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Immunité et révocation de juges : la CEDH modifie son règlement

La CEDH modifie (encore) son règlement

Par Grégor Puppinck1695204000000
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En juin 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a décidé d’ajouter à son Règlement une disposition nouvelle relative à la levée de l’immunité des juges. Elle a aussi précisé les règles portant sur la révocation des juges.

À la suite de la publication des rapports de l’ECLJ sur « les ONG et les Juges de la CEDH » et sur « l’impartialité de la CEDH », la Cour européenne a déjà révisé et amélioré son règlement en mettant en œuvre plusieurs recommandations formulées par l’ECLJ. Ainsi, en mars 2023, elle a publié une « Instruction pratique » précisant les finalités, modalités et conditions des tierces interventions. De même, en 2021, la Cour a modifié sa résolution sur l’éthique judiciaire.

Cette nouvelle modification du Règlement intervient après que l’ECLJ a présenté dans son dernier rapport une affaire passée largement inaperçue, mais soulevant la difficile question des modalités de levée de l’immunité dont jouissent les juges de la CEDH et leurs proches.

Le régime de l’immunité des juges était régie initialement par le Sixième Protocole à l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe. Il porte sur les juges, leurs conjoints et enfants mineurs. Le nouveau texte adopté par la Cour précise à présent que la décision de levée de l’immunité doit être prise à la majorité absolue des juges élus en fonctions, à l’exception du juge visé par la demande de levée de son immunité. Conformément aux exigences de tout procès équitable, « le juge visé doit avoir accès aux documents relatifs à l’ouverture de la procédure de levée de son immunité et doit être entendu par la Cour plénière. » En revanche, le juge en question « n’a pas accès aux documents relatifs à la poursuite de la procédure devant la Cour plénière, et il n’assiste pas aux délibérations et ne participe pas au vote dans le cadre de la procédure de levée de son immunité »  probablement afin d’éviter toute pression entres collègues.

Cet ajout au règlement de la Cour est bienvenu. Il complète la procédure prévue par rapport à l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe.Il intervient dans le contexte d’une affaire mettant en cause l’époux de l’ancienne juge ukrainienne, Ganna Yudkivska, qui a siégé à la CEDH entre 2010 et 2022. Son époux, Georgii Logvynskyi, engagé au sein du parti ukrainien « Front populaire », a été ensuite élu député en 2014 et a siégé entre 2015 et 2019 à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), au sein de laquelle il a reçu d’importantes responsabilités[1].

En 2020, M. Logvynskyi fut visé par une enquête du bureau national anti-corruption ukrainien (NABU). Il lui est reproché d’avoir participé au détournement de 54 millions de Hryvnia (1 836 735€) par l’intermédiaire de la société Golden Mandarin et au moyen d’une procédure devant la CEDH. Plus précisément, il lui est reproché d’avoir abusé d’une procédure de la CEDH[2] pour conclure un règlement amiable[3] faisant obligation au gouvernement ukrainien de verser cette somme[4]. L’agent du gouvernement ukrainien à Strasbourg fut aussi poursuivi pour corruption.

En 2020, le NABU a demandé à la CEDH de lever l’immunité dont bénéficiait le député en tant qu’époux de Mme Yudkivska[5], afin de poursuivre l’enquête. La juge Yudkivska s’y opposa et la CEDH rejeta cette demande au motif que l’enquête initiée en Ukraine contre M. Logvynskyi avait déjà violé son immunité[6]. La demande de levée d’immunité fut donc écartée sans examen sur le fond des accusations portées au niveau national[7]

Il existe un précédent : en 2011, la Cour avait à l’inverse accepté de lever l’immunité diplomatique de l’épouse du juge roumain Corneliu Bîrsan, dans le cadre d’une enquête pour corruption, alors même que « la perquisition […] au domicile de M. et Mme Bîrsan en Roumanie a violé l’immunité du juge Bîrsan tant à son égard qu’à l’égard de son épouse[8] ». Le juge Bîrsan s’est ensuite déporté de toutes les affaires impliquant la Roumanie pendant la durée de l’enquête, ce que ne fit pas Mme Yudkivska[9]. Toutes les poursuites contre Mme Bîrsan furent finalement levées.

À ce jour, M. Logvynskyi se trouverait à l’étranger et serait recherché par le Bureau national anti-corruption d’Ukraine[10].

Les personnes mises en cause dans cette procédure ont introduit des requêtes à la CEDH en avril 2021[11] pour dénoncer l’enquête du NABU. M. Logvynskyi soutient devant la CEDH qu’il n’y avait aucune base factuelle ou juridique pour prendre les mesures d’enquête à son encontre, en particulier l’écoute de ses conversations et la lecture de ses communications électroniques, et les perquisitions dans des cabinets d’avocats. Il soutient également que ces mesures étaient contraires à la protection dont il devait bénéficier en tant qu’avocat, membre du Parlement et conjoint d’un juge en exercice à la Cour. En outre, il allègue que le NABU a forcé une autre avocate à enregistrer secrètement ses conversations avec lui. Il soutient encore que ces mesures d’enquête cherchaient à le harceler et à porter atteinte à sa réputation, tout en donnant une image publique positive du NABU.

La CEDH devrait se prononcer prochainement sur le fond de cette délicate affaire. Quelle qu’en soit l’issue, les faits en cause enseignent qu’il est préférable d’éviter de nommer à la Cour des personnes proches de personnalités engagées et exposées politiquement.

En 2022, au terme de son mandat à Strasbourg, Mme Yudkivska a été élue au sein du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, et bénéficie à ce titre d’une nouvelle immunité.

___________

[1] https://pace.coe.int/fr/members/7353/logvynskyi

[2] Six persons are suspected of UAH 54 million funds embezzlement | National Anti-Corruption Bureau of Ukraine (nabu.gov.ua)

[3] ZOLOTYY MANDARYN OYL, TOV against Ukraine :https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-158778

[4] The New Trial: Kafkaesque Punishment for Cooperation with the ECtHR - Strasbourg Observers

[5] UAH 54 million funds embezzlement: NABU statement regarding the ECHR decision | National Anti-Corruption Bureau of Ukraine

[6]HUDOC - European Court of Human Rights (coe.int)

[7] Décision de la Cour européenne des droits de l’homme : https://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-6744372-8997689

[8] Décision de la Cour européenne des droits de l’homme : HUDOC - European Court of Human Rights (coe.int)

[9] Isayev v. Azerbaijan and Ukraine, no. 4832/20, 30 juillet 2020.

[10] https://lb-ua.translate.goog/society/2023/08/02/568210_nabu_ogolosilo_rozshuk_eksnardepa.html?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp

[11] Logvynskyy v. Ukraine and 2 other applications, no. 32671/20.

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