La visite du pape Léon XIV en Turquie (27–30 novembre 2025) s’est déroulée dans un climat de grande prudence diplomatique, tout en envoyant des signaux explicites en faveur de l’unité des chrétiens et du respect des minorités religieuses. Dans un pays où les chrétiens ne sont plus que 257 000 sur une population de 86,3 millions d’habitants, le souverain pontife a appelé à protéger les libertés fondamentales et à reconnaître la contribution irremplaçable des communautés chrétiennes, héritières d’une présence bimillénaire aujourd’hui marginalisée.
À la fois chef d’État et pasteur, Léon XIV a rencontré en Turquie les autorités politiques et religieuses, encouragé les initiatives de paix et soutenu les petites communautés chrétiennes dont l’action sociale et caritative dépasse largement leur poids démographique. À la cathédrale du Saint-Esprit à Istanbul, il a invité le « petit troupeau » de fidèles catholiques à regarder « avec les yeux de Dieu », rappelant « qu’Il a choisi la voie de la petitesse pour descendre parmi nous ».
Une petitesse qui résonne fortement en Turquie : les chrétiens n’y représentent plus qu’une fraction infime de la population (0,3 %), après des siècles de conversions forcées, de turquification progressive à partir du XIe siècle, puis de violences massives — massacres hamidiens, génocides arménien et assyro-chaldéen, expulsions des Grecs et pogroms — orchestrées par l’État dans le but de façonner une nation turque sunnite homogène, ethniquement et religieusement.
Aujourd’hui encore, comme l’explique le dernier rapport du Centre européen pour le droit et la justice, les chrétiens subissent violences directes, physiques ou visant leurs églises, hostilité sociale, propagande éducative, ingérences dans les élections patriarcales grecques orthodoxes et arméniennes, et entraves à la gestion de leurs fondations. C’est dans ce contexte difficile que le pape a encouragé les catholiques de Turquie à poursuivre le travail pastoral rigoureux « du dialogue œcuménique et interreligieux, de la transmission de la foi à la population locale, et du service pastoral aux réfugiés et aux migrants ».
Entre diplomatie prudente et appel à l’unité des chrétiens
Conformément au protocole réservé aux chefs d’État en visite officielle, Léon XIV a dû rendre hommage à Atatürk, fondateur de la République turque en 1923, certes, mais aussi l’un des artisans de la marginalisation des derniers chrétiens d’Anatolie. Lors de sa rencontre au siège du Patriarcat arménien de Constantinople, il a évoqué avec prudence les « circonstances tragiques » du début du XXe siècle, se gardant — contrairement au pape François en 2015 — d’utiliser le mot « génocide ».
À Iznik, l’ancienne Nicée, le pape a célébré les 1 700 ans du premier concile œcuménique, aux côtés du patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée et d’autres chefs d’Églises orientales. Ils ont récité ensemble le Credo, le texte officiel de la profession de foi chrétienne, sans le filioque, dans sa formulation de 325, un geste très symbolique en faveur de l’unité chrétienne.
Contrairement à ses prédécesseurs, les papes Benoît XVI et François, lors de leurs visites en 2006 et 2014, Léon XIV n’a pas prié à la Mosquée bleue. Il ne s’est pas non plus rendu à la basilique Sainte-Sophie, lieu emblématique du christianisme oriental et l’équivalent de la basilique Saint-Pierre de Rome pour le patriarche œcuménique de Constantinople, convertie en mosquée en 1453, devenue musée en 1934, puis de nouveau mosquée en 2020.
Ces abstentions marquent une inflexion : la priorité du pontificat semble être l’unité de l’Église plutôt que le dialogue islamo-chrétien médiatisé. Il a réaffirmé son souhait de rassembler toutes les confessions chrétiennes en Terre sainte en 2033, pour le bimillénaire de la mort et de la résurrection du Christ. La volonté de trouver une date commune de Pâques demeure constante, mais sans encore de concrétisation.
La Turquie doit protéger ses chrétiens
Devant les autorités civiles, la société civile et le corps diplomatique, le pape a salué la vocation plurielle de la Turquie, « carrefour de sensibilités dont l’homogénéisation serait un appauvrissement ». Il a souligné la dignité et la liberté de chaque personne, rappelant que les chrétiens « sont et se sentent partie intégrante de l’identité turque ». Dans un pays où la religion occupe une place publique très marquée, il a exhorté à protéger les droits de tous — citoyens comme étrangers. Le message est clair, mais formulé dans le langage prudent de la diplomatie : la Turquie doit garantir la liberté religieuse et la protection de ses minorités chrétiennes.
Depuis l’avion qui le conduisait à Beyrouth, Léon XIV a décrit la Turquie comme « un pays à grande majorité musulmane qui compte toutefois de nombreuses communautés chrétiennes, bien qu’en petite minorité, et où des personnes de religions différentes peuvent toutefois vivre en paix », allant jusqu’à en faire « un exemple » pour le monde. Un vœu pieux que dément malheureusement la réalité des chrétiens de Turquie, loin d’être sereine : discours de haine, expulsions de chrétiens étrangers, obstacles à la vie ecclésiale et à la reconnaissance de la personnalité morale des églises, ingérences administratives, discriminations institutionnelles. Prions pour que les encouragements du pape soient entendus, et suivis d’effets.