L’ECLJ a publié un nouveau rapport sur les graves violations des droits de l’homme auxquelles sont confrontés les chrétiens en Égypte. Ce rapport a été soumis à l’occasion de l’Examen périodique universel (EPU) des Nations unies avant sa 48e session, au cours de laquelle le bilan de l’Égypte en matière de droits de l’homme sera examiné. Les conclusions du rapport mettent en évidence une discrimination systémique, un harcèlement juridique et des persécutions sociétales, notamment en Haute-Égypte, à l’encontre de la minorité chrétienne d’Égypte, et appellent à une réforme législative et culturelle.
Historique et contexte
L’Égypte, entourée par la guerre en Lybie, au Soudan, en Éthiopie, au Yémen, en Palestine, en Syrie et en Irak, et malgré ses graves difficultés économiques, demeure un pôle de stabilité dans la région. Elle abrite la population chrétienne la plus importante du Moyen-Orient, puisque 15% des presque 110 millions d’Égyptiens sont chrétiens. L’Égypte est 38e sur l’Index mondial de persécution 2024 de l’ONG « Portes Ouvertes », ce qui en fait l’un des pays où il est le plus difficile de vivre pour les chrétiens. Cependant, les chrétiens d’Égypte soutiennent majoritairement le président Abdel Fattah al-Sissi, plutôt que le chaos et l’islamisme des Frères musulmans.
Le président Sissi leur renvoie bien : depuis le début de sa présidence en 2014, il se rend chaque année à la messe de Noël, une première pour un président égyptien. Suite au martyr de 20 coptes par l’État islamique en Lybie en 2015 (dans un contexte de vengeance suite à l’empêchement de la conversion forcée à l’islam de Camilia Shehata, la femme d’un prêtre copte, en 2010-2011), il envoya l’armée venger ceux qu’il considère des Égyptiens avant d’être des chrétiens. Puis, aux frais de l’État, il fit construire une grande basilique dans leur village natal pour permettre d’honorer leurs dépouilles.
« Là où il y a une mosquée, il doit aussi y avoir une église », disait le président Sissi en mars 2022, dans le contexte de divers projets nationaux d'ampleur dans le domaine du logement et de la construction. En juin 2024, l’Aide à l’Eglise en détresse résumait : « Il est probable que, dans l’histoire du Moyen-Orient, on n’ait jamais vu autant d’églises mises en chantier en même temps que cette année en Égypte. Les coptes s’en réjouissent, mais la stabilité de leur pays demeure fragile ! ».
C’est en Haute-Égypte que les chrétiens égyptiens rencontrent les plus grandes difficultés à vivre leur foi. En effet, alors qu’ils sont plus nombreux en termes absolus et relatifs dans cette vaste région rurale loin du Caire que dans le reste du pays, ils font face à une population musulmane fanatique qui les menace presque impunément. En particulier, la région d’Assiout est celle d’Égypte où la minorité chrétienne est la plus importante (allant en certaines localités jusqu’à 25% de la population), c’est aussi celle où les tensions entre coptes et fondamentalistes musulmans sont les plus constantes et les plus meurtrières.
Principales conclusions du rapport
Le rapport de l’ECLJ fournit un examen détaillé des structures juridiques, sociétales et gouvernementales qui contribuent à la persécution des chrétiens en Égypte. Il met en lumière plusieurs sujets de préoccupation majeurs :
- Discrimination juridique et institutionnelle. La Constitution égyptienne déclare que la charia islamique est la principale source légale, ce qui marginalise de facto les minorités religieuses. L’article 98 F du Code pénal égyptien, souvent appelé «loi sur le blasphème», est fréquemment utilisé pour cibler les chrétiens. Cette loi criminalise toute action considérée comme «exploitant la religion» ou «prônant des pensées extrémistes», ce qui conduit à des arrestations et des condamnations arbitraires qui affectent de manière disproportionnée la communauté chrétienne. En outre, la loi sur la construction des églises exige des chrétiens qu’ils obtiennent l’autorisation du gouvernement pour construire ou rénover des églises, ce qui entraîne des retards bureaucratiques et suscite l’hostilité de la société.
- Persécution des convertis et injustices juridiques. Le rapport souligne les difficultés auxquelles sont confrontés les musulmans convertis au christianisme, qui se voient souvent refuser le droit de modifier leur appartenance religieuse sur les documents officiels. Cette restriction s’étend à leurs enfants, qui sont automatiquement enregistrés comme musulmans, indépendamment des souhaits de la famille. Les convertis sont souvent victimes de harcèlement, d’intimidation et même de violence de la part d’acteurs étatiques et non étatiques. Le gouvernement a parfois utilisé les accusations de blasphème pour faire taire des voix chrétiennes et supprimer toute expression de la foi qui s’écarte du récit national vanté par l’État.
- Persécution et violence sociétales. Les chrétiens d’Égypte, en particulier dans les zones rurales, font l’objet d’une persécution sociale intense. Cela inclut le harcèlement des femmes chrétiennes, qui sont souvent la cible d’enlèvements, de conversions forcées et de mariages forcés avec des hommes musulmans. Les enfants chrétiens sont victimes de brimades dans les écoles et les communautés chrétiennes sont fréquemment attaquées par des foules incitées par des rumeurs de blasphème ou d’autres griefs religieux. Le rapport fait état de plusieurs cas où les autorités locales n’ont pas protégé les communautés chrétiennes ou n’ont pas demandé des comptes aux auteurs de ces actes, ce qui a favorisé un climat d’impunité et de peur.
- Incidents spécifiques de persécution. Le rapport de l’ECLJ fournit un bref compte-rendu de plusieurs incidents récents illustrant ces trois points :
- 22 janvier 2024: Une chrétienne de 21 ans a été enlevée à Assiout. Malgré les efforts de sa famille, les autorités ont été lentes à réagir et on ne sait toujours pas où elle se trouve. On a découvert par la suite que sa carte d’identité avait été modifiée sans son consentement pour indiquer qu’elle était musulmane.
- 18 juillet 2023: Zaki, un étudiant chrétien diplômé, est condamné à trois ans de prison pour avoir prétendument «incité à la violence» par ses écrits sur la persécution des chrétiens. Bien qu’il ait été gracié par la suite, son cas met en lumière l’atteinte grave et manifeste à la liberté d’expression religieuse en Égypte.
- 8 janvier 2023: Une foule de musulmans attaque des maisons chrétiennes et une église à la suite d’un accident de voiture impliquant un musulman et un chrétien. La violence s’intensifie avec des pillages et des destructions de biens, mais les autorités n’interviennent guère et ne rendent pas justice aux victimes.
- Veille de Noël 2022: après l’approbation d’une demande de réparation du toit d’une église, un groupe de musulmans lance une attaque contre l’église, jetant des pierres et mettant le feu aux propriétés chrétiennes adjacentes. Le gouvernement local interrompt les travaux de réparation pour une durée indéterminée afin d’apaiser la foule.
Recommandations au gouvernement égyptien
À la lumière de ces conclusions, l’ECLJ exhorte le gouvernement égyptien à prendre des mesures immédiates et concrètes pour protéger les droits de sa minorité chrétienne et aligner ses pratiques sur les normes internationales en matière de droits de l’homme.
- Le gouvernement égyptien devrait modifier ou abroger de toute urgence les lois utilisées pour persécuter les minorités religieuses, en particulier la loi sur le blasphème (article 98 F) et la loi sur la construction des églises.
- Le gouvernement doit faire appliquer les lois de manière impartiale et veiller à ce que les autorités locales et régionales soient tenues pour responsables lorsqu’elles ne protègent pas les minorités religieuses. Il s’agit notamment de poursuivre les auteurs d’actes de violence à l’encontre des chrétiens et d’assurer une sécurité adéquate pour prévenir de tels incidents.
- Les autorités devraient prendre des mesures proactives pour favoriser un environnement de tolérance et de coexistence religieuses.
- Une attention particulière doit être accordée à la protection des femmes et des enfants issus de minorités religieuses, qui sont particulièrement vulnérables au harcèlement, aux enlèvements et aux conversions forcées. Le gouvernement devrait mettre en œuvre des politiques qui protègent ces groupes et fournir des voies de recours lorsque leurs droits sont violés.
Ce sont là quelques mesures indispensables pour garantir aux chrétiens et aux autres minorités religieuses d’Égypte le droit de vivre sans craindre d’être persécutés.