Audience One of us c. Com. européenne
L’audience de l’affaire Un de nous (One of us) contre la Commission européenne s’est tenue mardi 16 mai 2017 devant une chambre de cinq juges de la Cour de justice de l’Union européenne, à Luxembourg.
L’initiative citoyenne européenne (ICE) Un de nous, qui a rassemblé près de deux millions de signatures en Europe, demande l’interdiction des financements européens pour les activités impliquant la destruction d’embryons humains, en particulier dans la recherche et la coopération internationale. Par une Communication signée par M. Manuel Barrosso le 28 mai 2014, la Commission a refusé de transmettre l’initiative citoyenne au Parlement européen pour débat sans répondre à toutes les questions soulevées par l'initiative.
L’audience du mardi 16 mai 2017 a permis à l’avocat britannique représentant l’initiative, Paul Diamond, de centrer le débat sur la question démocratique (voir sa plaidorie : Oral argument). Ainsi que l’a noté Carlo Casini, l’initiateur de cette ICE et présent à l’audience : « la démocratie dans l’Union européenne et le mécanisme d’initiative citoyenne européenne devaient permettre de rapprocher le citoyen de l’Union européenne. Si la Commission dit non, c’est ce rapprochement qu’on refuse ».
Comment la Commission peut-elle bloquer une initiative qui a respecté toutes les conditions et a rassemblé 1,7 millions de signatures validées ? C’est que, contrairement à l’esprit du traité de Lisbonne et du mécanisme de l’initiative, la Commission européenne a tout simplement refusé de partager son pouvoir d’initiative législative.
Les représentants de l’initiative dénoncent la justification de la décision de refus, entièrement politique et non fondée sur des arguments de droit. Comme l’a rappelé l’avocat d’Un de nous, cette initiative représente des milliers d’heures de travail et d’euros dépensés. Tout cela pour un résultat qui n’est pas supérieur à une lettre envoyée à la Commission. « Alors que les bénévoles récoltaient des signatures, la Commission prévoyait déjà de ne pas donner de suite à l’initiative ».
La question posée en substance à la Cour est de savoir quel est le standard minimum auquel la Commission doit se tenir dans sa réponse et si la Cour peut se prononcer sur les motifs de la décision de la Commission. Le simple fait que la Commission ne soit politiquement pas d’accord avec l’initiative suffit-il pour lui permettre de la bloquer ?
La Communication de la Commission européenne dans le cadre d’une initiative citoyenne européenne est à la fois politique et légale. Or le juge, par principe, n’a pas à se prononcer sur l’opportunité politique de la Commission. Mais quant aux arguments juridiques de la Communication, peuvent-ils échapper intégralement à l'appréciation du juge ?
Selon Un de nous, les considérations d’ordre administratif et légal sont étudiées au moment de l’enregistrement de l’initiative. Une fois les signatures collectées, il n’y a plus de considérations d’ordre légal ou politique invocables par la Commission. Les citoyens européens ont véritablement pris l’initiative.
Pour le représentant de la Commission, au contraire, les motifs de la Commission sont entièrement discrétionnaires et celle-ci, selon l’esprit des traités, a le monopole de l’initiative législative. Selon lui, le contrôle de la Cour ne peut que sanctionner l’absence de réponse ou l’erreur manifeste. « La déception n’oblige pas la Commission. La contestation des requérants ne reflète que leur désaccord de fond sur les présupposés de la Commission. Il y a un droit à être reçu par la Commission et elle doit rendre une conclusion », mais pas davantage, a-t-il affirmé sentencieusement.
On peut légitimement espérer ici que la Cour ne le suive pas dans ce raisonnement.
Le Tribunal de la Cour de justice s’est récemment prononcé sur une autre initiative (Bürgerausschuss für die Bürgerinitiative Minority SafePack c. Commission européenne, T‑646/13). Dans le cas de cette ICE, la Commission avait rejeté l’initiative lors de l’enregistrement de la requête et le Tribunal a annulé cette décision et condamné la Commission.
La Commission a effectivement un monopole d’initiative législative (articles 76 et 225 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, TFUE). Cependant, l’article 263 du TFUE est suffisamment clair : « La Cour de justice de l'Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes […] de la Commission […]. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers. » Aussi, pour une décision qui interrompt l’initiative citoyenne, c’est évidemment une décision qui produit des effets juridiques et dont la Cour peut apprécier la légalité. L’avocat de la Commission eut bien des difficultés à justifier l’absence de caractère décisoire de la Communication de la Commission. Un des juges lui a demandé s’il allait jusqu’à dire que la Cour n’avait aucun contrôle sur l’aspect légal de la décision de la Commission. Le représentant de la Commission a alors essayé d’expliquer qu’une fois l’initiative déposée auprès des institutions, celle-ci « sortait » des mains des initiateurs…
Lors de cette audience enfin, le Conseil européen et le Parlement européen ont plaidé en soutien de la Commission et contre Un de nous. L’initiative Un de nous a eu pour elle le gouvernement polonais qui a pointé les failles juridiques et éthiques de la Communication de la Commission.
Paul Diamond s’est dit satisfait au sortir de l’audience : « j’ai le sentiment que tous les arguments ont pu être bien développés et que la Cour est tout à fait consciente que l’avenir de l’ICE est entre ses mains ».
La décision de la Cour devrait être connue vers la fin de l’année.