Grégor Puppinck : Cela ne va pas aussi vite que vous semblez le dire. Ces idées étaient déjà présentes avant le XXIe siècle, sous la plume des penseurs matérialistes et eugénistes, tel le généticien américain Hermann Joseph Muller (1890 -1967), qui évoquait déjà la GPA ou l’ectogenèse (procréation d’un être humain qui permet le développement de l’embryon et du fœtus dans un utérus artificiel) et appelait de ses vœux la création d’une banque mondiale du sperme des personnes ayant reçu un prix Nobel. C’est surtout depuis la fin du XVIIIe siècle que l’idée d’une émancipation de l’homme par rapport à la nature s’est affirmée avec force. Voltaire évoque la « perfectibilité » de l’homme, c’est-à-dire l’idée, développée immédiatement après par Condorcet, selon laquelle l’humanité peut progresser de façon infinie, par le règne de la raison et de la technique, jusqu’au point de repousser indéfiniment la mort. Par la suite, ce progrès a été envisagé dans une perspective eugéniste, vu comme un moyen de faire évoluer l’espèce humaine. Cette idée a été portée depuis par les « libres penseurs ».
La PMA a été légalisée sans que cette technique ne soit préalablement testée sur l’homme. On croyait à l’époque que ce mode de procréation, y compris par don anonyme de sperme ou d’ovule, serait sans incidence sur la personnalité de la personne ainsi conçue, car on sous-estimait l’importance de la dimension biologique de notre identité. On considérait l’identité avant tout comme un phénomène socialement construit, sans racines dans la réalité physique. En fait, on ne croyait plus en la réalité de la nature humaine. L’idée que le corps serait sans incidence sur l’identité personnelle est l’un des dogmes de l’anthropologie postmoderne : elle neutralise la race et le sexe, mais aussi la filiation. Or, aujourd’hui, nous avons l’expérience et le témoignage de ces personnes qui, conçues par PMA anonyme, en souffrent leur vie durant et cherchent à connaître leur père, leurs frères, leurs sœurs. Le besoin de connaître ses origines prouve que l’homme n’est pas réductible à son esprit, que notre corps n’est pas seulement un matériau, mais qu’il fait partie de notre identité. Peut-être faut-il que, tels des enfants, nous fassions l’expérience de ces techniques deshumanisantes et des souffrances qu’elles causent, pour nous décider à ne plus y recourir.
L’euthanasie existe malheureusement déjà aujourd’hui alors que l’incitation au suicide reste prohibée par la loi. L’article 223-13 du code pénal dispose que « le fait de provoquer au suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide ». De son côté, la CEDH insiste sur l’obligation de vérifier le libre consentement de la personne afin d’éviter les abus de faiblesse.
Mais, sur le fond, la logique est celle-ci : une société qui répudie toute transcendance tombe facilement dans un rapport totalitaire au corps qui peut devenir l’objet d’une appropriation. La volonté individuelle se donne alors un pouvoir absolu sur le corps humain, alors que la liberté humaine consisterait au contraire à assumer sa condition d’être mortel et limité. Certains parlent même d’une interruption volontaire de vie qui serait un pendant à l’interruption volontaire de grossesse. Dans les deux cas, la logique reste la même, celle d’une domination de la volonté sur l’être.
Au lieu d’évoquer un prétendu sens de l’histoire, je crois qu’il faut s’interroger sur la perte du sens métaphysique dans nos sociétés modernes. La sécularisation ne résulte pas seulement de l’avancée de la modernité, mais aussi du recul de la chrétienté. C’est parce que la foi catholique recule, et qu’elle laisse place à une autre anthropologie, que ces lois dites « sociétales » peuvent être adoptées. La foi chrétienne enseigne que l’homme est un être incarné : sa nature humaine consiste en l’union harmonieuse de l’âme et du corps ; elle a, en outre, été élevée à la dignité par l’incarnation de Dieu fait homme. Le recul de cette compréhension de l’homme laisse le champ libre à des croyances désincarnées et à une vision matérialiste de l’homme promue avec persévérance par les milieux de la libre-pensée et de la franc-maçonnerie.
Je vois se dessiner un bloc de résistance autour de la Pologne, de la Russie, et plus généralement de l’Europe centrale, qui, en réaction au communisme, fait preuve aujourd’hui d’une plus grande liberté d’esprit. Concernant la Russie, on revient de loin puisque ce pays est le premier à avoir légalisé l’avortement et autorise toujours très largement la GPA. Mais globalement, les pays de l’ex bloc de l’est se portent mieux intellectuellement et spirituellement que l’Europe occidentale. Cela peut notamment avoir d’heureuses conséquences sur la composition du Conseil de l’Europe qui reflètera, peut-être mieux, la diversité européenne, en faisant droit, un jour, à l’anthropologie traditionnelle.