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Human Rights and Progressivism

Human Rights and Progressivism

By Grégor Puppinck1682686534446

This article will be translated as time permits.

Le juge Georgios Serghides présente en quelques mots la vision progressiste de la CEDH, en marge de l’affaire Simeonovi contre la Bulgarie du 12 mai 2017 :

Le préambule de la Convention [européenne des droits de l’homme] énonce que le but du Conseil de l’Europe est «de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyens d’atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales». Cette considération exprime le dynamisme nécessaire et cultive l’idée d’un progrès des droits de l’homme. Tout abaissement du niveau de protection des droits de l’homme, ou tout recul que l’on pourrait qualifier de «dévolution», non seulement n’est pas souhaitable mais de plus sort à mon avis du cadre de la Convention. Le juge Oliver Wendell Holmes a judicieusement déclaré que «la grandeur ne se mesure pas à l’endroit où nous sommes mais à la direction vers laquelle nous tendons». Cela vaut également pour l’avenir des droits de l’homme. Je pense que le navire de la Convention doit aller en avant et non en arrière et qu’à chaque fois qu’une affaire arrive devant la Cour [européenne des droits de l’homme, ci-après CEDH], en particulier devant la Grande Chambre, […] un nouveau voyage du navire de la Convention débute et le compas doit toujours l’orienter de manière effective vers sa destination promise.

Les droits de l’homme, depuis les Lumières, sont au cœur de l’idéal du progrès. Cet idéal, les institutions internationales fondées après-guerre ont entrepris de le réaliser. Par la Charte des Nations Unies, les peuples se déclarent résolus à «favoriser le progrès économique et social de tous les peuples» et instituent des commissions pour «le progrès des droits de l'homme».

Toute idée de progrès implique celle d’un but. Pour les grands textes des Nations unies, il s’agit de réaliser «l'idéal de l'être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques et libéré de la crainte et de la misère»[1]. Le but du progrès des droits de l’homme est ainsi un idéal sans limite, il a vocation à être indéfiniment poursuivi selon l’idée, changeante, que l’on se fait de l'être humain. Contrairement à l’ordre politique moderne dont la légitimité est fondée sur l’État et le peuple, celle des droits de l’homme, qui lui a succédé, est suspendue à cette finalité idéale. Les instances de protection et de promotion des droits de l’homme doivent sans cesse s’en rapprocher pour tenir leur promesse et demeurer crédibles. Les droits de l’homme sont ainsi inscrits dans une double dynamique de progrès : quant aux institutions qui les promeuvent et quant à leur objet. Cette dynamique s’opère sur plusieurs plans, par le développement de la raison, de la connaissance des droits, et de leur reconnaissance dans le temps et dans l’espace.

 

Développement de la raison

La CEDH, dans son fonctionnement, poursuit un idéal de rationalité, par l’application de principes universels à des situations spécifiques, à la lumière de données empiriques objectives, et au moyen de raisonnements standardisés conçus sur le modèle scientifique. La CEDH peut être décrite comme une machine à produire des jugements, soumise à des exigences quantitatives et qualitatives. Son fonctionnement se veut tant rationnel qu’il est envisagé de l’automatiser au moyen d’algorithmes. L’accumulation de cette jurisprudence doit constituer progressivement un corpus dont la cohérence et l’universalité résulteraient directement de sa rationalité. La conception de ce vaste édifice normatif doit échapper au pouvoir vulgaire de la politique pour être réservée à des juges-experts supposés sages et désintéressés, tels les anciens clercs. Ainsi, le corpus des droits de l’homme, tel le magistère catholique ou orthodoxe, se conçoit comme se déployant dans le temps et dans l’espace de façon homogène et continue. L’universalité de ce magistère profane est facilitée par l’instauration d’un dialogue soutenu avec les autres instances de protection des droits de l’homme, au point de former un maillage global d’institutions développant un même discours et idéal.

 

Développement des droits et libertés

Ce « progrès des droits de l’homme » n’est pas seulement celui de leur « reconnaissance et application universelles et effectives » à travers le monde, évoqué par la Déclaration universelle, il est aussi celui de leur contenu qui aurait vocation à s’accroître indéfiniment par développement logique des droits préexistants.

Le progrès des droits de l’homme est communément envisagé comme le résultat de celui, conjugué, de la science et de la morale, traduit en droit par la mécanique des principes universels. Ces principes, tels l’égalité et la liberté, sont d’une telle puissance qu’aucune réalité tangible ne semble leur résister, au point que la logique des droits recouvre progressivement l’étendue de l’expérience humaine. Les droits de l’homme seraient ainsi contraints, par la nécessité de leur propre logique, de s’actualiser, de se développer et de dissoudre tout obstacle à l’idéal de l’homme libre. Cette mécanique produit des décisions rationnelles, mais qui peuvent manquer de prudence en ce qu’elles sont conçues au plan des principes abstraits, et peuvent dès lors être perçues comme excessives et idéologiques par les peuples, d’autant plus lorsque les obstacles ainsi dissouts sont constitutifs de la société.

La Cour assume la perspective progressiste des droits de l’homme et déclare en ce sens qu’il «est d’une importance cruciale» que la Convention soit «interprétée et appliquée» d’une manière «dynamique et évolutive», afin de permettre la «réforme ou l’amélioration»[2] de la société. À cette fin, elle voit dans la Convention, non pas un traité gravé dans le marbre, mais un «instrument vivant»[3] au contenu souple et extensible devant être interprété «à la lumière des conditions d’aujourd’hui»[4]. Grâce à ce pouvoir d’interprétation évolutive, le juge européen parvient à libéraliser certaines pratiques et à en condamner d’autres ; il réalise ce faisant l’ambition de former une cour constitutionnelle européenne qui ne serait plus soumise au droit des traités, mais pourrait couronner et dominer l’ordre juridique européen.

 

Développement dans le temps

Le progrès des droits de l’homme se réalise dans le temps, non seulement parce que celui-ci serait nécessaire à l’homme pour concevoir l’extension de l’égalité et de sa propre liberté, et pour s’y s’habituer, mais aussi parce que l’accumulation de jugements aurait pour effet mécanique d’affiner et d’améliorer le magistère des droits de l’homme. Ainsi, le temps des droits de l’homme est moins celui de la justice – pour qui le temps permet d’apaiser les conflits - que celui du «progrès de la conscience».

Que ce progrès historique soit, ou non, une fatalité, il appartient aux instances telles que la CEDH de l’accompagner et de l’activer avec volontarisme. Le sens et la direction du progrès étant connus, la mission de la CEDH serait d’ouvrir la voie au progrès de la société en condamnant ses défauts, mais aussi en encourageant ses potentialités. À cette fin, elle observe «les conditions de vies actuelles», les «changements qui se font jour»[5], l’évolution des mœurs, des opinions et du droit comparé. Lorsqu’elle constate et apprécie une tendance nouvelle dans la société, la Cour va alors l’accompagner pour, progressivement, la consolider en lui donnant force de droit, jugeant ainsi le présent au nom d’un futur souhaitable.

Ce pouvoir n’a de juridique que la forme ; il est plutôt de nature prophétique. Parler de justice ou d’injustice n’a plus de sens si ce qui était accepté hier ne l’est plus aujourd’hui aux yeux d’une même Cour et au regard d’une même Convention. Dans la perspective progressiste, le critère de la justice n’est plus le respect du droit mais celui du prétendu sens de l’histoire. La justice est alors toute relative, elle se contredit et se dépasse sans cesse dans un processus dialectique. Chaque décision est une avancée en attente d’être dépassée par un nouveau progrès. Mais chaque progrès nécessite la condamnation d’un innocent, car il sanctionne rétroactivement des faits accomplis sous l’empire et dans le respect du droit antérieur. La Cour admet que ses revirements jurisprudentiels ne sont pas, dit-elle, «dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité du droit et de l’égalité devant la loi», mais elle les déclare néanmoins nécessaires pour conserver «une approche dynamique et évolutive»[6]. La principale difficulté pour la Cour consiste à mesurer le rythme auquel imposer ce progrès, sans trop brusquer les États. La Cour admet «qu’elle ne doit pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales»[7] et leur accorde une «certaine marge d’appréciation pour choisir le rythme d’adoption des réformes législatives»[8] nécessaires pour suivre ce progrès. Le principe est bien affirmé : la Cour fixe le cap et module, selon les circonstances, la vitesse à laquelle les États doivent progresser, tels des élèves.

Une fois accomplis, ces progrès se doivent d’être irréversibles, c’est pourquoi le droit international des droits de l’homme pose un principe de non-rétrogradation suivant lequel un État ne peut retirer le bénéfice d’un droit déjà reconnu.

***

[1] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966.

[2] CEDH, Y.Y. c. Turquie, n° 14793/08, 10 mars 2015. § 103.

[3] CEDH, Tyrer c. Royaume-Uni, n° 5856/72, 25 avril 1978. Cette notion est empruntée à la Cour Suprême des Etats-Unis, in Trop v. Dulles, 356 U.S. 86 (1958), 31 mars 1958. Ce mode d’interprétation est, en principe, propre aux constitutions et non aux traités internationaux.

[4] CEDH, Marckx c. Belgique, n° 6833/74, 13 juin 1979, § 41 ; Tyrer c. Royaume-Uni, n° 5856/72, 25 avril 1978, § 31 ; CEDH, Airey c. Irlande, n° 6289/73, 9 octobre 1979, § 26.

[5] CEDH, Vallianatos c. Grèce [GC], n° 29381/09, 7 novembre 2013, § 84.

[6] CEDH, Bayatyan c. Arménie [GC], n° 23459/03, 7 juillet 2011, § 98.

[7] CEDH, Schalk et Kopf c. Autriche, n° 30141/04, 24 juin 2010, § 62.

[8] Ibid., § 205 ; CEDH, Aldeguer Tomás c. Espagne, n° 35214/09, 14 juin 2016. Voir aussi S. H. et autres c. Autriche [GC], n° 57813/00, 3 novembre 2011.

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