Russia Condemned on Anti-Religious Law
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Dans l’arrêt Ossewaarde c. Russie,[1] rendu le 7 mars 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Russie en raison de sa loi interdisant l’évangélisation dans une habitation privée et soumettant toute activité missionnaire à une autorisation préalable. Les juges européens ont considéré que cette loi violait le droit à la liberté de religion, protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH a également jugé que la loi russe constituait une discrimination fondée sur la nationalité (article 14 combiné avec l’article 9), car elle prévoit un montant minimal d’amende six fois supérieur pour les étrangers.
Ossewaarde, condamné pour avoir organisé des réunions religieuses chez lui
Le requérant, Donald Jay Ossewaarde, est un Américain baptiste. Il organisait avec son épouse depuis 2005 des réunions chrétiennes le dimanche, au sein de leur domicile à Oryol (Russie). Les participants priaient, chantaient et lisaient la Bible. Le requérant affichait des tracts au sujet de ces réunions sur des panneaux d’information. En 2016, de telles réunions ont été interdites, par une loi « sur la lutte contre le terrorisme » (n° 374-FZ).
Des policiers russes se sont présentés au domicile de M. et Mme Ossewaarde le dimanche 14 août 2016. L’une de leurs voisines s’était plainte à la police d’un tract informant de la réunion, affiché en bas de son immeuble. Les policiers ont contrôlé les personnes présentes et ont conduit le requérant au poste de police local. Le jour même, M. Ossewaarde a été condamné par un tribunal pour pratique d’activités missionnaires illégales, après une courte audience. Son amende s’élevait à 40 000 roubles (environ 650 euros au moment des faits).
Après le rejet de ses recours en Russie, Donald J. Ossewaarde a introduit en 2017 une requête devant la CEDH. Le 7 mars 2023, la CEDH a jugé que la Russie avait violé le droit à la liberté de religion du requérant et l’avait discriminé en raison de sa nationalité. La Cour a condamné la Russie à verser au requérant 592 euros pour dommage matériel et 10 000 euros pour dommage moral. Elle a aussi considéré que la législation anti-évangéliste de la Russie devrait être modifiée, afin de respecter le droit à la liberté de religion.
La portée symbolique de la CEDH pendant la guerre russo-ukrainienne
Le Gouvernement russe avait soumis des arguments à la Cour dans l’affaire Ossewaarde, pour justifier sa loi anti-évangélisation. Il a notamment comparé sa législation avec celle de la Grèce, interdisant également le prosélytisme. La Russie s’est appuyée sur le jugement de la CEDH Kokkinakis c. Grèce, qui avait en 1993 validé la législation grecque.[2] L’ECLJ a déjà critiqué ce jugement et a démontré que la loi grecque aurait dû être jugée contraire aux libertés de religion et d’expression. Sur ce point, la Grèce n’a rien à envier à la Russie : les deux États violent ces libertés.
Les condamnations de la Russie ne devraient être suivies d’aucun effet concret. Le 16 septembre 2022, la Russie a décidé de cesser d’être partie à la Convention européenne. La CEDH juge cependant qu’elle est compétente pour examiner les affaires dont les faits se sont produits avant cette date. Le 10 mars 2023, trois jours après le jugement Ossewaarde c. Russie, le Conseil de l’Europe a publié une communication qui « rappelle à la Russie son obligation légale d’exécuter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ».[3] Cette communication est symbolique, pendant la guerre russo-ukrainienne.
Ossewaarde a été représenté à la CEDH par des avocats de l’ONG Memorial, dédiée à la défense des droits de l’homme et à la préservation de la mémoire des victimes du pouvoir soviétique, notamment sous le dictateur communiste Joseph Staline. Cette ONG a été dissoute par la Russie en 2021, sous prétexte qu’une partie de son financement était d’origine étrangère. L’objectif est de réprimer la critique de l’Union soviétique (URSS), dont l’effondrement est selon Vladimir Poutine « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle».[4] En 2022, la CEDH avait condamné la Russie pour avoir violé les droits aux libertés d’expression et d’association de Memorial, du fait de cette dissolution.
Quelques rappels de principes relatifs au droit à la liberté de religion
L’arrêt Ossewaarde c. Russie a été l’occasion pour la CEDH de rappeler quelques principes relatifs au droit à la liberté de religion. Ce droit protège au niveau européen les activités missionnaires. L’arrêt mérite d’être largement cité (traduction libre depuis l’anglais) :
« 39. La Cour rappelle que la liberté de manifester sa religion comprend en principe le droit d'exprimer ses opinions religieuses en les communiquant à autrui et le droit « d'essayer de convaincre son prochain », par exemple par l’ « enseignement », faute de quoi la « liberté de changer de religion ou de conviction », consacrée par l’article 9, risquerait de rester lettre morte (…). L’acte consistant à transmettre des informations sur un ensemble particulier de croyances à d’autres personnes qui n’ont pas ces croyances - connu sous le nom de travail missionnaire ou d’évangélisation dans le christianisme - est protégé par l’article 9 au même titre que d’autres actes de culte, tels que l’étude et la discussion collectives de textes religieux, qui sont des aspects de la pratique d'une religion ou d’une conviction sous une forme généralement reconnue (…).
46. (…) [la Cour] rappelle que l’exercice du droit à la liberté de religion ou de l’un de ses aspects, y compris la liberté de manifester ses convictions et d’en parler à autrui, ne saurait être subordonné à des actes d’approbation étatique ou d’enregistrement administratif en raison du risque qu’un Etat dicte à une personne ce qu’elle doit croire».
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[1] Ossewaarde c. Russie, n° 27227/17, 7 mars 2023.
[2] Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, 25 mai 1993.
[3] Réf. DC 059(2023) : https://search.coe.int/directorate_of_communications/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680aa82c7
[4] https://www.la-croix.com/Archives/2005-04-26/Selon-Vladimir-Poutine-la-chute-de-l-URSS-fut-une-catastrophe-_NP_-2005-04-26-234709