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Améliorer l’impartialité de la Cour européenne

Améliorer l’impartialité de la CEDH

Par Grégor Puppinck1674124568309
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Ce document contient une série de recommandations de mesures visant à améliorer l’indépendance et l’impartialité de la Cour européenne des droits de l’homme. Il a été rédigé à l’intention particulière du « Groupe de rédaction sur les questions relatives aux juges de la Cour européenne des droits de l'homme (DH-SYSC-JC) » et de la Commission des affaires juridiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Ces propositions ont été relues par plusieurs juges et anciens juges de la CEDH.

  • Proposer des candidats ayant une expérience judiciaire de haut niveau
  • Prescrire la publication de déclarations d’intérêts
  • Veiller à la sincérité des curriculum vitae présentés par les candidats
  • Eviter le népotisme
  • Appliquer les mêmes règles de sélection à la nomination des juges ad hoc
  • Améliorer la transparence de l’action des ONG devant la CEDH
  • Assurer la transparence du greffe pour renforcer les garanties de son impartialité
  • Eviter que le juge national soit désigné juge rapporteur dans les affaires importantes
  • Informer les parties de la composition de la formation de jugement avant l’examen
  • Etablir une procédure de récusation correspondant aux standards que la Cour exige des juridictions nationales

 

Chronologie

Le 28 mars 2012, adoption des Lignes directrices du Comité des Ministres concernant la sélection des candidats pour le poste de juge à la Cour européenne des droits de l’homme.

En 2018, le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) publiait un Rapport sur le processus de sélection et d’élection des juges de la CEDH.

En mars 2020, l’ECLJ publiait le rapport Les ONG et les Juges de la CEDH, 2009-2019 faisant apparaître qu’entre 2009 et 2019 18 juges de la CEDH ont été à 88 reprises en situation objective de conflits d’intérêts en jugeant des affaires introduites ou soutenues par l’ONG qu’ils avaient eux-mêmes fondée, dirigée ou pour laquelle ils avaient travaillé avant leur nomination à la CEDH. Ce rapport a aussi fait apparaitre un manque fréquent de transparence dans l’action d’ONG auprès de la Cour.

Entre 2020 et 2022, l’ECLJ a recensé 34 nouveaux cas de conflit d’intérêts entre juges et ONG.

À la suite de la publication de ce rapport de nombreux juristes et élus se sont exprimés. Plusieurs députés membres de l’APCE ont adressé des questions écrites au Comité des Ministres entre 2020 et 2022[1].

Lors de la réunion ministérielle d’Athènes de novembre 2020[2] a été prise la décision de « évaluer à nouveau d’ici fin 2024, à la lumière de l’expérience acquise, l’efficacité du système actuel de sélection et d’élection des juges de la Cour ».

Le 8 avril 2021, le Comité des Ministres a informé de cette décision les députés, en réponse à trois de leurs questions écrites relatives aux conflits d’intérêts (Doc. 15258). Le Comité des Ministres n’a pas contesté la réalité des conflits d’intérêts en cause ; il a rappelé la nécessité de « garantir le niveau le plus élevé de qualification, d’indépendance et d’impartialité des juges de la Cour », et indiqué les mesures prises antérieurement à cette fin.

Le 21 juin 2021, la CEDH a révisé sa Résolution d’éthique judiciaire afin de renforcer les obligations d’intégrité, d’indépendance et d’impartialité des juges. En écho au rapport de l’ECLJ, la résolution prescrit à présent aux juges d’être indépendants de toute institution, y compris de toute « organisation » et « de toute entité privée ». Le texte ajoute que les juges « doivent être libres de toute influence injustifiée, qu’elle soit interne ou externe, directe ou indirecte. Ils s’abstiennent de toute activité, de tout commentaire et de toute association, refusent toute instruction et évitent toute situation pouvant être interprétés comme nuisant à l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou comme étant de nature à nuire à la confiance que le public se doit d’avoir en leur indépendance ». Le texte précédent était beaucoup plus succinct. Sur l’impartialité, le nouveau texte explicite l’interdiction de « participer à aucune affaire qui pourrait présenter un intérêt personnel pour eux ». Les juges doivent en outre s’abstenir « de toute activité, de tout commentaire et de toute association pouvant être interprétés comme étant de nature à nuire à la confiance que le public se doit d’avoir en leur impartialité ».

Le 26 juillet 2021, le Comité des Ministres a répondu à deux autres questions écrites de députés de l’APCE (Doc. 15345). Il y indique notamment que « le comité des méthodes de travail de la Cour réexamine le Règlement de la Cour existant, y compris l’article 28. » Cet article, intitulé « Empêchement, déport ou dispense », porte notamment sur la question des conflits d’intérêts, mais ne prévoit pas de procédure de récusation.

Le 11 juillet 2022, suite à la réunion ministérielle d’Athènes de novembre 2020, le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) a confié à un Groupe de rédaction sur les questions relatives aux juges de la Cour européenne des droits de l'homme (DH-SYSC-JC) le mandat de préparer, avant le 31 décembre 2024, un « rapport évaluant l'efficacité du système de sélection et d'élection des juges de la Cour et des moyens d'assurer la reconnaissance du statut et de l’ancienneté des juges de la Cour et offrant des garanties supplémentaires pour préserver leur indépendance et leur impartialité ». Ce Comité s’est réuni pour la première fois en septembre 2022 et tiendra sa prochaine réunion du 25 au 27 janvier 2023.

Le 12 octobre 2022, une pétition intitulée Mettre fin aux conflits d’intérêts à la CEDH, signée par 60 000 citoyens européens, a été remise l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, en vertu de l’article 71 de son Règlement. Elle demande à l’APCE l’inscription de ce sujet à son ordre du jour.

Le 31 novembre 2022, une proposition de résolution intitulée Le grave problème des conflits d’intérêts à la Cour européenne des droits de l'homme a été déposée à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Doc. 15661).

Certes, la révision par la CEDH de sa Résolution d’éthique judiciaire est un signal positif, mais elle demeure insuffisante. En effet, l’examen du fonctionnement de la Cour conduit à identifier une série de mesures dont la mise en œuvre permettrait à la Cour de respecter les mêmes normes qu’elle impose aux juridictions nationales en matière d’indépendance et d’impartialité judiciaire.

Le liste de propositions ci-dessous ne prétend pas être exhaustive.

 

I. Au stade de la sélection des juges

  • Proposer des candidats ayant une expérience judiciaire de haut niveau

La plupart des cas les plus manifestes de conflit d’intérêts à la CEDH concerne des membres de la Cour issus d’ONG actives à la Cour, et dépourvues d’expérience de la profession de magistrat. Il s’agit surtout de conflits d’intérêts entre le juge et son ancienne ONG, lorsque celle-ci est partie ou tierce partie à l’affaire.

Il arrive aussi que ces juges se prononcent sur des affaires portant sur une thématique politiquement sensible sur laquelle leur ONG d’origine a milité, ce qui peut mettre légitimement en doute leur impartialité aux yeux de l’une ou des deux parties. Enfin, le fait d’être issu d’une ONG n’est pas une garantie d’indépendance à l’égard du gouvernement, car les grandes ONG entretiennent souvent des liens étroits avec ceux-ci.

La meilleure façon d’éviter à l’avenir de tels conflit d’intérêts serait de ne plus nommer à la Cour de personnes issues d’organisations militantes et de lobbys, ou étroitement liées à celles-ci. Cette décision serait en outre de nature à élever le niveau de qualification des juges de la CEDH. En effet, seulement la moitié des membres de la CEDH ont eu une expérience de magistrat avant leur nomination, les autres étant pour la plupart des avocats et enseignants. Certes, ceux-ci peuvent révéler des aptitudes de juge, mais ce n’est pas garanti. Plus généralement, il est problématique que certains membres de la CEDH soient moins qualifiés que les juges nationaux sur les décisions desquels ils statuent.

Il serait cohérant que la fonction de juge à la CEDH soit confiée en priorité à des magistrats issus des juridictions nationales suprêmes, comme c’est habituellement le cas dans la pratique de certains États parties (telle la France). Par comparaison, les juges de la CJUE sont d’avantage issus des juridictions nationales[3]. Les magistrats professionnels sont en outre familiers de la déontologie judiciaire avant leur nomination à Strasbourg, ce qui contribue à la garantie de leur indépendance et impartialité.

En conséquence, il conviendrait d’une part de recommander respectivement aux États parties et au Panel consultatif de ne plus proposer, ni valider, la candidature à la fonction de juge de personnes issues d’organisations militantes auprès de cette Cour, ou étroitement liées à celles-ci, et, d’autre part, de demander aux candidats de déclarer leurs relations avec toute organisation agissant auprès de la Cour. Ceci pourrait être fait dans le formulaire de candidature.

 

  • Prescrire la publication de déclarations d’intérêts

Le Comité des Ministres, dans sa recommandation CM/Rec(2010)12 intitulée « Les juges : indépendance, efficacité et responsabilités », déclare qu’ « eu égard à la nécessité d’éviter tout conflit d’intérêts réel ou perçu comme tel, les États membres peuvent décider de rendre publiques les informations relatives aux activités supplémentaires, notamment au moyen de répertoires d’intérêts » (paragraphe 29). Dans cet objectif, les membres de la Cour de Justice de l’Union européenne[4] et de nombreuses juridictions suprêmes, notamment en France et aux États-Unis[5], doivent publier une telle déclaration d’intérêts, tout comme les parlementaires et membres de l’Assemblée parlementaire. Tel n’est pas le cas pour les juges de la Cour européenne des droits de l’homme.

Il conviendrait en conséquence :

  • d’une part, que le Comité des Ministres prescrive aux candidats à la fonction de juge la publication d’une déclaration d’intérêts, qui serait annexée au formulaire de candidature ;
  • d’autre part, de recommander à la Cour de modifier son Règlement intérieur afin d’établir une telle obligation périodique à l’égard des juges en exercice.

 

  • Veiller à la sincérité des curriculum vitae présentés par les candidats

Il apparaît que le curriculum vitae de certains juges et candidats à cette fonction ne sont pas exactes, ni exhaustifs. Plus grave, certains juges semblent avoir valorisé leur curriculum de façon excessive, par exemple en se gratifiant abusivement du titre d’avocat ou de celui de maîtres de conférences. De tels faits sont évidemment de nature à nuire à la crédibilité de la Cour.

En conséquence, il pourrait être demandé aux candidats de justifier leurs fonctions, titres et diplômes, ces pièces justificatives pouvant être annexée au formulaire de candidature et adressées au Panel consultatif et à la Commission parlementaire.

 

  • Eviter le népotisme

Il arrive que des candidats aient des liens de parenté étroits avec des responsables politiques, membres de gouvernements ou de parlements. Encore récemment, l’existence d’un tel lien a causé le rejet d’une liste (Pologne). À l’inverse, la dernière liste albanaise n’a pas été rejetée alors qu’elle comportait un beau-frère du ministre de l’Intérieur et un cousin du Premier ministre[6], finalement élu. Cette forme de népotisme peut porter atteinte à la crédibilité de la Cour ainsi qu’à l’indépendance et à l’impartialité des juges.

En conséquence, il pourrait être ajouté au formulaire de candidature une rubrique demandant aux candidats de déclarer un éventuel lien de parenté avec une personne exerçant une responsabilité politique importante.

 

  • Appliquer les mêmes règles de sélection à la nomination des juges ad hoc

La désignation d'un juge ad hoc peut intervenir lorsque le juge élu se trouve empêché, se déporte ou est dispensé de siéger, ou si pareil juge fait défaut[7] en raison de sa démission ou départ. Le processus de sélection et de nomination des juges ad hoc est à la discrétion des gouvernements et n’est pas soumis à la procédure applicable aux juges permanents prévue à l’article 22 de la Convention. En conséquence, les juges ad hoc ne font l’objet d’aucune évaluation, ni élection au sein du Conseil de l’Europe et de la CEDH. Le Protocole 14 n’a que partiellement porté remède à la situation en permettant notamment à la Cour de choisir entre les juges ad hoc désignés par chaque gouvernement. À ce jour, la CEDH publie les noms de ces juges ad hoc ainsi que l’État partie les ayant nommés, sans autre détail.

En conséquence, il conviendrait, a minima, d’exiger la publication du curriculum de ces juges, ainsi que de leurs déclarations d’intérêts. En outre, il conviendrait d’appliquer aux juges ad hoc le régime en vigueur pour la sélection et la nomination des juges permanents, autant que possible.

 

II. Au stade de l’introduction de la requête : assurer la transparence des intérêts

  • Améliorer la transparence de l’action des ONG devant la CEDH

Il arrive fréquemment que des requêtes soient introduites à l’initiative ou avec le soutien d’ONG, sans que celles-ci soient mentionnées dans la requête et la procédure. La mention des ONG dans ces procédures assurerait une plus grande transparence, ce qui peut se révéler particulièrement utile lorsqu’un juge ou un membre du greffe est issu de cette organisation.

Il arrive aussi fréquemment que des tiers intervenants agissent en concertation avec l’une ou l’autre des parties à l’instance, et ne soit pas réellement une partie « tierce », portant ainsi atteinte à l’équité entre les parties. Il arrive même qu’une ONG introduise officieusement une requête, pourvoie à la représentation du requérant, et agisse simultanément comme tierce partie[8].

En conséquence, il pourrait, d’une part, être recommandé aux requérants de déclarer volontairement si sa requête est introduite avec la collaboration d’une ONG, et d’autre part, il pourrait être demandé aux tiers intervenants de déclarer, dans leur demande d’intervention, leurs liens éventuels avec les parties principales.

 

III. Au stade de l’examen des requêtes : assurer la transparence de la procédure

  • Assurer la transparence du greffe pour renforcer les garanties de son impartialité

La Cour européenne a jugé que les principes relatifs à l’impartialité des tribunaux valent aussi pour « les fonctionnaires exerçant des fonctions judiciaires tels que les assesseurs et les greffiers ou les « référendaires » (Bellizzi c. Malte, 2011, § 51)[9]. Cette exigence devrait ainsi s’appliquer également au propre greffe de la CEDH.

Le greffe de la CEDH joue un rôle central dans l’administration de la justice. C’est lui qui effectue le filtrage des requêtes introduites et qui prépare les projets de jugements. Lorsqu’une requête fait l’objet d’un jugement par une formation collégiale, les juges délibèrent sur la base du projet d’arrêt rédigé par le greffe et le juge rapporteur, généralement sans consulter le dossier. L'identité du juriste du greffe en charge du dossier n’est généralement pas communiquée aux parties : seules ses initiales apparaissent dans la correspondance.

Cette situation pose des problèmes de transparence, d’équité entre les parties, et potentiellement de partialité.

L’opacité de la composition du greffe porte gravement atteinte à la transparence de l’institution. Or, la transparence est une condition essentielle de tout contrôle démocratique des institutions. La CEDH devrait suivre l’exemple de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme[10] qui publient la liste des membres de leurs greffes. Le fait que le personnel du greffe de la CEDH soit recruté sans faire l’objet d’une enquête administrative préalable renforce la nécessité de la transparence du greffe.

Cette situation pose un problème d’équité, car seuls les connaisseurs du personnel de la Cour ont la possibilité d’identifier la personne du greffe en charge de leur dossier à partir de ses initiales et de sa section.

Cette situation pose un problème de partialité car il arrive que des membres du greffe soient issus d’organisations militantes actives à la Cour ou qu’ils prennent publiquement position sur des questions soumises à l’examen la Cour, voire à la section à laquelle ils sont affectés. C’est le cas, à titre d’illustration, de la série d’affaires introduites depuis 2021 contre la Pologne en matière d’avortement : plusieurs juristes membres du greffe ont milité publiquement sur ce sujet, tels que Rafał Sokół et Marcin Sczaniecki. Il est légitime, dans ce cas, que les parties ne souhaitent pas que leur dossier soit affecté à un tel membre du greffe.

En conséquence, il conviendrait :

  • d’une part de communiquer aux parties le nom du ou des membres du greffe en charge de leur affaire,
  • et d’autre part, de publier la liste des membres du greffe de la CEDH.

 

  • Eviter que le juge national soit désigné juge rapporteur dans les affaires importantes

La Cour européenne se distingue d’autres instances internationales en ce qu’elle prévoit la présence du juge élu au titre de l’État mis en cause dans une requête. Cette pratique vise notamment à renforcer la confiance des États membres et des justiciables, limitant la critique récurrente portée à l’encontre d’une cour qui serait composée de « juges étrangers ». En outre, les statistiques prouvent que les juges nationaux sont moins enclins que les autres juges à condamner leur État d’origine[11]. Cela est encore plus avéré s’agissant des juges ad hoc. Ce constat suscite des critiques mettant en cause l’impartialité des juges dans les affaires visant l’État au titre duquel ils ont été nommés.

Toutefois, le juge national a l’avantage de connaître la langue et le système juridique de son pays, ce qui lui permet de statuer par lui-même sur l’affaire, à la différences d’autre juges qui se trouvent alors davantage dépendants du greffe.

Sans aller jusqu’à recommander un changement radical de cette pratique, il apparait légitime de recommander que, dans les affaires sensibles ou importantes, ne puisse plus être désigné juge rapporteur le juge élu au titre de l’État mis en cause dans celle-ci.

A minima, pour améliorer la transparence de la procédure, il conviendrait que le nom du juge rapporteur soit indiqué dans le jugement, à l’instar de la pratique d’autres juridictions.

 

IV. Au stade de la formation de jugement

  • Informer les parties de la composition de la formation de jugement avant l’examen

Le « droit au juge » comporte le droit des justiciables de savoir au préalable quel juge connaîtra de son affaire. C’est une composante de l’exigence de publicité de la justice, laquelle protège les parties contre une « justice secrète échappant au contrôle du public[12] ».

Or, cette exigence n’est pas respectée dans la procédure devant la CEDH. En effet, dans la plupart des cas, l’identité du ou des juges ayant statué sur une requête n’est communiquée aux parties qu’après le jugement, lors de sa publication. Les parties ne sont informées de l’identité de leurs juges avant le jugement que dans les cas exceptionnels de renvoi de l’affaire en Grande Chambre.

Le fait que les parties sachent à quelle section de la Cour leur affaire a été affectée n’est pas suffisant. En effet, le « droit au juge » ne paraît pas garantie de façon suffisamment effective par la supposition qu’un requérant pourrait déduire l’identité des juges susceptibles de juger son affaire après avoir déduit de la correspondance de la Cour que sa requête a été communiquée à telle ou telle de ses sections.

Le manquement est plus sérieux encore lorsque l’affaire est jugée par un juge unique ou par un juge ad hoc, dont les identités ne peuvent pas même être supposées par les parties.

En outre, ce manquement à la transparence de la procédure rend ineffectif le droit des parties de demander la récusation d’un juge. Or, ce droit de récusation est une composante essentielle du droit à un procès équitable.

Le manquement est aussi très visible s’agissant du juge statuant sur les mesures provisoires. À titre d’illustration, le problème s’est posé récemment à l’occasion d’une saisine en urgence de la Cour, sur la base de l’article 39 de son Règlement, par des parents demandant à la Cour de suspendre l’exécution de la décision d’arrêt de soins et d’euthanasie que leur enfant, et faisant valoir que d’autres hôpitaux sont désireux de l’accueillir pour le soigner (affaire n° 55987/20). Or, le juge unique qui a rejeté cette demande a été longtemps membre du conseil d’administration d’une organisation finançant la promotion et la pratique de l’euthanasie. La demande de révision de cette décision formulée par les requérants en raison d’un doute légitime quant à l’impartialité du juge a été rejetée.

 

  • Etablir une procédure de récusation correspondant aux exigences de la Cour à l’égard des juridictions nationales

La Cour européenne a souvent rappelé l’importance du droit de demander la récusation d’un juge au titre du droit à un procès équitable[13]. Comme le rappelle en synthèse le greffe de la CEDH, « de telles règles expriment le souci du législateur national de supprimer tout doute raisonnable quant à l’impartialité du juge ou de la juridiction concernée et constituent une tentative d’assurer l’impartialité en éliminant la cause de préoccupations en la matière. En plus de garantir l’absence de véritable parti pris, elles visent à supprimer toute apparence de partialité et renforcent ainsi la confiance que les tribunaux d’une société démocratique doivent inspirer au public[14]. »

Or, la Convention européenne et le Règlement de la Cour ne prévoient pas de procédure de demande de récusation d’un juge. Le Règlement de la Cour (article 28) envisage seulement une procédure de déport volontaire du juge, à son initiative, ce qui diffère d’une procédure de récusation initiée à la demande des parties. L’absence de toute mention relative à la récusation peut laisser penser aux parties qu’une telle demande serait impossible, à supposer que les parties aient connaissance de la composition de la formation de jugement.

Dans des affaires portées à la Grande Chambre, et dont la composition est communiquée à l’avance, il est arrivé que des parties demandent la récusation d’un juge. À notre connaissance, les décisions de refus de récusation de la Cour n’ont pas été justifiées ; pourtant, dans l’arrêt Harabin c. Slovaquie, 2012, § 136, la Cour a jugé qu’un tribunal doit répondre aux arguments avancés au soutien de la demande de récusation et respecter certaines exigences.

Ainsi, à titre d’illustration, depuis la publication du rapport de l’ECLJ, à quatre reprises, le Gouvernement bulgare a formulé une demande de récusation à l’égard du juge Grozev[15]. Le motif était que dans ces quatre affaires, les requérants étaient représentés par des avocats du Comité Helsinki bulgare, fondé par M. Grozev et dont il a été membre de 1992 à 2013. Dans trois de ces quatre affaires, l’avocat était Krasimir Kanev, président du Comité Helsinki bulgare et cofondateur avec M. Grozev de ce Comité, en 1992. M. Kanev était aussi membre du comité de sélection des candidats à la fonction de juge ayant retenu la candidature de M. Grozev. Dans ces quatre affaires, cette demande de récusation a été rejetée, sans justification.

En conséquence, il devrait être recommandé à la Cour d’établir dans son règlement une procédure de demande de récusation. Elle pourrait suivre l’exemple du Statut de Rome de la Cour pénale international (articles 41 du Statut et 34 du Règlement)[16] et de diverses cours constitutionnelles nationales (par exemple en Allemagne[17], en France depuis 2010, en Espagne et au Portugal[18]).

 

__________

[1] Question : Exiger la publication d’une déclaration d’intérêts par les juges de la Cour européenne des droits de l’homme, Doc. 15532 17/05/2022.

Question : Créer un droit de demander une révision de décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, Doc. 15261 08/04/2021, Réponse du CM.

Question : Protéger le droit de demander la récusation d’un juge de la Cour européenne des droits de l'homme, Doc. 15260 08/04/2021, Réponse du CM.

Question : Le problème systémique des conflits d’intérêts entre ONG et juges de la Cour européenne des droits de l’homme, Doc. 15098 29/04/2020, Réponse du CM.

Question : Comment remédier à de potentiels conflits d’intérêts des juges de la Cour européenne des droits de l’homme ? Doc. 15095 23/04/2020, Réponse du CM.

Question : Restaurer l’intégrité de la Cour européenne des droits de l’homme, Doc. 15096 24/04/2020, Réponse du CM.

[2] 130e Session du Comité des Ministres, 4 novembre 2020, CM/Del/Dec(2020)130/4, Détails du résultat (coe.int)

[3] ECLJ, Le profil professionnel des juges de la CJUE, 2023.

[4] Voici un exemple : https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2021-12/declaration_financiere_reine_inga.pdf

[5] Aux États-Unis, les membres de la Cour suprême sont soumis à « une déclaration d’intérêts, actualisée chaque année, rendue publique, faisant notamment état des avantages ou cadeaux perçus au cours de l’année écoulée ». Voir Blandine Gardey de Soos, « La déclaration d’intérêts des magistrats judiciaires », La semaine juridique, Edition Générale, N° 49, - 4 décembre 2017.

[6] https://exit.al/en/the-government-announces-fourth-echr-candidate-list-without-vetting/

[7] Article 29.1.a du Règlement de la Cour.

[8] CEDH, Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, 27 janvier 2015.

[9] Cf CEDH, Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Droit à un procès équitable (volet civil), § 290.

[10] EU Whoiswho Official Directory of the European Union, Court of Justice of the European Union, 01/01/2023. Le Rapport annuel de la CIADH comporte la liste de son personnel. Voir par ex. page 213 du Rapport de l’année 2020.

[11] E. Voeten, «The Impartiality of International Judges: Evidence from the European Court of Human Rights», American Political Science Review, vol. 102, 2008, p. 417-433.

[12] CEDH, Straume c. Lettonie, 2022, §§ 124-125.

[13] Voir les dispositions spécifiques concernant la récusation des juges qui existaient dans l’affaire Micallef c. Malte [GC], 2009, §§ 99-100, le cas où la récusation n’était pas possible dans l’affaire Stoimenovikj et Miloshevikj c. Macédoine du Nord, 2021, § 40, et Mikhail Mironov c. Russie, 2020, sur les exigences au titre de l’article 6 lorsqu’une demande de récusation est déposée par le justiciable et tranchée par un juge, y compris lorsque le juge visé est celui qui statue, §§ 34-40 et les références citées, ainsi que Debled c. Belgique, 1994, § 37, s’agissant d’une demande générale de récusation

[14] Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme Droit à un procès équitable (volet civil), § 296.

[15] D.K. c. Bulgarie, n° 76336/16, 8 décembre 2020 ; Anatoliy Marinov c. Bulgarie, n° 26081/17, 15 février 2022 ; I.G.D. c. Bulgarie, n° 70139/14, 7 juin 2022 ; Paketova et autres c. Bulgarie, nos 17808/19 et 36972/19, 4 octobre 2022.

[16] Le Règlement de la CPI prévoit comme motif de récusation d’un juge, notamment, « Le fait d’avoir eu, avant de prendre des fonctions à la Cour, des attributions qui donnent à penser que l’intéressé s’est formé sur l’affaire, sur les parties ou sur leurs représentants légaux une opinion qui risque objectivement de nuire à l’impartialité à laquelle il est tenu » (règle 34.c). De même, en France, à titre d’exemple, le Recueil des obligations déontologiques des magistrats, édité par le Conseil supérieur de la magistrature, prévoit, au titre de l’impartialité, que : « [l]e magistrat qui a exercé des responsabilités à l’extérieur du corps judiciaire doit veiller à ce que son impartialité ne puisse, de ce fait, être mise en cause. » Il précise que ce magistrat « veille avec un soin particulier à ce que les relations qu’il pourrait avoir avec les membres de son ancienne profession ne puissent nuire à son impartialité ou à son apparence d’impartialité. Cette exigence déontologique peut aller au-delà des seules incompatibilités énoncées par les règles statutaires. Il appartient donc au magistrat de s’interroger sur les risques d’atteinte à son apparence d’impartialité ». Il est ajouté, dans ce même recueil, que « [l]e magistrat doit demander à être dessaisi ou se déporter s’il lui apparaît qu’il a un lien avec une partie, son conseil, un expert, ou un intérêt quelconque à l’instance de nature à faire naître un doute légitime sur son impartialité dans le traitement d’un litige ».

[17] Michel Fromont, Présentation de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15 (Dossier Allemagne), janvier 2004.

[18] Perlo Nicoletta, « Les premières récusations au Conseil constitutionnel : réponses et nouveaux questionnements sur un instrument à double tranchant », Annuaire international de justice constitutionnelle, 27-2011, 2012. Juges constitutionnels et Parlements - Les effets des décisions des juridictions constitutionnelles. pp. 61-79.

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