IVG forcée & respect du droit à la vie
Une affaire dramatique a été communiquée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il s’agit de femmes handicapées devenues stériles par suite d’avortements forcés en Moldavie. L’ECLJ a été autorisé par la Cour à remettre des observations écrites venant au soutien de ces femmes.
Six ans après avoir été saisie par trois femmes avortées de force, la CEDH a enfin communiqué une terrible requête au Gouvernement moldave pour qu’il se justifie devant la Cour. La demande de la Cour est clairement formulée : l’avortement forcé subi par ces trois requérantes et la stérilisation qui en a découlée ont-ils porté atteinte à la vie privée et constitué des traitements inhumains et dégradants ?
Ce qu’ont subi ces femmes est particulièrement terrible. D’abord, les trois femmes requérantes étaient placées en institution psychiatrique pour cause de retard mental, sans que ce handicap ne soit suffisamment grave pour les priver de leur capacité juridique. Deux d’entre elles furent violées par le médecin en chef de l’institut psychiatrique dans lequel elles étaient placées. La troisième tomba également enceinte et toutes, violées ou non, souhaitèrent garder leur enfant à naître.
Mais le scandale ne s’arrête pas là. Une commission médicale de l’institution se réunit pour décider à leur place des suites de leurs grossesses. Une commission dans laquelle le médecin violeur de deux de ces femmes siégea et qui décida de les avorter de force, malgré leur refus explicite. Les médecins passèrent outre les refus de ces femmes, aucun tiers ne fut consulté et ils avortèrent de force ces femmes.
Ce n’est pas tout. Après l’avortement forcé, un stérilet fut placé dans le corps d’une des femmes afin de prévenir toute grossesse future, là encore contre sa volonté. Il s’avéra que cette contraception forcée fut inutile : à la suite des procédures médicales d’avortement forcé, les trois femmes devinrent stériles.
La violation des droits de ces femmes est si manifeste qu’on voit mal comment la Cour pourrait conclure qu’aucun de leurs droits n’a été enfreint. Cependant, toute la question est de savoir quels droits exactement ont été violés. Pour y répondre, plusieurs commentaires peuvent être faits.
Le premier est que, oui, même si l’avortement est réalisé dans un espace médicalisé par des professionnels, c’est une opération médicale qui comporte des risques ; et parmi ces risques, il y a celui de la stérilité. C’est une réalité occultée par les promoteurs de l’avortement, mais la stérilité découlant de complications lors d’un avortement peut survenir, certes rarement, mais cette affaire est une preuve de son occurrence ponctuelle.
Le deuxième fait saillant de cette affaire est que des femmes violées ont malgré cela souhaité garder leur enfant à naître et accoucher de celui-ci, bien qu’il fût le fruit d’un viol. Là aussi, les promoteurs de l’avortement affirment sans conteste que l’avortement en cas de viol est un droit évident et que toute femme violée voudrait toujours ipso facto y recourir. Ces requérantes montrent qu’ajouter du mal au mal n’est pas le souhait de toutes. Bien que conçus dans un acte terrible et pénalement réprimé, les deux femmes violées voulaient porter à terme ces deux enfants à naître.
Quand bien même on supposerait qu’il existe un « droit à l’avortement » en droit international, ce qui n’est pas le cas, un avortement contre la volonté de la femme enceinte, ainsi qu’une contraception forcée et une stérilisation forcée sont évidemment des atteintes à l’intégrité corporelle et des traitements dégradants.
Comme le montre l’ECLJ dans ses observations écrites soumises à la Cour, il y a un véritable consensus en droit international, à la fois dans les traités et à travers les interprétations d’experts, pour considérer que les opérations médicales préjudiciables à une personne sans son consentement constituent des traitements inhumains et dégradants. Il est presque certain que, dans sa décision, la Cour s’alignera sur ces textes et opinions et affirmera que l’avortement et la stérilisation forcés constituent une violation de l’article 3 de la Convention interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
L’atteinte à la vie privée est également manifeste, d’autant que la CEDH a déjà reconnu que la contraception forcée portait atteinte à la vie privée. Dans ce précédent, la Cour avait constaté une violation de la vie privée atteinte alors même qu’une femme avait donné son consentement à une stérilisation, mais de manière viciée. Dans la présente affaire les femmes se sont clairement opposées non seulement à une contraception mais aussi et surtout à subir un avortement.
Dans ses observations, l’ECLJ incite la Cour à condamner la Moldavie sur ces deux articles, mais également sur le fondement de deux autres qui n’ont pas été invoqués par les requérantes : le droit à la vie (article 2) et l’atteinte au droit de fonder une famille (article 12).
En effet, les plus grandes victimes de cette affaire restent celles qui ont perdu la vie et qui ne jouiront plus jamais d’aucun droit ; ce sont les enfants à naître, avortés alors même que leurs mères voulaient protéger leur droit à la vie. La Cour européenne n’a jamais exclu l’enfant à naître de la protection de l’article 2, mais a toujours soigneusement évité de se prononcer sur cette question, laissant les États libres de protéger l’enfant à naître ou non.
Pour défendre cette position ambiguë, la Cour a presque toujours invoqué la concurrence entre les droits de la mère et ceux du fœtus, permettant ainsi de faire primer la volonté de la mère sur le droit à la vie du fœtus. Or, dans la présente requête des trois femmes, celles-ci invoquaient elles-mêmes l’application du droit à la vie pour leurs fœtus. Elles voulaient que leurs fœtus vivent, et par-là le droit à la vie des fœtus allait de pair avec les intérêts et la volonté de leurs mères. Il serait donc cohérent et possible, bien que très peu probable, que la Cour reconnaisse que l’enfant à naître peut bénéficier du droit à la vie garanti par l’article 2, pour autant que la mère le veuille bien.
L’autre droit violé pour ces femmes est celui de « fonder une famille ». L’article 8 garantit bien le droit à la vie privée et à la vie familiale de manière générale, mais il ne garantit pas le droit de fonder une famille (article 12). Les requérantes en ont pourtant été privées à double titre. Elles voulaient mener à terme leurs grossesses et la naissance de leur enfant eut constitué une famille au sens de la Convention. Ce droit de poursuivre leur grossesse a été violé par l’avortement, mais en plus, par ces avortements forcés, elles sont devenues stériles. Elles ne pourront donc plus, à l’avenir porter et mettre au monde leurs enfants, alors même qu’elles en étaient biologiquement capables.
Il est probable que la CEDH se contente de constater une violation des articles 3 et 8 de la Convention, ne rendant par-là qu’incomplètement justice à ces requérantes. Il leur faudra encore attendre plusieurs mois avant de connaître la décision de la Cour.