La Turquie expulse un chrétien étranger en raison de sa foi
Sous le régime d’Erdogan, la Turquie continue de bafouer les droits des chrétiens, qu’ils soient de nationalité turque ou étrangère. Kenneth Wiest, un protestant américain résidant en Turquie depuis 34 ans, est devenu une cible de cette répression larvée. Expulsé sans justification tangible en 2019, il lutte aujourd’hui devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour retrouver sa vie et défendre un principe fondamental: la liberté religieuse. Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) est intervenu en qualité de tierce-partie le 8 novembre 2024.
Kenneth Wiest, un protestant américain, vivait en Turquie depuis 1985 avec son épouse et leurs trois enfants, nés et élevés sur le sol turc. Pourtant, après un voyage à l’étranger en juin 2019, il s’est vu interdit de rentrer chez lui. Les autorités turques ont invoqué l’article 9 de la loi sur les étrangers, qui permet de refuser l’accès au territoire turc à toute personne considérée comme une menace pour la sécurité nationale. Mais aucune preuve n’a été présentée pour étayer ces accusations. Pire encore, Wiest n’a jamais eu accès aux éléments à charge, ni à un procès équitable pour se défendre.
Des expulsions de chrétiens opaques, arbitraires, et systémiques
Cette interdiction a bouleversé la vie de ce chrétien qui, pendant plus de trois décennies, avait contribué activement à la société turque et construit une famille sur son sol. Tristement, l’affaire Wiest n’est pas un cas isolé. Entre 2019 et 2023, au moins 115 chrétiens étrangers ont été expulsés de Turquie sous des prétextes similaires, ce qui a affecté également 46 conjoints et 66 enfants mineurs. Ces expulsions ciblent systématiquement des chrétiens, perçus comme des «menaces» à cause de leur foi et de leurs activités missionnaires. Pourtant, aucune mesure équivalente n’a été prise à l’encontre de missionnaires musulmans étrangers.
Ce traitement différencié révèle une discrimination structurelle, appuyée par une idéologie nationaliste et religieuse qui cherche à homogénéiser la Turquie sous une identité turco-islamique. La politique d’Erdogan s’inscrit dans un contexte plus large de persécutions visant les minorités chrétiennes. Les chrétiens, bien que présents en Anatolie depuis des millénaires et censés être protégés par le Traité de Lausanne de 1923, ne représentent plus que 0,2% de la population en Turquie. Les expulsions, les expropriations et la surveillance constante de leurs institutions témoignent d’une volonté claire d’étouffer toute expression chrétienne dans le pays.
Ainsi, dans ses observations écrites, le Centre européen pour le droit et la justice appelle la Cour européenne des droits de l’homme à ne pas examiner cette expulsion uniquement sous l’angle du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). En effet, la défense des droits de Kenneth Wiest ne concerne pas que lui et sa vie familiale, mais bien tous les chrétiens étrangers expulsés, ainsi que tous les chrétiens turcs qui se retrouvent privés de formation et d’encadrement. L’ECLJ relève donc la portée d’un examen sous l’angle de la liberté de religion (article 9) et de l’interdiction de la discrimination fondée sur la religion (article 14).
Les précédents jurisprudentiels, comme Nolan et K. c. Russie (n°2512/04) ou Corley et autres c. Russie (nos292/06 et 43490/06), montrent que des mesures similaires d’expulsion prises par d’autres États ont déjà été condamnées par la Cour sur le fondement de la liberté de religion. L’ECLJ insiste sur le caractère injustifié de l’interdiction. Non seulement aucune preuve de menace réelle n’a été fournie, mais les autorités turques utilisent systématiquement des arguments de «sécurité nationale» pour dissimuler une politique anti-chrétienne flagrante. La réintégration de Kenneth Wiest en Turquie représenterait une victoire non seulement pour lui, mais aussi pour tous les chrétiens persécutés dans le pays.
L’affaire Wiest illustre la volonté des autorités turques d’affaiblir les minorités chrétiennes en Turquie, et en particulier la communauté protestante. L’ECLJ a dénoncé cette persécution dans sa contribution à l’Examen périodique universel d’octobre 2024 pour la Turquie au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. L’ECLJ a par ailleurs déposé des observations dans plusieurs affaires relatives à des violations de droits des chrétiens par la Turquie, comme Fener Rum Patrikliği c. Turquie (n°14340/05), Arnavutköy Rum Ortodoks Taksiarhi Kilisesi Vakfi c. Turquie (n°27269/09), Arhondoni c. Turquie (n°15399/21) ou encore, Mavrakis c. Turquie (n°12549/23).