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Under Which Conditions Can European States Withdraw the Nationality of Their Jihadist Nationals?

Whithdrawing Jihadist's Nationality?

By Delphine Loiseau1588761421038
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Fort du constat que depuis 2014, 5.000 à 6.000 Européens ont quitté leur État pour rejoindre les armées islamiques de Daech ou d’Al-Qaida[1], s’est posée la question de l’effectivité de leur nationalité et des conditions auxquelles les États pouvaient la leur retirer. Les gouvernements européens sont divisés[2] à ce propos et des affaires de rapatriement de djihadistes européens et de leurs familles sont en cours à la Cour européenne des droits de l’homme[3]. L’ECLJ vient de publier une étude sur le sujet. Delphine Loiseau, auteur du rapport, répond à nos questions.

Quels sont les critères posés par le droit international et le droit européen au retrait de sa nationalité par un État ?

Tout d’abord, il existe une volonté en droit international d’éviter l’apatridie. Plusieurs conventions internationales et européennes ont été signées et ratifiées par des États afin de l’empêcher. En conséquence, plusieurs États européens prévoient, comme condition préalable à toute décision de retrait ou de déchéance de nationalité, la possession par l’intéressé d’une autre nationalité.

Les États doivent également respecter les critères dégagés en la matière par les cours européennes, tant celle de Strasbourg (la Cour européenne des droits de l’homme, CEDH) que de Luxembourg (la Cour de justice de l’Union européenne, CJUE). En effet, même si de prime abord, la nationalité n’entre pas dans le champ de compétence de ces instances, elles ont de facto fait entrer la nationalité dans leurs jurisprudences par le biais du droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention européenne pour la première, et par le biais du statut de citoyen européen pour la seconde.

Pour la CEDH, les critères dégagés portent sur le caractère arbitraire de la décision, - c’est-à-dire sur l’existence de garanties procédurales entourant la décision - et sur les conséquences de cette décision sur la vie privée et familiale de l’intéressé.

Pour la CJUE, il est primordial de vérifier entre autres critères, la proportionnalité de la mesure face à l’infraction commise par l’intéressé, mais également de vérifier les conséquences de la perte du statut de citoyen européen - et des droits et libertés qui y sont attachés - pour l’intéressé et pour les membres de sa famille.

Cette faculté de retirer sa nationalité est-elle utilisée par les États ?

Les États utilisent très peu cette faculté à l’encontre de leurs ressortissants djihadistes. Il existe une disproportion flagrante entre le nombre de djihadistes par État européen et le nombre de pertes de nationalité pour des faits de terrorisme.

Ainsi en France, entre 1996 et 2016, seules 13 déchéances de nationalité ont été prononcées à la suite d’actes de terrorisme[4], alors que la France a connu plus de 1200 départs pour la Syrie au début des années 2010[5], c’est-à-dire l’effectif le plus important en Europe.

Au Royaume-Uni, d’après les données officielles du ministère de l’intérieur, entre 2006 et 2015, il y aurait eu seulement 36 décisions de révocation de la nationalité britannique pour terrorisme[6]. Ce chiffre s’élève à 14 pour l’année 2016 et à 104 pour l’année 2017[7]. Or le Royaume-Uni a estimé qu’entre 500 et 600 de ses citoyens étaient partis combattre en Syrie[8]. Ainsi, on compterait 154 déchéances de nationalité en plus de 10 ans pour des faits de terrorisme.

Comment expliquer cette forte disproportion ?

Tout d’abord, comme cela vient d’être évoqué, pour se voir retirer sa nationalité, l’intéressé doit dans la plupart des législations européennes avoir une autre nationalité. Or tel n’est pas le cas de l’ensemble des djihadistes ayant quitté l’Europe, certains ne possèdent que la nationalité de leur État européen.

Ensuite, il semble que les États européens soient assez hésitants à opter pour des politiques visant à déchoir de manière massive leurs nationaux. Peut-être est-ce dû au fait que les déchéances de nationalité intervenues en grande nombre par le passé étaient le fait d’États totalitaires ou du moins non démocratiques[9].

Quelles sont les conséquences du refus par les États européens de les déchoir de leur nationalité ?

Il faut rappeler que la nationalité est « un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs »[10]. En l’absence de mesure de retrait de nationalité, les djihadistes conservent leur nationalité d’un État européen. En conséquence, cela crée un décalage entre le droit et la réalité, car le rattachement juridique entre ces personnes et les États ne correspond plus à un rattachement effectif. Or, la nationalité vise à traduire juridiquement un lien d’appartenance réel entre un individu et un État.

Par ailleurs et surtout, l’individu conservant la nationalité de l’État européen ne peut pas faire l’objet d’une expulsion, il a donc un droit de vivre dans le pays dont il est ressortissant. Ceci peut constituer une véritable menace pour la sécurité nationale, pour la population présente sur l’État européen. Or la protection de la population doit rester la considération primordiale.

Une solution envisageable ?

La solution pouvant être apportée par les États est davantage politique que juridique. En effet, il faut que les États européens soit se saisissent des dispositions présentes dans leur législation et en fasse une juste application, soit qu’ils prennent de nouvelles dispositions pour permettre cette déchéance. Il en va de la sécurité de la population, considération devant primer en tant que bien commun national.

[1] Conseil de sécurité des Nations unies, Vingt-quatrième rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions présenté en application de la résolution 2368 (2017) concernant l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech), Al-Qaida et les personnes et entités qui leur sont associées, S/2019/570, 15 juillet 2019, § 48. [2] Voir par exemple : « L’Europe divisée sur le sort de ses ressortissants partis rejoindre l’Etat islamique en Syrie », Le Monde, 18 février 2019. [3] Voir notamment : CEDH, H.F. et M.F. c. France, n° 24384/19, affaire communiquée le 23 janvier 2020. [4] Clémence Barral, « La plupart des déchéances de nationalité sont prononcées pour terrorisme », Le Figaro, 26 octobre 2019. [5] Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), Commission des questions politiques et de la démocratie, rapport « Les combattants étrangers en Syrie et en Irak », Doc. 13937, 8 janvier 2016, exposé des motifs, § 10. [6] Chiffres du Home Office du Royaume-Uni en date du 20 juin 2016 : à consulter ici. [7] HM Government Transparency Report 2018: Disruptive and Investigatory Powers July 2018: disponible en anglaise ici. [8] Voir note 3 et 10. [9] On pense notamment aux déchéances de nationalité des juifs par le régime nazi durant la Seconde Guerre Mondiale, en France aux déchéances de nationalité intervenues en grand nombre sous le Régime de Vichy, ou plus récemment à la politique de la République Dominicaine de priver de manière rétroactive et arbitraire des milliers de Dominicains d'origine haïtienne de leur nationalité dominicaine, les empêchant d'accès aux droits fondamentaux (droit au travail, santé, éducation) cf. Cour constitutionnelle de République Dominicaine, 23 sept. 2013, TC/168/13. Cette dernière a été condamnée par la Cour Interaméricaine des droits de l’homme le 28 août 2014, Case of Expelled Dominicans and Haitans v. Dominican Republic. [10] CIJ, 6 avril 1955, Nottebohm, Recueil 1955. Pour les développements à propos de cet arrêt, voir S. BASTID, « L’affaire Nottebohm devant la Cour internationale de Justice », Rev. crit. DIP 1956, p. 607 et s.

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