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Absence d'information claire et regrets : des femmes ayant avorté témoignent auprès des députés et sénateurs

Absence d'information claire et regrets : des femmes ayant avorté témoignent auprès des députés et sénateurs

Par Nicolas Bauer1709136911789
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L'ECLJ accompagne cette semaine une délégation de femmes ayant avorté pour aller à la rencontre de députés et sénateurs et présenter les demandes trop souvent ignorées par le lobby de l'avortement : le besoin d'une information plus complète et un accompagnement plus fort pour ces femmes dans une situation de stress intense en raison de leur grossesse imprévue.

Le projet du gouvernement d’insérer l’IVG dans la Constitution est la reprise de propositions faites par des parlementaires de gauche (PS, EELV et LFI) en 2022. Ces parlementaires avaient proposé d’insérer un « droit à l’IVG » dans la Constitution. Le Sénat, dont la majorité est de droite, s’y était opposé. Puis le Sénat a voté une formulation différente, une « liberté de l’IVG ». Finalement, le Gouvernement a validé la formulation suivante fin 2023 : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG ».

L’ajout d’un tel article dans la Constitution a déjà été approuvé par l’Assemblée nationale en janvier 2024. Le Sénat en débattra et votera le 28 février 2024. Si le Sénat vote l’article dans les mêmes termes, l’Assemblée nationale et le Sénat seront réunis en « Congrès », à Versailles. Il faudra alors une majorité de trois cinquièmes des suffrages exprimés pour que cet article soit ajouté dans la Constitution. La date du Congrès n’a pas été annoncée.

Aucun parti politique ou parlementaire n’a abordé de front les trois questions suivantes :

  • les enfants à naître ;
  • les causes et circonstances sociales de l’IVG ;
  • les conséquences de l’IVG sur les femmes elles-mêmes.

Notre initiative des 27-29 février à Paris vise à faire émerger ces aspects de l’IVG.

Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) est une organisation non gouvernementale (ONG) spécialisée dans les droits de l’homme. Au quotidien, nous recevons de nombreux témoignages sur des sujets sur lesquels nous agissons. Nous sommes particulièrement touchés par les témoignages reçus sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Ils soulèvent deux questions auxquelles les politiques publiques sur l’IVG n’apportent pour le moment aucune réponse :

  • des femmes disent avoir avorté en subissant des pressions fortes, notamment de la part du père de l’enfant ; or, la société ne les protège pas de ces pressions, voire les aggrave.
  • d’autres femmes se sont senties libres de recourir à l’IVG, mais ont réalisé a posteriori que la société leur avait menti sur l’IVG, qu’elles n’ont pas vécue comme une simple opération médicale.

Les politiques publiques devraient remédier à ces deux angles morts, en affrontant cette réalité concrète de l’IVG.

L’ECLJ a rassemblé douze femmes pour leur permettre de témoigner devant des sénateurs et des députés sur les IVG qu’elles ont vécues, les 27, 28 et 29 février 2024. Ces témoignages seront suivis d’un échange avec les parlementaires, afin d’explorer des propositions concrètes visant à aider les femmes qui le souhaitent à éviter l’IVG. Douze réunions sont déjà fixées, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, avec une vingtaine de sénateurs et députés appartenant à plusieurs groupes politiques (Cinq groupes différents à l’Assemblée et trois au Sénat). Des rendez-vous supplémentaires sont en cours de discussion.

Plutôt que d’être consacré comme une « liberté », l’avortement devrait faire l’objet de politiques de prévention. Les propositions ci-dessous seront avancées ou discutées au cours des rendez-vous pris avec les parlementaires.

  • Compléter le contenu de l’éducation sexuelle dans les collèges / lycées

L’éducation sexuelle officielle vise à prévenir les infections sexuellement transmissibles (IST), les grossesses précoces non prévues et les violences sexuelles. À ces objectifs de prévention, un objectif complémentaire de prévention de l’IVG pourrait être ajouté. Les élèves devraient se voir présenter des alternatives à l’IVG.

Par ailleurs, lorsque l’IVG est abordée en cours d’éducation sexuelle, plusieurs sujets devraient être traités, notamment la vie de l’enfant à naître et les conséquences de l’IVG sur les femmes elles-mêmes. Si ces questions peuvent faire débat, le débat devrait au moins être « ouvert » pendant les cours d’éducation sexuelle.

Les associations agréées pour l’éducation sexuelle incluent des associations militantes de l’IVG, comme le Planning familial. Par exemple, fin 2023, à deux députées femmes parlant de leur expérience sur l’IVG, la Présidente du Planning familial avait répondu que « l’avortement pour le Planning n’est pas un problème », mais « une solution ». L’Éducation nationale devrait chercher d’autres partenaires plus neutres.

  • Étudier la vie intra-utérine en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT)

Au sein du programme de biologie de l’Éducation nationale, la vie humaine avant la naissance est taboue. Elle n’est abordée que sous l’angle de la reproduction, avec comme idée principale la maîtrise de cette reproduction. Or, les élèves devraient pouvoir réfléchir également au développement de l’enfant dès sa conception.

L’une des femmes participant à notre mission, enseignante de SVT au collège, a vu son contrat être rompu avec comme unique motif d’avoir donné un cours sur ce sujet. Alors même que cette enseignante n’avait pas abordé la question de l’IVG, l’Éducation nationale s’est ralliée à l’avis de certains parents : montrer des images d’enfants in utero remettrait implicitement en cause l’IVG et donc n’est pas permis à un professeur de biologie.

  • Agir sur la prise en charge par la Sécurité sociale de la grossesse

L’IVG est intégralement remboursée par la Sécurité sociale. Depuis 2016, les échographies et examens nécessaires à l’IVG sont également remboursés à 100 %. Or, en cas de poursuite de la grossesse, la Sécurité sociale prend en charge les deux premières échographies à hauteur de 70 %. Mettre fin à sa grossesse est mieux remboursé que la poursuite d’une grossesse : plutôt que de prévenir l’IVG, cette politique incite à l’IVG.

  • Rétablir le délit d’incitation à l’avortement mis en place par Simone Veil

De nombreuses femmes disent s’être senties contraintes d’avorter du fait de pressions du père de l’enfant, de sa famille ou de leur propre famille. Or, la loi ne les protège plus depuis que le délit d’incitation à l’avortement a été aboli en 2001. En effet, de 1975 à 2001, la loi Veil interdisait l’incitation à l’avortement. Simone Veil avait voulu « interdire l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit car cette incitation est inadmissible ».

Depuis 1993, un délit dont l’objectif est inverse a été institué puis élargi par les gouvernements successifs : le délit d’entrave à l’IVG. Par conséquent, alors qu’il est interdit de tenter d’empêcher une femme d’avoir recours à l’IVG (délit d’entrave à l’IVG), il est permis de tenter d’empêcher une femme de poursuivre sa grossesse (délit d’incitation à l’IVG abrogé). Le rétablissement du délit d’incitation à l’avortement remédierait à ce décalage.

  • Développer et diffuser les alternatives à l’IVG

En cas de grossesse imprévue, l’IVG est présentée comme une évidence, sur les sites gouvernementaux ou par le corps médical. Les femmes demandant l’IVG se voient même cacher des informations sur leur grossesse, comme les échographies ou l’écoute des battements du cœur de l’enfant. Ces informations ne sont montrées qu’aux femmes souhaitant poursuivre leur grossesse.

Or, toute femme faisant face à une grossesse imprévue devrait se voir proposer des alternatives à l’IVG, par une obligation d’information sur ce qui existe. D’une part, la demande d’IVG est parfois conditionnée par des problèmes sociaux auxquels la société peut répondre : besoin d’hébergement, précarité, violences, difficultés à poursuivre ses études ou à garder son emploi. Lorsque des solutions sont trouvées, l’IVG peut ne plus être demandée. D’autre part, l’accouchement sous X en vue d’une adoption doit être une possibilité proposée. Ce n’est pas le cas, et par conséquent 600 à 700 accouchements sous X ont lieu chaque année, contre 230 000 IVG.

 

Les rendez-vous avec les parlementaires seront aussi l’occasion de rappeler quelques vérités sur l’avortement, par exemple :

  • L’IVG est davantage subie que choisie

La sociologie des femmes ayant recours à l’IVG démontre le déterminisme social de l’avortement : plus une femme est pauvre et isolée, plus elle est exposée au risque de subir un avortement. Selon la DREES, les femmes seules ont un risque supérieur de 37 % à celui des femmes en couple de subir un avortement[1]. Quant aux femmes faisant partie des 10 % les plus pauvres, leur risque de subir un avortement est supérieur de 40 % par rapport aux 10 % des femmes les plus riches, à groupe d’âge et situa­tions conjugales identiques. La situation est similaire en Angleterre où les femmes qui vivent dans les zones les plus pauvres ont deux fois plus de risque d’avorter que celles qui vivent dans les quartiers riches. Ce déterminisme social de l’avortement est confirmé par un sondage IFOP dont il ressort que la moitié des femmes françaises estime que la « situation matérielle » constitue « l’influence principale qui pousse une femme à recourir à l’IVG[2] ».

L’avortement n’est donc pas une véritable liberté pour les femmes ; il confère surtout une « liberté » aux hommes de ne pas assumer leurs responsabilités. Ainsi, la principale cause de l’avortement n’est pas tant la grossesse elle-même, que le contexte dans lequel elle se produit. Car la même femme placée dans des circonstances plus favorables n’aurait pas recours à l’avortement. Ce sont ces circonstances, ces contraintes sociales, relationnelles ou économiques qui déterminent la décision d’avorter. Or, la société partage une part de responsabilité quant à l’existence de ces contraintes qui poussent les femmes à avorter.

  • L’IVG est traumatisante

L’avortement met fin à une vie humaine. Cet acte provoque souvent un traumatisme psychique, mais aussi des douleurs physiques, surtout lorsqu’il est pratiqué de façon médicamenteuse. . Selon le sondage de l’IFOP de 2020, 92 % des femmes déclarent que l’avortement laisse des traces difficiles à vivre, elles sont 96 % chez les 25-34 ans[3]. 42 % des femmes qui ont avorté avant l’âge de 25 ans souffrent de dépression. Le taux de suicides est multiplié par 6,5 chez les femmes ayant avorté par rapport à celles ayant accouché[4]. La moitié des femmes mineures qui ont subi un avortement souffre de pensées suicidaires. Les femmes qui ont avorté ont aussi trois fois plus de risques de subir des violences physiques, mentales ou sexuelles que les femmes qui ont mené leur grossesse à terme. L’avortement affecte aussi les hommes : ils sont 40 % à vivre une détresse psychologique forte à cette occasion. Et 22 % des couples se séparent à la suite d’un avortement[5].

La pratique de l’avortement est aussi difficile pour le personnel médical, comme en témoigne le recours à la clause de conscience.

  • Il y a deux fois plus d’avortements en France que chez nos voisins

En France, le recours à l’avortement est parmi les plus élevés d’Europe. En 2022, il y a eu 234 300 avortements, en augmentation de 7 %, soit un quart des naissances potentielles dans notre pays, selon une étude de la DREES[6]. L’avortement augmente particulièrement chez les jeunes femmes. On compte autour de 300 avortements pour 1000 naissances en France, contre 169 en Allemagne et 162 en Italie, pour un total respectivement de 99 948 et 66 413 avortements en 2020 (selon Eurostat[7]). Même un pays comme la Roumanie n’a plus que 160 avortements pour 1000 naissances.

  • Il est possible de réduire le recours à l’IVG 

Non seulement, le recours à l’avortement en France est parmi les plus élevés d’Europe, mais il ne diminue pas à la différence des autres pays européens. Nous sommes passés de 202 180 en 2001 à 234 300 avortements en 2022, soit un maximum jamais atteint. À l’inverse, le recours à l’avortement a baissé considérablement chez plusieurs de nos voisins. Depuis 2000, il a été réduit de moitié en Italie passant de 135 133 à 63653. Il en est de même en Allemagne où il est passé de 134 609 à 94596 en Allemagne selon Eurostat.

Cette baisse n’est pas due au seul vieillissement de la population car le taux d’avortements par naissance a baissé considérablement. Selon Destatis et Istat, entre 2001 et 2021, il est passé de 151 à 119 avortements pour 1000 naissances en Allemagne et de 265,9 à 159 avortements pour 1000 naissances en Italie[8]. En France, il reste autour de 300 avortements pour 1000 naissances (INED). En Hongrie, le recours à l’avortement a été divisé par deux entre 2010 et 2021, passant de 40 449 à 21 907 avortements par an[9], sans que les conditions d’accès à l’IVG aient été restreintes. Cela n’est pas dû au vieillissement de la population, mais à une politique sociale. En effet, le taux d’avortement par femme en âge de procréer a baissé de plus de 42 % sur cette période, passant de 16,9 à 9,8 avortements pour 1000 femmes.

Cette baisse est la preuve qu’une politique de prévention permet, en quelques années, de faire chuter le recours à l’IVG sans même en restreindre ses conditions d’accès légales. D’ailleurs, c’est ce que veulent les Français. 73 % des Français estiment que la société devrait aider les femmes à éviter l’IVG (IFOP, 2020). Toujours selon l’IFOP, 88 % des Français sont favorables au lancement « d’une campagne de prévention et d’une étude sur l’IVG par les pouvoirs publics », et 84 % des sondés sont favorables, par exemple, à ce qu’on indique systématiquement aux femmes enceintes les aides qu’elles peuvent recevoir pour garder et élever leur enfant.

  • La France viole ses engagements internationaux

La France s’est engagée lors de la Conférence des Nations unies au Caire sur la Population et le Développement de 1994 à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ». Selon cette Déclaration, « tout devrait être fait pour éliminer la nécessité de recourir à l’avortement[10] ». Cet engagement a été renouvelé l’année suivante, lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes.

__________

[1] DREES, Etudes & Résultats n° 1163, septembre 2020, “Interruptions volontaires de grossesse, une hausse confirmée en 2019” p. 7

[2] IFOP, Les Français et l’IVG, Octobre 2020.

[3] IFOP, Les Français et l’IVG, Octobre 2020.

[4] Mika Gissler, Riitta Kauppila, Jouni Merilainen, Henri Toukomaa and Elina Hemminki, Pregnancy-associated deaths in Finland 1987-1994 - definition problems and benefits of record linkage, Acta Obstetricia et Gynecologica Scandinavica, vol. 76, n°7, 1997, Taylor & Francis, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.3109/00016349709024605

[5] Barnett W, Freudenberg N, Wille R. « Partnership after induced abortion: a prospective controlled study ». Arch Sex Behav. 1992 

[6] DREES, Etudes et Résultats, septembre 2023 n° 1281.

[7] Eurostat, Data Browser, Indicateurs d’avortements.

[8] Instituts nationaux de statistiques de l’Allemagne et de l’Italie

[9] Statista, Number of abortions in Hungary from 2010 to 2022 (in 1,000s).

[10] Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement des Nations unies, Le Caire, 5-13 septembre 1994.

Appel à une politique de prévention de l’avortement
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