Un converti renvoyé au Pakistan ?
Au mois de mars 2020, l’ECLJ a soumis ses observations écrites dans l’affaire M.A.M c. Suisse (No. 29836/20). Cette affaire traite des dangers auxquels sont confrontés les musulmans du Pakistan qui quittent l'Islam pour se convertir à une autre religion. L'ECLJ a un bureau affilié au Pakistan, qui apporte une aide juridictionnelle aux minorités persécutées et a une connaissance directe de plusieurs des cas discutés dans les observations écrites soumises à la Cour.
Cette affaire concerne un demandeur d’asile pakistanais, converti au christianisme quelques temps après son arrivée sur le territoire Suisse. Sa demande fut néanmoins rejetée, le Tribunal administratif considérant qu’il n’y avait aucune raison de croire que ce dernier puisse subir des persécutions au Pakistan du fait de sa nouvelle religion. Les observations écrites visent donc à avertir la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) à propos de la situation déficiente du Pakistan à assurer la protection effective des Chrétiens et particulièrement des convertis de l'Islam.
En effet, au moment de statuer sur l’expulsion forcée d’une personne vers son territoire d’origine, la Cour doit au préalable évaluer les risques encourus par cette dernière de subir une quelconque forme de torture ou de traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention Européenne des droits de l'homme, ci-après la Convention), ou une atteinte à son droit à la vie (article 2 de la Convention). Cette obligation découle du caractère absolu revêtu par ces deux droits, et est réaffirmée dans la jurisprudence de la CEDH sur l’immigration. Le requérant a lui-même invoqué ces articles, ainsi que l’article 9 protégeant la liberté de religion.
Une persécution entérinée par la loi
Le Pakistan est un pays majoritairement musulman, dans lequel seulement 1,6 % de la population est chrétienne. Considérés comme des citoyens de « seconde-zone » et régulièrement persécutés, ils doivent régulièrement faire face à des comportements violents et des menaces. La situation est encore plus grave pour les convertis de l'Islam. Selon l’Index Mondial de Persécution des Chrétiens de 2019[1], le Pakistan se trouve en cinquième position sur la liste des pays où les chrétiens subissent le plus de persécutions. Les pratiques sociales, autant que les mesures nationales créent un important contexte d’insécurité.
L’Islam est la religion officielle de l’Etat, et son influence se constate dans de nombreux domaines. En effet, toutes les lois doivent être « mises en conformité avec les injonctions de l'islam telles que présentées dans le Coran »[2]. Bien que la liberté de religion semble être protégée par l’article 20 de la Constitution, la possibilité de restrictions légales est présente. Ainsi, les libertés d’expression et de presse peuvent raisonnablement être restreintes « dans l’intérêt de la gloire de l’Islam »[3]. Les observations écrites de l'ECLJ soulignent les lois sur le blasphème, qui punissent tout discours ou action considéré comme insultant envers l'islam, son livre sacré le Coran[4] ou son prophète Mahomet[5]. Ces lois prescrivent la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité. La jurisprudence montre que des accusations de blasphèmes sont facilement déposées, pour une simple conversation ou un post Facebook. Ces lois entretiennent un environnement d’intolérance religieuse qui est maintenant fermement enraciné dans la société.
Une persécution renforcée par la société
Récemment les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont reconnu la dimension publique de la foi en statuant sur une affaire de migration contre la Suisse[6]. Ainsi, les juges y rappellent que la possibilité pour une personne de pratiquer sa foi en public sans peur et sans risque est protégée par l’article 9 de la Convention Européenne des droits de l’Homme. Elle a considéré qu’il serait injuste d’imposer à une personne qu’elle pratique sa foi secrètement pour éviter les traitements inhumains ou dégradants[7]. Au Pakistan, les musulmans qui quittent l'islam et/ou se convertissent à d'autres religions le font uniquement dans le secret, craignant les conséquences sociales pouvant aller d'une ostracisation sociale, à la violence et même au meurtre. Et bien que le Pakistan n’ait pas édicté de loi concernant le crime d’apostasie, il est puni de la peine de mort par la Charia et demeure fermement ancré dans les mentalités. La pression sociale et les menaces sont exercées par le cercle familial contre les convertis, mais une fois la conversion rendue publique, des groupes religieux peuvent également jouer un rôle en ciblant le converti. Avec la possibilité d’être poursuivis pour avoir blasphémé contre les lois islamiques et donc le risque de répression sévère, ces gens sont contraints de fuir et de chercher une protection ailleurs.
Enfin, les observations de l'ECLJ montrent que les questions de mariage et de conversion forcés doivent aussi être sérieusement examinées. En effet, des jeunes filles chrétiennes sont ciblées et kidnappées pour être à des hommes musulmans plus âgés ; chaque année, ce sont environ 1000 jeunes filles chrétiennes et hindous qui sont converties de force et mariées à des hommes musulmans[8]. Une fois encore, la protection nationale semble faire défaut et les tribunaux prennent rarement des mesures contre ces pratiques. Malgré une loi interdisant les mariages d'enfants, les tribunaux pakistanais maintiennent les mariages de jeunes filles sur la base de la charia, qui ne considère pas les jeunes filles comme mineures quand elles atteignent la puberté.
Nous espérons que la Cour européenne des droits de l'homme se prononcera sur cette affaire dans quelques mois. L'ECLJ espère que ses observations écrites aideront la Cour à reconnaître la gravité de la situation des chrétiens au Pakistan et, par conséquent, l'incapacité des tribunaux suisses à l'évaluer correctement.
L'ECLJ est déjà intervenu dans des affaires similaires, notamment dans l'affaire F.G c. Suède (n° 43611/11) dans laquelle nous avons souligné la situation critique à laquelle sont confrontés les chrétiens en Iran. L'ECLJ a averti que la décision de renvoyer un chrétien converti en Iran entraînerait un risque grave de persécution et violerait donc l'article 3 de la Convention[9]. La Cour européenne avait affirmé l’obligation pour les autorités nationales d’évaluer de manière approfondie les risques auxquels sont exposés les migrants avant de statuer sur leur renvoi, sous peine de violer les articles 2 et 3 de la Convention.
L'ECLJ rédige régulièrement des rapports sur les questions de liberté religieuse dans différents États membres des Nations unies, et, dernièrement, a alerté l’ONU sur les situations défaillantes de la Grèce[10] et de la République du Soudan[11].
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[1] Index Mondial de Persécution des Chrétiens, 2019, https://www.portesouvertes.fr/uploads/pdf/file/8/rapport-index-mondial-de-persecution-des-chretiens.pdf
[2] CONSTITUTION DU PAKISTAN, Art 227, http://www.pakistani.org/pakistan/constitution/part9.html
[3] Id. Art 19, http://www.pakistani.org/pakistan/constitution/part9.html
[4] CODE PENAL DU PAKISTAN. §295-B, http://www.pakistani.org/pakistan/legislation/1860/actXLVof1860.html
[5] Id. CODE PENAL DU PAKISTAB. §295-C
[6] A.A c. Suisse (NO. 32218/17), 5 novembre 2019
[7] Appel d’air ou protection du réfugié, Nicolas Bauer, https://eclj.org/religious-freedom/echr/la-cedh-reconnait-la-dimension-publique-de-la-foi-pour-empecher-une-expulsion
[8] 1,000 Minority Girls Forced in Marriage Every Year: Report, Dawn (Apr. 8, 2014), https://www.dawn.com/news/1098452.
[9] Written observations, F.G. v. Sweden (Application n°43611/11) by the European Centre for Law and Justice, 15 September 2014, https://eclj.org/asylum/echr/f-g-v-sweden.
[10] Universal Periodic Review 39th Session, Status of Human Rights in Greece, https://eclj.org/religious-freedom/upr/universal-periodic-review-2021-greece
[11] Universal Periodic Review, 39th Session, Status of Human Rights in the Republic of Soudan, https://eclj.org/religious-freedom/upr/universal-periodic-review-2021-sudan