Fin octobre, le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) a tenu une conférence importante devant les membres du Parlement de l'Union européenne, sollicitant leur intervention dans l'affaire Shahzad Masih, un jeune chrétien pakistanais emprisonné et en attente de jugement depuis plus de quatre ans à la suite d'une fausse accusation de blasphème. Shahzad était mineur au moment de son arrestation, mais il risque tout de même une condamnation à mort pour quelque chose qui, même selon la version des faits de l'accusation, n'est pas un crime.
Notre filiale au Pakistan le défend devant les tribunaux. En outre, nos équipes juridiques internationales se sont efforcées de mettre en lumière son cas dans le monde entier, y compris récemment au Conseil des droits de l'homme des Nations unies et maintenant auprès de l'Union européenne.
L'événement a été organisé par M. Thierry Mariani, membre du Parlement européen (MEP) et président de l'Intergroupe pour les chrétiens du Moyen-Orient. Il a fait part de sa profonde inquiétude concernant les lois sur le blasphème au Pakistan et l'injustice faite à Shahzad Masih. Au moins quinze députés européens ont assisté à l'événement.
Christophe Foltzenlogel, chargé de plaidoyer à l'ECLJ, a présenté la situation générale de la liberté religieuse au Pakistan. En plus de souligner les incidents de violence qui résultent de fausses accusations de blasphème, il a également parlé du récent rejet par le comité parlementaire pakistanais d'un projet de loi qui aurait protégé les jeunes filles et femmes des minorités contre les conversions forcées à l'Islam et les mariages forcés avec des musulmans.
Shaheryar Gill, chargé de plaidoyer pour notre bureau au Pakistan, a ensuite mis en lumière une affaire spécifique de blasphème qui n'aurait jamais dû avoir lieu. Contrairement à de nombreuses affaires de blasphème dans lesquelles il existe au moins de fausses preuves, cette affaire ne contient aucune preuve pouvant constituer le "crime" de blasphème. Pourtant, Shahzad Masih, qui avait 16 ans lorsqu'il a été arrêté, a passé plus de quatre ans en prison et risque la peine de mort, car les tribunaux de première instance prononcent souvent des condamnations dans ce genre d'affaires, laissant à la Haute Cour et à la Cour suprême le soin de prendre des décisions finales plus clémentes. Cette pratique conduit à l'emprisonnement de personnes innocentes pendant de nombreuses années. Le cas d'Asia Bibi est en cela emblématique. Elle a passé presque dix ans en prison jusqu'à ce que la Cour suprême du Pakistan annule sa condamnation.
En juillet 2017, Shahzad travaillait dans un hôpital en tant que concierge, lorsqu'un collègue musulman nommé Ishtiaq Ahmad Jalali a entamé une conversation religieuse, parlant à Shahzad des prophètes musulmans et lui posant des questions sur les prophètes chrétiens. Shahzad a répondu qu'il n'en savait pas beaucoup sur sa propre religion, mais qu'il demanderait à son père. Au cours de cette conversation, Shahzad révéla à Jalali que son père avait un ami nommé Ali qui faisait des remarques désobligeantes contre le prophète Mahomet.
Jalali s'est énervé. Il a insulté Shahzad, son père et l'ami de son père avant de partir. Plus tard dans la soirée, Shahzad fut appelé dans un magasin de téléphonie mobile situé en face de l'hôpital, où des dizaines d'hommes appartenant à un groupe sectaire musulman étaient présents. Ces hommes étaient en colère contre Shahzad et ils lui demandèrent ce qu'il avait dit à Jalali à l'hôpital. Craignant pour sa vie, Shahzad leur raconta benoîtement ce qui s'était passé à l'hôpital.
Au lieu de rechercher Ali, le groupe a emmené Shahzad dans une madrassah (école religieuse islamique) voisine et l'a remis à la police, qui a engagé une procédure pour blasphème contre lui.
Bien que l'enquête de police n'ait pas pu caractériser un blasphème dans la conversation de Shahzad, l'accusation porta tout de même plainte et l'affaire fut portée devant le juge. Au cours du procès, tous les témoins déclarèrent que "Jalali a commencé la conversation religieuse" et que Shahzad a seulement déclaré que "son père avait un ami nommé Ali, qui avait fait des remarques désobligeantes à l'égard du Saint Prophète".
Plus important encore, l'agent chargé de l'enquête a témoigné devant le tribunal : "au cours de mon enquête, je n'ai pas déclaré Shahzad Masih coupable" affirma-t-il. Il a en outre témoigné que Jalali appartient à un groupe religieux sectaire et c'est lui qui a entamé la conversation religieuse. Il a noté que Shahzad est immature et mineur et qu'il n'a aucune connaissance de sa religion ou des autres religions. L'agent enquêteur a également déclaré qu'un témoin oculaire ne pensait pas que Shahzad avait fait des remarques désobligeantes à l'encontre du Prophète.
L'accusation repose entièrement sur cela. Les propos de Shahzad ne constituent pas un blasphème, même en vertu de l'article 295-C du code pénal pakistanais, qui punit obligatoirement de la peine de mort toute remarque insultante à l'égard du prophète Mahomet.
Les tribunaux de première instance au Pakistan sont connus pour renvoyer la balle aux cours d'appel dans les affaires de blasphème. Il est de notoriété publique que les tribunaux de première instance au Pakistan condamnent souvent les personnes accusées de blasphème, généralement sous la pression de foules en colère. Si le tribunal de première instance le condamne, Shahzad passera encore quatre à cinq ans en prison jusqu'à ce que la Haute Cour entende son appel. Si la Haute Cour confirme sa condamnation, il passera encore cinq ans en prison jusqu'à ce que la Cour suprême entende son appel.
La mère de Shahzad a également pu assister à l'événement par vidéoconférence. Elle a déclaré qu'"après avoir passé plus de quatre ans en prison, Shahzad a perdu tout espoir. Il pense qu'il sera condamné". Cette intervention fut très émouvante. Les députés européens ont pu lui poser des questions, et les participants lui ont accordé toute leur attention.
En réaction à l'événement, le président de l'Intergroupe sur les chrétiens du Moyen-Orient a publié une proposition de résolution sur le cas de Shahzad, demandant au Pakistan de mettre fin aux poursuites. Une autre proposition de résolution de l'UE sur le Pakistan et sur ce cas spécifique est actuellement en discussion au sein de l'Intergroupe sur la liberté de religion ou de conviction et la tolérance religieuse.
Nous espérons que le tribunal de première instance au Pakistan fera ce qui est juste, ne succombera pas à la pression sociale et libérera Shahzad. Nous continuerons à travailler au Pakistan et dans le monde entier pour obtenir une véritable justice pour Shahzad. Nous vous tiendrons également informés de l'évolution de cette affaire.