À l’approche des élections législatives irakiennes de novembre 2025, une trentaine de candidats chrétiens briguent les cinq sièges réservés à leur communauté au Parlement fédéral. Mais cette vitrine démocratique ne peut plus cacher la réduction à peau de chagrin de la communauté chrétienne d’Irak. Héritiers de deux millénaires de présence en Mésopotamie, les chrétiens subissent aujourd’hui une triple marginalisation : la spoliation de leurs terres et un véritable génocide patrimonial, la fragilité de leur représentation institutionnelle et politique, ainsi que des pressions sociales et économiques qui compromettent leur survie dans le pays.
On n’entend plus parler de l’Irak, et l’on croit qu’elle se reconstruit d’elle-même grâce à son pétrole. « Mais c’est faux, les communautés religieuses minoritaires, en particulier les chrétiens et les yézidis, ont toujours besoin d’aide », alerte Pascale Warda, cofondatrice de l’ONG Hammurabi (HHRO) et ancienne ministre de l’Immigration et des Réfugiés (2004-2005). Les autorités irakiennes n’ont pas encore compris que la reconnaissance des droits des minorités constitue un atout stratégique : les marginaliser fragilise l’unité nationale, tandis que leur intégration renforcerait l’Irak à tous les niveaux.
Présents depuis deux millénaires en Mésopotamie mais chassés par l’État islamique en 2014, les chrétiens d’Irak voient maintenant leurs terres et leurs biens confisqués ou usurpés sans réelle protection de l’État fédéral. Dans son dernier rapport annuel, publié en septembre 2025, Hammurabi recense des milliers de cas d’empiètements dans la plaine de Ninive, à Bagdad et au Kurdistan. Les procédures judiciaires, quand elles existent, restent lentes, rarement exécutées et souvent entravées par des acteurs influents : responsables politiques ou administratifs, familles kurdes puissantes et notables locaux, parfois soutenus par des milices, qui profitent de leur position pour maintenir ces spoliations au détriment des communautés chrétiennes.
Ce phénomène est aggravé par des pratiques de falsification de titres de propriété, notamment dans le district de Nahla, confirme le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) dans sa contribution de mai 2025 pour le Rapporteur spécial de l’ONU sur les minorités. Alors qu’il devait se rendre en Irak en juin 2025, le Rapporteur spécial a annulé sa visite dans le contexte des frappes israéliennes en Iran. Certaines églises détruites par les djihadistes de l’État islamique n’ont pas été reconstruites, d’autres ont été transformées en mosquées. Il s’agit d’un « génocide patrimonial » qui efface progressivement la présence chrétienne, selon l’archevêque chaldéen de Mossoul, Monseigneur Najeeb.
La représentation politique des chrétiens repose officiellement sur un système de quotas. La loi électorale irakienne de 2020 réserve cinq sièges sur 329 au Parlement fédéral pour les chrétiens. Mais dans les faits, ces sièges sont fréquemment captés par les grands partis chiites, sunnites ou kurdes, qui imposent leurs candidats sur les listes minoritaires, transformant ce mécanisme en vitrine sans véritable effet protecteur. La situation s’est aggravée au Kurdistan : en février 2024, la Cour fédérale a annulé 11 sièges de quotas sur les 111 que comptait le Parlement régional, dont cinq réservés aux chrétiens (chaldéens-assyriens-syriaques) et un aux Arméniens. Cette suppression a provoqué l’indignation des minorités, qui ont annoncé un boycott des élections de juin 2024, avant que la Cour revienne partiellement sur sa décision en mai 2024, rétablissant seulement cinq sièges de quotas.
La crise provoquée en juillet 2023 par le retrait du décret présidentiel qui reconnaissait le statut officiel du cardinal Louis Raphaël Sako, patriarche de l’Église chaldéenne, et garantissait la protection juridique des biens ecclésiaux, illustre de manière saisissante la précarité institutionnelle des communautés chrétiennes en Irak. Contraint de quitter Bagdad pour Erbil, le patriarche a dénoncé un climat de pressions et d’atteintes contre l’Église. L’affaire a provoqué une onde de choc internationale, suscitant l’intervention de l’ayatollah Ali al-Sistani, des États-Unis et du Premier ministre Mohammed Shia al-Soudani, avant que le cardinal Sako puisse retrouver son statut et revenir à Bagdad en juin 2024.
La loi sur le statut personnel, adoptée en 1959, avait établi un cadre civil progressiste commun pour les questions familiales. Mais en janvier 2025, le Parlement a adopté des amendements ouvrant la possibilité pour les musulmans chiites de faire juger leurs affaires familiales en dehors du droit civil unifié, selon la jurisprudence jafarite, une loi islamique liberticide déjà appliquée en Iran. Les conséquences de cette réforme sont particulièrement préoccupantes : risque de mariages précoces, dès 9 ans pour les filles, inégalités accrues pour les femmes, et fragilisation des minorités, qui voient leurs droits familiaux soumis à des normes religieuses majoritaires. Pour les chrétiens, déjà confrontés à des conversions forcées d’enfants ou à des discriminations en matière d’héritage, cette évolution accentue encore leur vulnérabilité juridique et sociale.
Les chrétiens subissent également des attaques contre leurs moyens de subsistance. La fermeture arbitraire de commerces liés à la vente d’alcool – activité historiquement associée à leurs communautés – plonge de nombreuses familles dans la précarité. Plus largement, l’ECLJ note que les chrétiens sont relégués à des emplois précaires, rarement intégrés dans la fonction publique, et discriminés dans l’accès à l’éducation et aux services. Par exemple, l’enseignement islamique imprègne l’ensemble du cursus scolaire, et les chrétiens y sont considérés comme des « infidèles », des « dhimmis », ce qui façonne des représentations négatives dès le plus jeune âge.
Cette triple marginalisation des chrétiens alimente leur exode : leur population est passée de 1,5 million en 2003 à environ 140 000 aujourd’hui. Face à cette situation, l’ECLJ porte la voix des communautés chrétiennes auprès des instances internationales et européennes. Nous appelons également à soutenir les ONG locales, indispensables à leur survie et à leur avenir : des associations de défense des droits de l’homme comme Hammurabi, mais aussi des initiatives d’aide au retour comme The Return, fondée en 2023 par Dilan Adamat. Après avoir grandi en France, ce Franco-Irakien a choisi de revenir vivre à Ankawa, dans la banlieue chrétienne d’Erbil, et il s’efforce depuis de permettre aux familles déplacées de retrouver leurs terres, leurs maisons et leur dignité.