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Faudra-t-il être vacciné pour pouvoir voter ?

Faudra-t-il être vacciné pour voter ?

Par Christophe Foltzenlogel1642022696360
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Seuls les citoyens ont le droit de vote. Si les non-vaccinés ne sont pas des citoyens, comme l’a déclaré M. Macron, auront-ils encore le droit de vote lors des prochaines élections ? La question n’est malheureusement pas absurde. En Lettonie, les députés non-vaccinés n’ont plus le droit de voter, tandis que le Parlement français a rejeté un amendement visant à garantir l’accès aux bureaux de vote aux non-vaccinés. Le Gouvernement invoquera-t-il la crise sanitaire pour introduire en France le vote électronique ou postal aux élections présidentielle et législatives ?

Envisager cette question il y a deux ans eut été surréaliste ; poser cette question il y a un an était « complotiste » ; poser cette même question aujourd’hui est une nécessité pour la protection des droits civiques. Petits pas après petits pas, plusieurs indices montrent que l’on se dirige vers cette hypothèse, en contradiction complète avec les principes et les constitutions des démocraties occidentales, ainsi qu’avec les conventions internationales.

Le premier élément légitimant une telle question est l’évolution rapide et continue de la législation française vers l’obligation vaccinale. La vaccination a d’abord été ouverte à certaines catégories de personnes, puis à toute la population majeure. Un « passe sanitaire » comprenant la vaccination comme moyen d’en bénéficier parmi trois possibilités fut adopté. D’abord uniquement réservé aux grands événements, la passe sanitaire a été étendu après l’été à des services et activités de la vie de tous les jours. L’obligation vaccinale a été votée pour certaines catégories professionnelles. Enfin, la durée de validité des tests PCR ou antigéniques a été réduite à 24h et à présent, le passe sanitaire est transformé en passe vaccinal, interdisant ainsi à toute personne non-vaccinée d’aller au restaurant, au cinéma, à la piscine et dans tous les autres lieux où ce passe vaccinal est requis. Par cette méthode progressive s’étalant sur un an, le Gouvernement a réussi à faire changer l’opinion publique, d’abord majoritairement sceptique à l’égard du vaccin et du passe sanitaire, à une majorité résignée ou favorable à l’obligation vaccinale.

L’adoption du passe vaccinal par l’Assemblée nationale en première lecture se rapproche grandement d’une obligation vaccinale. Cet objectif d’arriver à la « vaccination de tous » a été explicité tant par le Ministre de la santé, le Premier Ministre, le Porte-Parole du Gouvernement et même le Président de la République. Mercredi 15 décembre 2021, Emmanuel Macron avait affirmé dans une interview à TF1 et LCI à propos de l’obligation vaccinale que « C’est tout à fait possible, cette hypothèse existe […]. Nous sommes quasiment à l’obligation vaccinale. » Dans l’interview du Parisien du 4 janvier 2022, celui-ci critiqua le choix de millions de Français de ne pas être vaccinés contre la covid-19, particulièrement ceux qui le font au nom de la liberté individuelle : « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen. » Ces propos sont particulièrement forts car le Président lie la vertu sociale d’agir de manière responsable à la citoyenneté elle-même. Selon lui, le fait de refuser le vaccin contre la covid-19 démontre en lui-même l’irresponsabilité d’une personne et la déchoit de facto de sa citoyenneté.

Précisément, un citoyen, c’est l’individu considéré du point de vue de ses droits politiques ; c’est une personne jouissant de ses droits civils et politiques. Or, dénier à une personne sa qualité de citoyen, c’est par le fait même lui enlever la jouissance de ses droits civils et politiques au nombre desquels se trouve le droit de vote. Par conséquent, d’un point de vue juridique, les propos d’Emmanuel Macron sont donc d’une gravité extrême car, en une phrase et de manière radicale, il retire le titre de citoyen et les droits qui y sont attachés à des personnes qui refusent la vaccination contre la covid-19. D’autant qu’il a encore ajouté lors d’une conférence de presse le 7 janvier 2022 que « Être citoyen c’est avoir des droits et des devoirs et ce sont d’abord des devoirs. » Comme s’il fallait d’abord remplir ses devoirs pour bénéficier de ses droits. Ses affirmations ne se limitent pas à la question de ce vaccin mais sont générales et absolues. Elles pourraient être appliquées à n’importe quel autre sujet. Alors même que nombre de personnes sont condamnées pour des crimes graves sans qu’une peine de privation du droit de vote ne soit prise contre eux, des personnes ne commettant aucune illégalité seraient déchus de leur citoyenneté ? C’est d’une injustice criante et vient renforcer la crainte de voir les prochains votes soumis au passe vaccinal, excluant par là-même des millions d’opposants à M. Macron.

Contre une telle atteinte potentielle à un droit civique fondamental, à savoir le droit de vote, pour des personnes n’ayant commis aucune infraction, des députés ont demandé au Gouvernement de garantir légalement que les personnes non vaccinées contre la covid-19 auront bien le droit de voter lors des prochaines élections. Comme lors des précédents débats sur les précédentes versions du passe sanitaire, un amendement a à nouveau été soumis pour formellement exclure les lieux d’exercice de la démocratie du champ d’application d’un passe vaccinal ou d’un passe sanitaire. Il fut rejeté après avis défavorable du Gouvernement et de la commission sans plus d’arguments après que Mme Blin eut défendu cet amendement.

Par ailleurs, la question de l’exigibilité du passe sanitaire pour assister à des réunions politiques continue de se poser. Dans sa décision du 9 novembre 2021, le Conseil constitutionnel avait clairement déclaré que : « la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l’accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques. » Malgré cela, le projet de loi adopté en première lecture à l’Assemblée pousse encore pour la possibilité de l’imposer pour des réunions et des activités politiques :

Par dérogation aux deux premiers alinéas du présent F, la personne responsable de l’organisation d’une réunion politique peut en subordonner l’accès à la présentation du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid‑19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid‑19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid‑19.

Certains candidats, comme Valérie Pécresse, ont annoncé qu’ils l’exigeraient si cela leur était possible. Il est donc probable que certains candidats le demanderont et d’autres non, en faisant par là un enjeu politique, alors que cela devrait être une question réellement et uniquement sanitaire.

 

Le précédent inquiétant de la Lettonie

Requérir la vaccination d’une personne pour exercer ses droits civiques comme le droit de vote ne serait pas une première en Europe. La Lettonie a adopté une loi interdisant aux députés et aux élus locaux non-vaccinés de voter, de participer aux débats et de toucher un salaire. Un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination reste cependant possible pour ces élus, offrant par là une mince échappatoire à la vaccination. Élément particulièrement choquant, la possibilité de participer aux réunions en commission à distance par l’internet n’est pas possible pour ces élus[i]. Des manifestations contre cette restriction et les autres adoptées par le Gouvernement ont eu lieu dans ce pays, comme d’ailleurs dans la plupart des autres pays occidentaux mettant en place des restrictions. Cependant, l’atteinte au mandat démocratique de ces députés refusant la vaccination, l’atteinte à l’égalité des citoyens et au pluralisme démocratique n’ont pas ému beaucoup d’autres pays de l’Union européenne, au contraire.

Le Gouvernement autrichien cherche à légaliser l’obligation vaccinale générale sous peine d’amende. Alors que l’entrée en vigueur d’une telle obligation était prévue pour le 1er février, des difficultés techniques repoussent à avril la mise en place d’une telle obligation. Le Gouvernement allemand agit dans la même optique. La Grèce et l’Italie ont choisi d’imposer la vaccination à toute personne respectivement de plus de 60 ou 50 ans. Si ces obligations étaient définitivement adoptées, un scrutin démocratique pourrait même potentiellement être utilisé pour vérifier le statut vaccinal des votants.

 

Qu’attendre de la CEDH ?

Le climat anxiogène actuel laisse également présager que la vaccination pourrait être requise pour voter, alors même que la jurisprudence européenne devrait nous protéger d’une telle atteinte. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est déjà prononcée dans plusieurs affaires à propos de la déchéance des droits civiques et l’on peut constater qu’elle n’a accepté une telle atteinte que dans de très rares exceptions. La CEDH a souvent reconnu un but légitime à la déchéance des droits civiques, mais elle a, la plupart du temps, contesté ces déchéances car elles étaient disproportionnées, trop longues, automatiques ou non aménagées. Selon la Cour, même lorsqu’une personne est emprisonnée, il n’est pas admissible que celle-ci perde automatiquement ses droits de citoyens. En effet, la Cour est particulièrement attentive à la modulation d’une telle peine et aux particularités de chaque individu visé. Il serait donc tout à fait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne de priver tout citoyen non-vacciné du droit de vote. D’abord car il n’y a pas légalement d’obligation vaccinale, par conséquent, une personne qui ne se vaccine pas ne commet, à ce jour en France, aucun délit. De plus, quand bien même ne pas se faire vacciner serait légalement réprimé, la privation du droit de vote de toute personne non-vaccinée serait jugée en principe trop générale et automatique par cette cour. En principe seulement car le courage de la CEDH a tendance à s’effriter rapidement face à certains États. Ainsi, si plusieurs États venaient à rendre la vaccination contre la covid-19 obligatoire, la Cour constaterait l’absence de consensus européen sur la question, laisserait une plus grande marge d’appréciation aux États et pourrait potentiellement accepter que certains restreignent les droits démocratiques d’une catégorie de personnes. Cela serait tout de même un revirement de jurisprudence.

L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politique des Nations unies interdit également toute discrimination empêchant un citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu. Le principe de la protection des droits civiques de tous les citoyens a toujours été très fortement défendus et les exceptions extrêmement circonstanciées.

 

La perspective du vote électronique ou postal ?

Les échéances électorales arrivent vite et avant d’empêcher une personne non-vaccinée d’accéder à un bureau de vote, une réflexion sur les alternatives possibles devrait avoir lieu. Par exemple, si le vote électronique ou par voie postale était accessible pour les personnes non-vaccinées, l’accès aux bureaux de vote pourraient être conditionnés à la présentation d’un passe vaccinal. Dans cette hypothèse, il n’y aurait pas d’atteinte au droit de vote puisqu’une personne non-vaccinée pourrait tout de même voter par internet ou par courrier et la discrimination pourrait être jugée comme proportionnée à l’objectif de lutte contre la propagation de l’épidémie.

Les deux moyens de vote à distance présentent plusieurs problèmes quant à leur fiabilité. Dans le cas du vote par voie postale, c’est la sécurisation de l’envoi du vote et la possibilité de voter plusieurs fois qui sont les deux faiblesses principales de ce moyen de vote. C’est en raison de la difficulté d’empêcher des personnes de voter plusieurs fois et de ne pas pouvoir garantir à une personne que son vote a été pris en compte que ce mode de votation a été abandonné en France, avant d’être réintroduit pour les Français de l’étranger pour les élections législatives uniquement ainsi que pour les détenus. Le vote par correspondance des détenus a été expérimenté lors des élections européennes de 2019 et a été pérennisé pour les autres élections par une loi du 27 décembre 2019. Pour le vote en ligne, à ce jour, aucun logiciel ou système de vote électronique n’a pu démontrer son inviolabilité[ii].

De plus, que le vote se fasse par voie électronique ou postale, se pose la question de savoir si cette option serait offerte à tous les citoyens, ou uniquement aux « non-vaccinés ». Cette deuxième hypothèse nécessiterait de dresser une liste de cette catégorie de personnes ce qui, là encore, pose autant de problèmes logistiques que constitutionnels.

En principe l’élection présidentielle du 10 et 24 avril 2022 devrait se tenir conformément aux dispositions de la loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République. Celle-ci prévoit entre autres que « les électeurs sont convoqués par un décret publié au moins dix semaines avant la date du premier tour de scrutin. » Si les électeurs doivent être convoqués au plus tard le 30 janvier 2022, il parait irréaliste de modifier la loi avant cette date et il n’est en principe pas possible de modifier les règles d’un scrutin lorsque celui-ci est en cours.

Cependant, selon un communiqué officiel du Conseil constitutionnel du 11 janvier 2022, le président du Conseil a reçu le Ministre de l’intérieur qui « a évoqué la possibilité que, après concertations, le Gouvernement élabore de nouvelles mesures d’organisation qui apparaîtraient rendues nécessaires par la crise sanitaire, afin de garantir le bon déroulement de l’élection présidentielle. » Laurent Fabius, Président du Conseil constitutionnel, n’a pas émis de réserves à cela, mais a simplement confirmé que le Conseil contrôlerait la constitutionalité d’une telle loi.

En fait, dans la mesure où le vote par correspondance est à ce jour déjà légalement prévu de manière exceptionnelle, une extension de son application aux non-vaccinés serait légalement possible. De même, une modification express de la loi en raison de « l’urgence sanitaire » ne peut être juridiquement exclue, d’autant que le Gouvernement y aurait un intérêt politique.

 

La vaccination est devenue aujourd’hui une question politique

Selon différents instituts de sondage, le statut vaccinal a une corrélation avec les opinions politiques et une forte majorité des personnes non-vaccinées est opposée à l’actuel Gouvernement. En faisant de la vaccination nationale une question politique prioritaire, le Gouvernement fait lui-même sortir la question vaccinale du champ purement médical pour la faire entrer dans le champ politique. La vaccination est devenue aujourd’hui une question politique : le gouvernement se vante des chiffres de la vaccination nationale, y voyant les preuves d’une confiance et d’un plébiscite de sa politique de la part des citoyens. À l’opposé, certains se vantent de refuser la vaccination par opposition au gouvernement et non pour des motifs médicaux, scientifique, religieux ou philosophique. Il y aurait donc à la fois un intérêt et une opportunité pour le gouvernement et son parti d’empêcher les « non-vaccinés » de voter.

Ainsi, si le Gouvernement trouvait en temps et en heure des solutions techniques pour faire voter à distance les non-vaccinés ou réussissait à adopter une obligation vaccinale, il est malheureusement probable que les juridictions suprêmes n’y trouveraient rien à condamner.

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[i] Tom Theuns and Josette Daemen, The Latvian ban on unvaccinated MPs should be a wake-up call | View, Euronews, 18 novembre 2021, accessible ici.

[ii] Éric Chaverou, Le vote électronique en mal de confiance dans le monde, France culture, 4 mars 2019, accessible ici.

Pour l'objection de conscience à la vaccination obligatoire
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