En moins d’une semaine de confinement pour éviter la propagation du Coronavirus, nous venons de vivre un autre bouleversement que peu de personnes ont véritablement perçu. D’un côté, l’acceptation presque unanime et médiatique du droit de retrait pour les agents, et de l’autre, le refus de l’objection de conscience pour les soignants, dans un silence médiatique presque total.
Prenons un peu de recul. Depuis le début de cette crise sanitaire, nous constatons dans des entreprises stratégiques, hôpitaux-transport-alimentation... que des agents font prévaloir leur droit de retrait pour ne pas venir travailler, particulièrement lorsqu’ils sont porteurs d’une maladie chronique. La justification à ce droit de retrait est de ne pas risquer d’attraper le Coronavirus puis contaminer sa famille proche. Cette demande est compréhensible, et d’ailleurs les médias ne semblent pas s’en choquer.
Presque dans le même temps, par une décision rendue publique le 12 mars, trois juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont privé les sages-femmes européennes de la garantie de leur droit à l’objection de conscience face à l’avortement. Cette décision peut s’appliquer, par extension, à toute la profession médicale. Qui s’en soucie en pleine crise sanitaire du Covid 19 ? Et pourtant cela est de la première importance.
D’un côté tout un pays qui reconnait légitime le droit de retrait et la demande de ne pas risquer de mourir en venant travailler, et de l’autre, la CEDH qui entrave la liberté des soignants à ne pas vouloir donner la mort à un être humain pendant l’exercice de leur travail.
Rappelons que la maladie Covid 19 a une mortalité très faible pour une personne en âge de travailler ; moins de 1% avant 50 ans, moins de 4% avant 70 ans. Un grand nombre de soignants se trouve dans la tranche d’âge 50-65 ans. Peu, dans cette dernière tranche d’âge que je côtoie, rechignent à venir travailler. Beaucoup le font avec courage, malgré une appréhension légitime. Le personnel soignant chinois et italien a parfois payé un lourd tribu dans sa lutte contre la maladie.
Qu’arriverait-il si demain tous les soignants des urgences, des réanimations et des maternités de France faisaient valoir leur « droit de retrait » ? Tous ceux qui viennent travailler dans ces services, croyants ou non, viennent parce qu’ils connaissent la valeur de la vie humaine. Et ils viennent, non par obligation, mais parce que dans leur cœur quelque chose est plus fort que leur peur. Soigner est un combat, jamais cela n’a été aussi vrai. C’est un combat pour défendre la vie, la vie des malades, la vie de ses proches, sa propre vie. Et dans ce combat, nous savons que des soignants y laisseront leur vie.
Aujourd’hui, à ces mêmes soignants, la CEDH vient de déclarer que l’avortement est un acte médical ordinaire et que l’accès général à l’avortement prime le respect de la liberté de conscience personnelle. Ils estiment que les sages-femmes ont choisi volontairement ce métier, «sachant que cela impliquerait de participer à des avortements». Si demain l’euthanasie est légalisée en France, est-ce que la CEDH viendra nous dire que l’euthanasie est un acte médical ordinaire et que l’accès général à l’euthanasie prime le respect de la liberté de conscience personnelle ? Nous n’avons pas choisi de travailler en réanimation, en soins palliatifs, ou plus largement auprès des patients pour mettre fin à la vie des personnes. Soigner n’est pas tuer. Soigner est un combat quotidien pour la vie et contre la mort. Les soignants ne le savent que trop depuis quelques semaines. Et quand la maladie l’emporte le soignant n’est pas pour autant vaincu, car comme le disait le Professeur Bernard, premier président du Comité consultatif national d'éthique en 1983, c’est alors le moment d’«ajouter de la vie aux jours lorsqu'on ne peut plus ajouter de jours à la vie».
En acceptant le droit de retrait, c’est tout un pays qui vient dire à la Cour européenne des droits de l’homme : NON, l’objection de conscience n’est pas abolie quand la vie est en danger ! Pourquoi, quand des agents font valoir leur droit d’objection de conscience car leur vie semble menacée, les sages-femmes et tous les soignants n’auraient-ils pas un droit de retrait pour ne pas donner la mort ?
Le Coronavirus n’a pas fini de venir bousculer nos vies et nos consciences, en nous rappelant que la vie humaine est Sacrée. Il faudra nous en souvenir après cette crise sanitaire, pour que les lois, en soient de fidèles témoins.
Dr Jean Louis Chauvet,
Médecin en réanimation