annoncées dans la Bible et ne sont pas vaines. Ce sont celles qui permettent aujourd’hui à M. Vamvoukas de témoigner ainsi : « J’ai été baptisé dans l’eau. C’est moi qui l’ai demandé (…). Je lis l’Évangile. J’ai cru et je crois encore[13] ».

___

[1] Évangile selon Matthieu, chapitre 28 : 19-20.

[2] Voir l’article 4 de la loi n°1363/1938, modifié par l’article 2 de la loi n°1672/1939.

[3] CEDH, Kokkinakis c. Grèce, n°14307/88, 25 mai 1993.

[4] Voir : Résolution DH (97) 576, adoptée par le Comité des Ministres le 15 décembre 1997, lors de la 610e réunion des Délégués des Ministres ; ResDH(2004)80 adoptée par le Comité des Ministres le 22 décembre 2004, lors de la 906e réunion des Délégués des Ministres.

[5] Opinion partiellement concordante du juge Pettiti dans l’affaire Kokkinakis, op. cit.

[6] Imbragim Ibragimov et autres c. Russie, n° 1413/08 et 28621/11, 28 août 2018, § 90. Voir aussi : S.A.S. c. France [GC], n° 43835/11, 1er juillet 2014, § 127.

[7] Kokkinakis, op. cit., § 31.

[8] Voir sur ce sujet l’opinion partiellement dissidente du juge Repik dans l’affaire Larissis et autres c. Grèce (n°140/1996/759/958–960, 24 février 1998) : « un croyant qui se consacre à répandre sa foi religieuse ne sait jamais avec certitude si son comportement tombe ou non sous le coup de la loi. Celle-ci ne présente pas un degré suffisant de précision et donc de prévisibilité, ne peut garantir la sécurité juridique et l'égalité de traitement des justiciables ni protéger ceux-ci contre l'arbitraire des autorités d'application ».

[9] L’une d’elle explique : « J’ai été convertie grâce à une camarade de classe ; on discutait « religion » ». Un autre raconte : « Personnellement je me suis converti car quelqu’un a osé m’offrir les Évangiles dans la rue ; c’était un protestant. Cela a été la révélation, parce que tout le monde m’avait dit du mal du christianisme, dans les médias, dans mon entourage musulman ».

[10] Assemblée générale des Nations unies, Doc. A/51/542/Add.1, « Application de la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction », 7 novembre 1996, §§ 11, 12 et 134.

[11] Kokkinakis, op. cit., § 34.

[12] Opinion partiellement dissidente du juge Martens dans l’affaire Kokkinakis, op. cit., § 17.

[13] Témoignage devant le tribunal pénal de Réthymnon (affaire 5005/2009), cité dans la requête.

Pour la défense des Chrétiens persécutés
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