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L’ONU demande à la France de ne pas euthanasier Vincent Lambert

Affaire Lambert: L'ONU accorde les mesures provisoires

Par Grégor Puppinck1557578103217
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Quoi qu’en dise la ministre de la Santé, le gouvernement est tenu, en droit international, de veiller au maintien de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert le temps de la procédure de recours, explique Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ).

La décision du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies le 3 mai, demandant à la France d’empêcher l’euthanasie de Vincent Lambert le temps de l’examen de la requête introduite par ses parents, a provoqué la stupéfaction. Trois jours plus tôt, le 30 avril, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait à l’inverse, consenti à sa mort.

Manifestement embarrassée, la ministre de la Santé a déclaré le 5 mai que « l’équipe médicale en charge de ce dossier est en droit d’arrêter les soins », tout en ajoutant de façon contradictoire que « nous ne sommes pas tenus par ce comité légalement, mais bien entendu nous prenons en compte ce que dit l’ONU et nous allons leur répondre »… Une clarification s’impose sur cette nouvelle procédure, sa durée, son autorité, et ses rapports avec la CEDH.

Deux décisions ont déjà été prises à Genève

Ce n’est pas une, mais deux décisions qui ont déjà été prises au sein du Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) sur l’affaire Lambert : celle d’enregistrer la requête des parents Lambert, et celle d’accorder les mesures provisoires.

La requête a fait l’objet d’un premier examen par le secrétariat du CDPH qui a estimé qu’elle remplit tous les « critères préliminaires » de recevabilité, et l’a en conséquence enregistrée et communiquée au gouvernement français (article 56 du règlement du Comité). C’est là une première étape qui montre déjà que la requête est bien formulée et qu’elle entre dans le champ de compétence du Comité.

Le gouvernement français dispose à présent d’un délai de six mois pour répondre aux accusations formulées contre les décisions médicales et judiciaires françaises, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête. Il lui faudra trouver d’autres arguments que ceux énoncés dimanche par la ministre de la Santé, lorsqu’elle déclarait ce Comité incompétent pour protéger les personnes dans l’état de Vincent Lambert au motif… qu’il ne serait pas handicapé mais dans un état « végétatif ». Or, de fait, l’état de santé de M. Lambert correspond parfaitement à la définition du handicap que donne la convention. 

Vincent Lambert n’est pas en fin de vie ni atteint d’une maladie, mais dans un état de conscience altérée à la suite d’un traumatisme crânien. Il respire seul, se réveille le matin et s’endort le soir. Bien qu’ayant retrouvé le réflexe de déglutition, il est alimenté et hydraté par le biais d’une simple sonde gastrique. Il peut, selon les moments et les stimulations, tourner sa tête ou suivre des yeux ses interlocuteurs, ce qui est un signe de conscience pour les spécialistes. Même son neveu, pourtant partisan de sa mort rapide, explique ne plus venir le voir à l’hôpital car il a « peur de rajouter de la présence pour lui alors que c’est probablement insupportable d’avoir autant de présence autour de lui » (Europe 1, 5 mai 2019). C’est bien là reconnaître que Vincent Lambert est conscient de son entourage. 

Ainsi, Vincent Lambert n’est ni en état de mort cérébrale, ni malade, ni en fin de vie. Il est handicapé, comme 1 700 autres personnes dans sa situation en France.

Le gouvernement français s’est engagé, en droit international, à se conformer à la décision du Comité des droits des personnes handicapées

Le recours ayant franchi l’étape de l’enregistrement, c’est logiquement que le Comité a demandé au gouvernement français de veiller au maintien de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert le temps de la procédure. Quoi qu’en dise la ministre de la Santé, le gouvernement français est tenu, en droit international, de s’y conformer, pour la simple raison qu’il s’y est lui-même engagé, au nom de la France, en ratifiant la convention relative aux droits des personnes handicapées. C’est le texte même de cette convention qui confère au Comité le pouvoir de demander des mesures provisoires, alors que la CEDH se l’est octroyé elle-même dans son règlement. Il est en revanche loisible au gouvernement de contester cette mesure auprès du Comité ; mais il lui faudrait alors démontrer qu’il y a urgence à euthanasier Monsieur Lambert.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a confirmé le caractère contraignant des mesures provisoires en déclarant que « le non-respect par les États parties d’une telle demande [de mesure provisoire] constituait une violation de l’obligation qui leur est faite de coopérer de bonne foi au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte » (Affaire Zhuk c. Bélarus, no 1910/2009, 30 octobre 2013). Le gouvernement avait en l’espèce exécuté un prisonnier alors que le Comité onusien avait demandé la suspension de la mesure. La Biélorussie a été condamnée.

Il est vrai que les décisions du Comité, à l’instar de toutes les instances internationales (y compris la CEDH), ne sont pas directement exécutoires dans l’ordre juridique interne. Mais il appartient aux autorités nationales de les mettre en œuvre par elles-mêmes, sous le contrôle du CDPH et des autres États parties à la Convention. Prétendre que la France pourrait « ignorer » ses propres engagements en matière de droits de l’homme (Lemonde.fr, 24 avril 2019) est faux juridiquement et irresponsable politiquement. Tout le système international de protection des droits de l’homme repose en effet sur le respect par les États de la parole donnée, sur la bonne foi et la coopération. C’est là sa grandeur et sa faiblesse.
C’est seulement si le Comité outrepassait ses compétences — en statuant « ultra vires » — que la France pourrait légitimement refuser de se conformer à ses demandes. Ce fut le cas, entre autres exemples, lorsqu’un comité onusien prétendit en 2014 que l’État du Vatican avait l’obligation de légaliser l’avortement au nom des droits des enfants ! Mais tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce : le CDPH est parfaitement dans sa compétence.

L’issue possible de la procédure

Les personnes qui souhaitent la mort rapide de Vincent Lambert misent principalement sur une décision d’irrecevabilité de la requête au motif que la CEDH avait déjà été saisie de ce cas. En effet, les textes prévoient qu’une requête (appelée “communication) est irrecevable lorsque la question « a déjà été examinée ou est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ». La CEDH et le CDPH sont censées se désister mutuellement lorsque l’autre est saisie avant elle d’une même question, mais ils ne le font pas toujours. En effet, les comités de l’ONU, parce qu’ils ont une compétence mondiale s’estiment « au-dessus » des juridictions régionales, comme la CEDH. Enfin, des comités de l’ONU, comme le CDPH, sont spécialisés dans la protection de certains droits, ou catégories de personnes, alors que la CEDH est généraliste, si bien qu’ils estiment pouvoir fixer les normes internationales dans leur domaine. Ce serait donc à la CEDH de s’aligner sur le CDPH en matière de droits des personnes handicapées, et non l’inverse. Pour preuve, le CDPH a pris l’initiative d’examiner un projet de convention européenne sur l’internement d’office, puis a appelé les États européens « à s’y opposer » au motif que ce texte ne respecte pas les droits des personnes handicapées.

Quoi qu’il en soit, en l’espèce, les avocats des parents de Vincent Lambert ont veillé à ne pas saisir la Cour de Strasbourg et le Comité de Genève des mêmes questions juridiques. En outre, en 2015, la CEDH avait refusé de se prononcer sur une série de violations graves des droits de l’homme, telle que la privation de soins dont est victime M. Lambert, son enfermement ou encore le refus de son transfert dans une unité spécialisée. Ces questions n’ont donc reçu à ce jour aucune réponse de la part d’instances internationales.

La question de l’hydratation et de l’alimentation

Sur le fond, les parents de Vincent Lambert peuvent se prévaloir de nombreuses dispositions de la convention de l’ONU, telles que le droit à la vie, le droit au soin, ou encore le droit à ne pas être enfermé. De façon plus précise encore, l’article 25 interdit notamment aux États « tout refus discriminatoire de fournir des soins ou services médicaux ou des aliments ou des liquides en raison d’un handicap ». Cela signifie que les États ne peuvent pas priver une personne de son alimentation ou hydratation en raison de son handicap : or, c’est précisément ce que le Dr Sanchez, du CHU de Reims, a décidé de faire, avec l’aval des autorités françaises. Le CDPH a également affirmé que « le droit à la vie est absolu et que la prise de décisions substitutive quant à l’arrêt ou la suspension d’un traitement essentiel au maintien de la vie n’est pas compatible avec ce droit » (Examen du rapport soumis par l’Espagne, 19 octobre 2011).

Le Comité pourrait ainsi constater de multiples violations de la convention par la France. Une telle décision ne serait pas incompatible avec celle prise par la CEDH en 2015, mais viendrait la compléter. En effet, non seulement la CEDH était restée silencieuse sur plusieurs points, mais elle avait aussi évité de dire si l’alimentation et l’hydratation sont, ou non, des traitements susceptibles d’être arrêtés. Elle s’était contentée d’invoquer une « absence de consensus européen » sur cette question centrale, pour s’en laver les mains et abandonner M. Lambert à la mort. L’article 25 de la Convention des droits des personnes handicapées, que la CEDH avait omis de mentionner, vient aujourd’hui répondre à cette question.

Dans l’hypothèse d’une « condamnation » de la France, le Comité indiquera au gouvernement une série de mesures spécifiques à prendre pour réparer la violation constatée et remédier à ses causes. Le gouvernement devra alors, dans un délai de six mois, soumettre au Comité une réponse écrite indiquant les mesures prises en conséquence. Celles-ci seront ensuite vérifiées et évaluées par le Comité qui, s’il les estime insuffisantes, poursuivra le gouvernement français jusqu’à ce qu’il ait donné satisfaction. 

La procédure pourrait durer six ans

Quelle que soit l’issue de l’affaire, il est presque certain que celle-ci durera encore longtemps à Genève, peut-être six ans, ce qui est actuellement la durée moyenne de la procédure devant le Comité. 

Se pose alors la question du sort de Vincent Lambert pendant toutes ces années. Il ne peut pas décemment demeurer enfermé à clé dans une unité de soins palliatifs inadaptée à son état et privé des soins spécifiques que l’on dispense quotidiennement dans les unités spécialisées. Il s’agit là d’une situation intolérable dénoncée d’ailleurs par 70 médecins spécialistes de la prise en charge de personnes en état de conscience altérée. Ceux-ci ont déclaré le 19 avril 2018 dans une tribune publiée dans le Figaro que Vincent Lambert devrait être soigné comme toutes les personnes atteintes de ce handicap, et non pas être traité comme un mourant qu’il n’est pas. Ils insistent sur le fait qu’il n’est pas l’objet d’un acharnement thérapeutique.

Ils savent que si Vincent Lambert est abandonné à la mort, leurs 1 700 patients risquent de subir le même sort, par « compassion » et souci d’économies budgétaires. Plus encore, ils ne seront plus regardés comme des patients, mais comme des poids-morts.

En cause : la conception de la vie et de la dignité humaines

Car c’est bien finalement sur ce qu’est l’homme et sa dignité que porte l’affaire Lambert. C’est pour cela qu’elle est emblématique et polémique. Le choix de tout un chacun, mais aussi des juges, en faveur de sa vie ou de sa mort, découle directement de notre conception de la vie et de la dignité humaines. On a tendance à opter pour la mort ou la vie selon que l’on est matérialiste ou humaniste, athée ou croyant. Pour les uns, la « vie » n’a pas de valeur en soi ; purement biologique, elle n’est digne qu’en proportion de la conscience humaine qui l’anime. Pour les autres, en revanche, la vie de tout homme est « humaine », et partage la même dignité, quel que soit son état de santé.

C’est cette conception universelle et égalitaire de la dignité qui a fondé la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 et les textes subséquents, lorsque ceux-ci déclarent la dignité « inhérente » à tout être humain et interdisent la discrimination en raison du handicap ou de l’état de santé. Qualifier la dignité d’inhérente signifie qu’elle est possédée par l’homme parce qu’il est humain, et non par la décision d’un juge. Cela s’applique aussi au « droit à la vie » qui est le seul droit qualifié d’« inhérent à la personne humaine » par le Pacte international sur les droits civils et politiques (art. 6).

En 1949, René Cassin, père de la Déclaration universelle, avait signé une déclaration de l’Académie des sciences morales et politiques rejetant « formellement toutes les méthodes ayant pour dessein de provoquer la mort de sujets estimés monstrueux, malformés, déficients ou incurables », considérant que « l’euthanasie et, d’une façon générale, toutes les méthodes qui ont pour effet de provoquer par compassion, chez les moribonds, une mort « douce et tranquille », doivent être également écartées », sans quoi, le médecin s’octroierait « une sorte de souveraineté sur la vie et la mort » (14 novembre 1949).

C’est donc avec raison que cinq juges de la CEDH ont pu déplorer, à propos de « l’effrayant » arrêt Lambert de 2015, que celui-ci marque « un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offert aux personnes vulnérables. »

Nous pouvons espérer que le CDPH saura regarder M. Lambert comme une « personne handicapée », avec ses droits et besoins particuliers, et non plus comme un poids-mort. On peut l’espérer car, composé d’experts en la matière dont certains sont aussi handicapés, ce Comité déclare vouloir lutter contre « les préjugés à l’égard des personnes handicapées, considérées comme un fardeau pour la société. » (Observation générale no 6, 2018).

Il faut l’admettre, ce sont souvent les croyants, surtout chrétiens, qui conservent vif le sens de la dignité de la vie humaine et qui s’opposent à l’euthanasie. Cela leur est d’ailleurs souvent reproché, telle une marque d’opprobre. Sans cesse, des journalistes pointent du doigt la foi catholique des parents Lambert, telle une infamie. Mais ce n’est pas un hasard, car pour les croyants, la vie de tout homme est un don de Dieu. Certes, il ne faut pas s’acharner à la retenir, mais l’on ne peut porter atteinte volontairement à la vie d’une personne innocente, fût-elle inconsciente. Il faut se souvenir que ce furent déjà les catholiques qui eurent seuls le courage de dénoncer publiquement, jusque devant les tribunaux, l’euthanasie systématique des malades mentaux dans l’Allemagne nazie. Euthanasie par déshydratation et dénutrition progressive, motivée par cette même idéologie matérialiste et athée.

 

 

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