Si le 24 juin 2022 fut un jour de victoire pour la vie aux États-Unis, il n’en va pas de même en Europe occidentale, où une nouvelle loi votée par le Parlement allemand (Bundestag) est venue contrebalancer cette actualité.
En effet, la majorité du Bundestag – c’est à dire les factions de la coalition du SPD, des Verts et du FDP ainsi que la faction de gauche – a voté pour une loi abrogeant l’article 219a du Code pénal allemand, interdisant la publicité pour l’avortement.
En parallèle de ce débat parlementaire l’article litigieux fait aussi l’objet d’une requête devant la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) depuis le 19 février 2021. À cette date, Kristina Hänel, spécialiste en médecine générale condamnée en instance inférieure pour avoir violé l’article 219a, intentait un recours pour demander à la Cour de juger de la constitutionnalité de cette disposition.
La loi nouvellement adoptée par le Bundestag ne rend pas caduque la décision devant être prise par le Bundesverfassungsgericht qui, seul, détient la capacité à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi fédérale. Dans la présente affaire, la Cour pourra donc encore tout à fait déclarer l’article 219a comme conforme à la constitution. Cette hypothèse semble d’autant moins improbable que la Deuxième chambre, réputée pour son attachement à des valeurs conservatrices, est saisie de l’affaire. C’est par cette même chambre qu’un frein avait été mis à des réformes visant à libéraliser l’accès à l’avortement en 1975 et 1993.
Selon Michael Kubiciel, professeur de droit pénal à l’Université d’Augsbourg, la suppression de cet article n’était pas nécessaire du point de vue du droit constitutionnel et se révèle au contraire problématique. L’objectif invoqué par le gouvernement (permettre plus d’informations objectives sur les méthodes d’interruption de grossesse) pouvait selon lui être atteint de manière plus ciblée en modifiant l’article. En outre, l’abrogation ouvre une marge de manœuvre pour de la publicité grand public, ce qui va à l’encontre de l’exigence du Bundesverfassungsgericht selon laquelle le législateur doit s’opposer à ce que l’impression soit donnée que l’interruption de grossesse est un « acte du quotidien, qui correspond à la normalité ».
En tant qu’ONG avec une expertise en droit international, l’ECLJ est intervenu en tant qu’ amicus curiae devant le Bundesverfassungsgericht. Dans nos observations écrites, déposées le 28 juin 2022, nous avons démontré que cet article 219a était conforme au droit international. Au titre de son article 25, la Constitution allemande affirme en effet qu’elle est subordonnée aux traités internationaux et qu’il en va de même des lois internes allemandes. Le droit international a donc une importance pour la détermination de la constitutionnalité de l’article en question.
Amicus curiae déposé par l’ECLJ
Quelle que soit la décision finale du Bundesverfassungsgericht, l’ECLJ a démontré dans son amicus curiae que l’ancien article 219a était, en tout état de cause, conforme au droit international, notamment pour les raisons suivantes :
L’amicus relève par ailleurs que l’article 219a répond parfaitement aux exigences du contrôle de proportionnalité puisqu’il poursuit au moins quatre objectifs légitimes énumérés à l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme : la prévention du crime (l’avortement est un crime au titre de l’article 218 du Code pénal allemand) ; la protection de la vie d’autrui (l’article 219 alinéa 1 du Code pénal allemand précise que « l’enfant à naître a son propre droit à la vie ») ; la protection de la santé et de la morale publiques.
Face à ces quatre objectifs cruciaux, il appert que l’interdiction de publicité pour l’IVG concerne uniquement les cas où des personnes agissent pour leur « avantage pécuniaire » ou « de manière grossièrement choquante ». Ce qui est interdit est donc uniquement le discours ayant une nature commerciale et publicitaire ou étant de teneur grossière et choquante. En outre, l’interdiction est assortie d’exceptions.
En ce qui concerne la sanction pénale, elle peut paraître relativement lourde – jusqu’à deux ans d’emprisonnement – mais elle se justifie dans la mesure où elle vise la prévention d’un crime. D’autant qu’en pratique, les juges ont appliqué des amendes en guise de peine dans tous les précédents : Kristina Hänel a été condamnée à une amende de 6000 euros tandis que le Tribunal judiciaire de Tiergarten a condamné deux femmes médecins à des amendes de vingt tarifs journaliers à cent euros chacune. Considérant que le revenu annuel moyen brut d’un gynécologue allemand est compris entre 52 000 et 75 000 euros, le montant de ces amendes semblent donc relativement léger.
Tenants et aboutissants de la loi votée
Lors du débat ayant abouti au vote de la loi supprimant l’article 219a, Lisa Paus, ministre fédérale de la Famille affiliée au parti écologiste (Bündnis 90/Die Grünen), a déclaré que la suppression du § 219a StGB est un « signal ».
Le ministère fédéral pour la Famille, les personnes âgées, les femmes et de la jeunesse a en effet déclaré au sujet de cette nouvelle loi : « Le planning familial autodéterminé est un droit humain. L’Allemagne est tenue de préserver et de faire respecter ce droit. Le gouvernement fédéral veut aller plus loin et renforcer les droits sexuels. C’est pourquoi il va mettre en place une commission sur l’autodétermination reproductive et la procréation médicalement assistée, qui sera notamment chargée d’examiner s’il est possible de réglementer l’interruption de grossesse en dehors du code pénal. »
Cette nouvelle loi pourrait donc véritablement constituer l’ouverture de la boîte de Pandore au sujet de l’avortement en Allemagne, pays où entre 2019 et 2022, on comptait 100 000 avortements, contre 222 000 en France, seulement en 2020.
Ce qui a incité Beatrix von Storch, députée AFD au Bundestag, à déclarer devant ses collègues : « Dans un instant, lorsque l’abrogation de la loi sera votée, vous allez jubiler. Mais n’oubliez pas une chose : vous ne pourrez le faire que parce que vous êtes bien vivants, alors que cent mille enfants dans ce pays ne pourront jamais se réjouir. »