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Le Tribunal constitutionnel espagnol impose la mixité à une confrérie religieuse masculine

Le Tribunal constitutionnel espagnol impose la mixité à une confrérie religieuse masculine

Par ECLJ1734626181671
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Le 13 novembre 2024, le Tribunal constitutionnel espagnol a rendu une décision très attendue (STC 132/2024) sur un recours introduit par une certaine María Teresita Laborda Sanz. Sa demande : intégrer la « Pontificia, Real y Venerable Esclavitud del Santísimo Cristo de La Laguna », une confrérie religieuse organisant des activités dévotionnelles à La Laguna (îles Canaries). Problème : elle est une femme et la confrérie est réservée aux hommes. Sa requête alléguait une violation du droit à l’égalité et à la non-discrimination pour raison de genre (art. 14 Constitution espagnole, ci-après CE) ainsi que du droit d’association (art. 22 CE).

Par Nicolas Sanchez.
Photo: Événement du 14 septembre 2023 de la Pontificia, Real y Venerable Esclavitud del Santísimo Cristo de La Laguna. Source ici.

Faits et procédure

En première instance, Mme Laborda a introduit une requête demandant l’annulation de l’article 1 du Statut de la confrérie. Cet article définissait la confrérie comme une association d’hommes. Le tribunal a donné gain de cause à la requérante et a déclaré nulle cette clause statutaire excluant les femmes.

Par la suite, la confrérie a interjeté appel de cette décision, soutenant que sa composition masculine était protégée par son droit à la liberté religieuse (art. 16 CE) et à l’autonomie d’auto-organisation (art. 6 Ley Órganica de Libertad Religiosa, LORL). Cependant, la Cour provinciale a confirmé le jugement de première instance, maintenant la nullité de l’article statutaire.

La confrérie, en désaccord avec ces décisions, a introduit un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. La confrérie a fait valoir que les activités de la confrérie étaient exclusivement religieuses et que son autonomie était protégée par la liberté religieuse. Elle a nié que l’exclusion des femmes constituait une discrimination, défendant son droit d’établir des critères d’admission. La Cour suprême a accueilli le pourvoi en cassation, annulé les décisions précédentes et rejeté la demande de Mme Laborda, considérant que la confrérie ne portait pas atteinte aux droits fondamentaux, ses activités étant protégées par la liberté religieuse.

Cela n’a pas découragé Mme Laborda qui a alors déposé un recours en « protection constitutionnelle » (recurso de amparo) devant le Tribunal constitutionnel. Elle a fait valoir que l’exclusion des femmes de la confrérie constituait une violation de leur liberté d’association et une discrimination directe fondée sur le genre, contraire à l’article 14 de la Constitution espagnole. Le ministère public a soutenu le recours, arguant que cette exclusion manquait de fondement raisonnable et portait atteinte au droit à l’égalité et à la non-discrimination.

Le Tribunal constitutionnel a fait droit à ce recours en protection constitutionnelle présenté par Mme Laborda, déclarant que ses droits fondamentaux à l’égalité et à la liberté d’association avaient été violés, et annulant la décision de la Cour suprême. Le Tribunal constitutionnel a également déclaré la nullité de l’article du Statut qui excluait les femmes.

 

Une jurisprudence ignorant l’autonomie des organisations religieuses

En droit espagnol, les articles 16.3 CE et 6 LORL font référence à la dimension institutionnelle des confessions religieuses et à leur autonomie, protégeant leur capacité d’auto-normativité et d’auto-organisation : régime interne, régime de leur personnel, structure propre. Cela découle de la liberté religieuse collective des confessions et de la liberté individuelle de leurs membres, condition du libre développement de la personnalité (article 10.1 CE).

En principe, seules les confessions religieuses sont compétentes pour réglementer juridiquement les matières de leur intérêt, dans lesquelles elles se montrent autonomes par rapport à l’État. Cette autonomie est une garantie institutionnelle des confessions religieuses en droit espagnol.

Par conséquent, les conflits qui peuvent apparaître dans ces domaines doivent être réglés conformément à leurs propres normes, sans qu’il soit possible d’appliquer le droit de l’État, même s’il est de rang constitutionnel. Ce régime a été validée par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Fernández Martínez c. l’Espagne (2014), relative au licenciement d’un professeur de religion catholique dans un lycée public.

L’arrêt du Tribunal constitutionnel espagnol remet ainsi en cause l’autonomie des confessions et des communautés religieuses, dimension pourtant essentielle du droit à la liberté religieuse en droit espagnol et en droit international.

 

Le rejet des arguments du diocèse

Les arguments de l’Évêché de Tenerife résumés dans la partie 7, a) de l’arrêt vont dans ce sens, en soulignant que l’appréciation correcte de l’affaire exige de respecter le droit à la liberté religieuse, comme l’impose l’article 16 de la Constitution, car il s’agit d’une association ayant des objectifs exclusivement religieux. Dans cette association, «le cultuel, ce qui relève du culte et du religieux, est fondamental, tandis que le culturel est simplement accessoire. Par conséquent, nous nous trouvons dans un domaine où l’État doit rester neutre, non seulement en respectant le domaine de liberté d’auto-organisation de l’association, mais également en garantissant le champ de la liberté religieuse, sans autre limite que celle nécessaire au maintien de l’ordre public protégé par la loi, dans ses manifestations».

Au point 4 des Fondements juridiques, le Tribunal constitutionnel explique au contraire que la non-admission des femmes dans la confrérie n’est pas considérée comme justifiée par des motifs religieux. Par conséquent, la règle statutaire qui interdit l’accès aux femmes ne bénéficie pas de la protection du droit fondamental à la liberté religieuse.

Une autre interprétation aurait mené à une conclusion différente. En se fondant sur le principe de l’autonomie des confessions religieuses, les juges auraient dû logiquement conclure que cette règle était protégée par la liberté religieuse. La confrérie étant une association religieuse, ses règles internes font partie de sa liberté d’auto-organisation.

 

La relation entre liberté d’association et liberté religieuse

Dans la section b) du point 4, le Tribunal constitutionnel aborde l’affaire du point de vue du droit fondamental d’association reconnu par l’article 22 CE, en considérant qu’une association canonique est une simple sous-catégorie des «associations».

Cela est discutable pour plusieurs raisons, la première étant qu’une association canonique, créée selon les règles de l’Église, ne peut être traitée comme une simple association générique relevant de l’article 22 de la Constitution espagnole, qui protège le droit d’association en général. Les associations canoniques ne sont pas de simples sous-catégories des associations génériques. Au contraire, elles bénéficient d’une protection spécifique liée à leur caractère religieux, garanti par le droit fondamental à la liberté religieuse de l’article 16.1 de la Constitution. La LOLR précise par ailleurs clairement à l’article 2.1, d) que l’association religieuse est une expression du droit à la liberté religieuse.

Un autre argument fréquent dans l’arrêt est celui de la «position de domination» de la confrérie dans l’action culturelle et sociale de la municipalité, en raison de son rôle dans l'organisation des actes processionnels et des activités liées à l’image du Saint Christ. Cet argument n’est pas pertinent, car il est fondé sur l’idée qu’une autorité publique serait légitime à intervenir dans une matière strictement religieuse pour mettre le religieux au service des motifs culturels et sociaux.

L’arrêt du Tribunal constitutionnel met définitivement fin au parcours juridictionnel en Espagne. À présent il ne reste plus que les juridictions internationales pour mettre éventuellement un frein à cette application abusive du principe de non-discrimination.

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