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Rapport sur l’État de droit en Europe : le « double standard » de la Commission européenne

Le double standard de la Commission UE

Par ECLJ1610121441492
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Article de Patryk Regalski.

Le 30 septembre, la Commission européenne publiait un rapport sur la situation de l’État de droit dans les 27 pays membres de l’Union européenne. Il s’agit du premier acte d’un exercice destiné à se répéter désormais tous les ans dans le cadre d’un nouveau « mécanisme européen de protection de l’État de droit » que la Commission et le Parlement européen souhaiteraient imposer aux 27. Dans la partie du rapport concernant l’Union dans son ensemble, la Commission explique que « le mécanisme de protection de l’État de droit s’inscrit dans le cadre d’une démarche plus large à l’échelon de l’UE visant à renforcer les valeurs de démocratie, d’égalité et de respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités. Il sera complété par une série de futures initiatives, dont le plan d’action pour la démocratie européenne, la nouvelle stratégie pour la mise en œuvre de la charte des droits fondamentaux ainsi que des stratégies ciblées sur les besoins des personnes les plus vulnérables de la société afin de promouvoir une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la justice, la solidarité et l’égalité. »

 

De nouveaux instruments pour faire respecter l’État de droit et les valeurs européennes depuis Bruxelles

L’intention de la Commission et de la majorité du Parlement est de contourner l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, car il conditionne à un vote à l’unanimité de tous les autres États membres la décision de sanctionner un État membre pour manquement au respect de l’État de droit ou « violations graves des valeurs de l’Union ». En outre, les institutions de l’UE cherchent à étendre et détailler les « valeurs » soumise à la surveillance de la Commission puisque celle-ci prétend désormais, pour reprendre les mots employés par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen lors de la présentation de ce premier rapport, « travailler avec les autorités nationales pour trouver des solutions et garantir les droits et libertés des citoyens au quotidien ». Les déclarations de Vera Jourová, la vice-présidente chargée des valeurs et de la transparence, et celles de Didier Reynders, le commissaire en charge de la justice et des consommateurs, confirment aussi cette vision de la Commission Von der Leyen selon laquelle les États membres de l’Union européenne auraient, pour certains, de « graves problèmes » avec l’État de droit et les valeurs européennes et qu’il faudrait donc que la Commission exerce une surveillance dans ce domaine.

Cette initiative de la Commission s’inscrit dans le contexte des négociations budgétaires en cours entre le Conseil et le Parlement européens marquées par le conflit important relatif au conditionnement des fonds européens à l’évaluation par la Commission du respect de l’État de droit dans les pays membres.

Ce nouveau rapport annuel sur le respect de l’État de droit dans les 27 pays membres de l’UE n’est donc pas à prendre à la légère puisque, ainsi qu’il est écrit dans son introduction concernant l’ensemble de l’UE, « les évaluations figurant dans le rapport annuel servent de point de référence ». En même temps, selon la Commission, ce rapport « couvre tous les États membres sur une base objective et impartiale ».

 

Un rapport violemment critiqué à Budapest et Varsovie

La publication de ce rapport n’a pas fait taire les accusations fusant notamment depuis Varsovie et Budapest à propos d’une instrumentalisation, à des fins politiques et idéologiques, de la question de l’État de droit et des valeurs européennes. La publication de ce rapport semble avoir a renforcé la volonté de la Pologne et de la Hongrie d’opposer leur veto au cadre financier pluriannuel pour 2021-27 et au plan de relance Next Generation EU s’il doit s’y trouver un mécanisme faisant dépendre le versement des fonds au respect de l’État de droit et des valeurs européennes.

Pour son premier rapport annuel sur la situation de l’État de droit dans l’Union européenne, la Commission s’est intéressée à « quatre grands piliers ayant une forte incidence sur l’État de droit : les systèmes de justice nationaux, les cadres de lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias, ainsi que d'autres questions institutionnelles liées à l'équilibre des pouvoirs essentiel à un système efficace de gouvernance démocratique. » Passons sur le fait qu’il s’agit là de domaines relevant des compétences nationales en vertu des traités européens et intéressons-nous plutôt au caractère « objectif » et « impartial » du rapport en reprenant certains grands reproches adressés à la Pologne et à la Hongrie, c’est-à-dire aux deux pays pour lesquels la Commission et le Parlement européen ont lancé une procédure de sanction sous le régime de l’article 7.

 

La question des Cours constitutionnelles 

En ce qui concerne la Pologne, ainsi qu’on peut lire dans le chapitre consacré à ce pays, « divers aspects de la réforme de la justice soulèvent des préoccupations au regard de l’État de droit, et en particulier l’indépendance de la justice. C’est sur cet aspect que porte principalement la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, du traité UE engagée par la Commission européenne, actuellement toujours examinée par le Conseil. »

C’est ainsi que la Commission revient sur ses « préoccupations quant à l’indépendance et à la légitimité du Tribunal constitutionnel soulevées (…) dans le cadre de la procédure prévue à l’article 7 ». La Commission remet en cause le fonctionnement et la légitimité du Tribunal constitutionnel polonais depuis un conflit qui a éclaté à l’automne 2015 entre la nouvelle majorité conduite par le PiS et l’ancienne majorité PO-PSL. Un conflit qui portait sur la nomination de trois juges de ce Tribunal comptant quinze membres en tout. Aujourd’hui, dans son rapport publié le 30 septembre, la Commission estime que ses préoccupations engendrées par ce conflit « n’ont toujours pas trouvé de solution ». Pourtant, les juges constitutionnels polonais sont élus à la majorité absolue de la Diète pour un mandat de neuf ans non renouvelable, conformément à la procédure de nomination prévue dans la constitution polonaise de 1997[1]. Un tel mécanisme existe aussi dans d’autres pays européens, tels que l’Allemagne, dont les seize juges de la Cour constitutionnelle fédérale sont désignés pour moitié par le Bundestag (chambre basse du parlement) et pour moitié par le Bundesrat (chambre haute), et ce pour un mandat de douze ans. L’actuel président de la Cour constitutionnelle, Stephan Harbarth, est passé directement des bancs du Bundestag, où il était vice-président du groupe CDU-CSU, à ceux de la Cour constitutionnel en novembre 2018. En revanche, contrairement à la situation polonaise, il faut une majorité des deux tiers pour nommer un juge de la Cour constitutionnelle, mais cette condition ne faisait pas partie des exigences pour adhérer à l’Union européenne. Il n’empêche que dans le rapport sur la situation de l’État de droit la seule préoccupation de la Commission concernant la Cour constitutionnelle allemande porte sur « l’arrêt récent de la Cour constitutionnelle fédérale du 5 mai 2020 (…) concernant l’étendue de la compétence de cette Cour en matière de contrôle de constitutionnalité par rapport à l’ordre juridique de l’Union européenne ».

Un reproche similaire aurait pu être adressé au Conseil constitutionnel français dont les neuf membres sont désignés pour un mandat de neuf ans renouvelable par le président de la République et les présidents des chambres parlementaires, les anciens présidents de la République étant également membres de droit à vie s’ils le désirent ? L’actuel président du Conseil constitutionnel, le socialiste Laurent Fabius, nommé par l’ancien président socialiste François Hollande, a dû quitter le ministère des Affaires étrangères du gouvernement socialiste de Manuel Valls qu’il dirigeait pour aller prendre la présidence du Conseil constitutionnel. Peut-on imaginer une cour constitutionnelle davantage politisée ? D’autant qu’aucune qualification particulière n’est exigée pour en devenir membre, pas même une formation juridique. Le plus souvent, le choix d’un membre du Conseil constitutionnel est donc purement politique.

Étonnamment, la Commission réserve en la matière ses reproches à la Pologne.

 

Les Conseils de la magistrature

La même sélectivité des reproches de la Commission s’observe s’agissant du Conseil de la magistrature.

En Pologne, la réforme entrée en vigueur en 2018 a modifié le mode de nomination des quinze juges membres du Conseil national de la magistrature (KRS). Auparavant désignés par leurs pairs pour un mandat de quatre ans, ces cinq juges sont désormais nommés par la Diète à la majorité des trois cinquièmes ou, si une telle majorité n’est pas atteinte lors d’un premier vote, au moyen d’un second vote lors duquel chaque député désigne son candidat préféré ; les 15 candidats ayant réuni le plus grand nombre de voix étant alors nommés au sein du KRS. Ce nouveau mode de nomination est au centre des accusations d’atteintes à l’indépendance de la justice formulées par la Commission européenne à l’encontre de la Pologne. Elle fait toujours l’objet des « préoccupations exprimées par la Commission » dans son rapport publié le 30 septembre.

Concernant la Hongrie, les préoccupations de la Commission exprimées dans ce rapport 2020 concernent aussi l’influence du Parlement sur l’institution chargée de superviser le système judiciaire, puisque, selon la Commission, « le Conseil national de la magistrature indépendant est confronté à des difficultés pour contrebalancer les pouvoirs du président de l’Office national de la justice chargé de la gestion des juridictions ». La Commission critique le fait que le président de l’Office national de la magistrature est nommé par le parlement, tandis que les membres du Conseil national de la magistrature sont nommés par leurs pairs.

Pour ses évaluations de l’État de droit, la Commission européenne affirme s’appuyer, entre autres, sur la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe, qui a estimé dans une opinion rendue le 11 décembre 2017 qu’un conseil de la magistrature devait, pour répondre aux standards européens, avoir une majorité de membres nommés par les magistrats eux-mêmes. La Commission affirme aussi s’appuyer sur les opinions du réseau européen de Conseils de la Justice (RECJ) qui a, en septembre 2018, suspendu la participation du KRS polonais en son sein au motif que celui-ci ne satisfaisait plus aux critères d’indépendance à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif, ce qui est une condition pour adhérer au RECJ.

On peut s’interroger sur ce concept de justice indépendante contrôlant les deux autres pouvoirs et se contrôlant elle-même de manière autonome, notamment après les scandales qui ont secoué cette année le conseil de la magistrature italien dont certains membres auraient apparemment comploté contre l’ancien ministre de l’Intérieur[2]. Le rapport de la Commission ne mentionne pas ce scandale, pas plus qu’il ne mentionne les graves interrogations surgies cette année aussi[3] autour de la condamnation (assortie d’une peine d’inéligibilité) par la Cour de cassation italienne de Silvio Berlusconi en 2013. Des interrogations qui ont conduit fin juin l’ancien président du Parlement européen Antonio Tajani à parler d’un véritable coup d’État judiciaire contre la démocratie italienne. Si la Commission européenne mentionne sans les préciser quelques problèmes survenus en 2019 au sein du CSM italien, elle n’y voit pas pour l’Italie une menace pour l’État de droit. Au contraire des chapitres sur la Pologne et la Hongrie, ces problèmes sont simplement mentionnés brièvement sur un ton neutre, descriptif, avec simplement une mise en garde au cas où la réforme annoncée (suite au scandale) du Conseil supérieur de la magistrature viendrait à remettre en cause l’indépendance de la justice.

Mais ce qui frappe le plus, c’est que la Commission ne voit aucun problème au fait que, comme en Pologne après la réforme, en Espagne « le Parlement est chargé de nommer les membres du Conseil [général du pouvoir judiciaire] issus de l’appareil judiciaire, après avoir reçu du Conseil une liste des candidats qui ont obtenu le soutien d’une association de juges ou de 25 juges. Les nouveaux membres du Conseil sont nommés à une majorité qualifiée des trois cinquièmes. ». Le même deux poids, deux mesures peut être observé au sein du Réseau européen de Conseils de la Justice qui a suspendu le KRS polonais après la réforme calquée sur le modèle espagnol mais qui tolère sans difficulté la présence en son sein du Conseil général du Pouvoir judiciaire espagnol.

 

Le rapport sur la situation de l’État de droit confirme les craintes polonaises et hongroises

On pourrait ainsi multiplier les exemples de ce « deux poids, deux mesures » mis en œuvre par la Commission européenne dans son premier rapport annuel sur la situation de l’État de droit dans les 27 pays membres de l’UE, dont il ressort que ce qui est admis pour les pays de l’ouest du continent ne l’est pas pour ceux de l’ancien bloc de l’Est, et en tout cas pour la Pologne et la Hongrie. Il en va ainsi de la soumission du parquet au ministère de la Justice, admise pour la France et l’Allemagne mais non pour la Pologne, ou encore de l’influence de l’exécutif sur la nomination des juges qui est acceptée pour l’Allemagne mais pas pour la Pologne. Si un des objectifs était de montrer que la Commission européenne traite tous les pays de la même façon, ce premier rapport annuel a en réalité fait la démonstration du contraire aux yeux des pays déjà visés par la procédure de sanction de l’article 7.

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[1] Article 194, par. 1, de la Constitution du 2 avril 1997 : « Le Tribunal constitutionnel se compose de 15 juges choisis individuellement par la Diète pour 9 ans parmi des personnes se distinguant par leurs connaissances juridiques ».

[2] En mai 2020, le quotidien italien La Veritá publiait le contenu de conversations du procureur Luca Palamara, membre du Conseil supérieur de la magistrature et ancien président de la principale association de magistrats du pays, montrant que Palamara s’entendait avec d’autres membres du CSM pour exercer des pressions afin de faire traduire Matteo Salvini en justice devant le tribunal des ministres pour son refus d’accueillir les migrants, tout en reconnaissant que Salvini était dans son droit. Le téléphone de Palamara avait été mis sur écoutes dans le cadre d’une enquête pour corruption.

[3] Après la diffusion d’une conversation dans laquelle un ancien juge de la Cour de Cassation qui avait demandé à rencontrer Berlusconi lui faisait part de ses remords d’avoir pris part à un jugement par la Cour de Cassation, qui selon lui avait été « guidé d’en haut ».

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