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Turquie: La spoliation méthodique des biens chrétiens

Turquie: La spoliation méthodique des biens chrétiens

Par Thibault van den Bossche1739178000000
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La Turquie poursuit sa politique systématique de spoliation des biens des minorités chrétiennes. L’affaire Balat Rum Balino Kilisesi Vakfı c. Turquie (requête n° 3984/21), actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en est une illustration flagrante.

Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) est intervenu en tant que tierce partie dans cette affaire le 30 janvier 2025. Elle concerne deux fondations grecques-orthodoxes, celles de l’église Balino de Balat et de l’église Panayia de Belgratkapı, situées toutes deux dans l’arrondissement de Fatih, au cœur de la péninsule historique d’Istanbul.

L’arrondissement de Fatih illustre de manière frappante la place marginale qu’occupent aujourd’hui les non-musulmans dans l’espace urbain stambouliote. On y observe un contraste saisissant : d’un côté, un héritage bâti et religieux encore visible, malgré des décennies d’exactions et de destructions ; de l’autre, une présence démographique chrétienne devenue quasi inexistante.

Une discrimination historique assumée contre les fondations chrétiennes

Les deux Fondations requérantes contestent la non-restitution de trois de leurs biens, pourtant dûment inscrits dans leur déclaration de 1936. Un retour dans l’histoire s’impose pour comprendre l’importance de cette déclaration de 1936. Pendant l’époque ottomane, les fondations communautaires n’avaient pas de personnalité morale. Elles géraient des biens collectifs au profit de leurs communautés religieuses, souvent enregistrés au foncier sous le nom réel mais prêté de l’un des notables de la communauté en qui elles avaient confiance ou encore sous le nom fictif d’un saint religieux.

À la suite de l’avènement de la République turque en 1923, la loi n° 2762 sur les fondations de 1935 reconnut la personnalité morale des institutions qui avaient été créées au profit de communautés non-musulmanes sous l’Empire ottoman. Cette loi leur imposait, aux fins de l’obtention du statut de fondation, l’obligation de présenter une déclaration (appelée « Déclaration de 1936 ») dans laquelle elles devaient préciser entre autres la nature et le montant de leurs revenus et énumérer la liste de leurs biens immobiliers. Les Fondations requérantes se conformèrent à ladite obligation, indiquant dans leur déclaration les biens qu’elles possédaient alors et qui sont en cause dans l’affaire.

En 1974, la Cour de cassation turque interpréta rétroactivement que les déclarations faites en 1936 devaient être considérées comme les actes fondateurs valant statuts des fondations communautaires. De plus, ces déclarations comprenaient un inventaire des biens leur appartenant. En l’absence d’une clause explicite dans leurs déclarations, ces fondations ne pouvaient acquérir des biens immobiliers supplémentaires à ceux mentionnés dans le document en question. La Cour de cassation sembla considérer que l’acquisition de biens immobiliers par les fondations de ce type pouvait constituer une menace pour la sécurité nationale. En conséquence, des milliers de biens immobiliers ont été confisqués au fil des décennies et transférés au Trésor public ou à la Direction générale des fondations.

La Turquie doit restituer les biens aux Fondations grecques-orthodoxes

La Turquie refuse de reconnaître aux Fondations requérantes la propriété de leurs biens inscrits dans leur déclaration de 1936, alors même qu’elle s’y était engagée en vertu des articles 7 et 11 provisoires de la loi n° 5737 sur les fondations de 2008. Ainsi, l’ECLJ invite la Cour à ne pas seulement constater une violation évidente du droit de propriété des Fondations requérantes (article 1 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme), mais également de constater une discrimination sur le fondement de la religion chrétienne des Fondations (article 14 de la Convention).

Par ailleurs, la manière la plus adéquate pour le Gouvernement turc de réparer le préjudice causé serait de restituer aux deux Fondations leurs trois biens litigieux. En effet, le système judiciaire turc est marqué par une extrême lenteur et une mauvaise foi institutionnelle manifeste dans le traitement des litiges impliquant des minorités chrétiennes. Une réouverture du procès pourrait aboutir à un nouveau rejet ou à une prolongation injustifiée des procédures, privant encore davantage les requérantes de leurs biens avec des conséquences juridiques et pratiques désastreuses.

Lorsque l'administration turque refuse de reconnaître la propriété d'une fondation sur un bien déclaré en 1936, et d’autant plus si ce bien a été acquis entre 1936 et la décision de la Cour de cassation turque de 1974, ces biens peuvent être formellement transférés dans le patrimoine de l’État ou d’autres institutions publiques. Pire encore, les biens peuvent être de fait saisis par diverses entreprises à caractère mafieux (celles des parkings et de l’immobilier), à la recherche de rentes aisées. À partir d’un degré avancé de dégradation, au nom de la sécurité, la préfecture et les mairies d’arrondissement finissent par récupérer de fait ces biens, jusqu’à donner le sentiment que le dépérissement est accéléré (bois arrachés, incendies…), pour pouvoir récupérer le sol.

Les chrétiens de Turquie face au nationalisme turco-islamique

Une telle mesure de restitution assurerait le respect du droit de propriété des Fondations requérantes, tout en préservant leur héritage culturel et spirituel ainsi que leur autonomie financière et administrative. Elle enverrait également un message fort contre la spoliation continue des biens appartenant aux minorités chrétiennes en Turquie. La Constitution turque reconnaît officiellement la Turquie en tant qu’État laïc, et les minorités non musulmanes sont censées être protégées en vertu du Traité de Lausanne de 1923. Pourtant, dans la pratique, les chrétiens sont traités par l’administration comme des citoyens de seconde zone, par diverses discriminations.

En conséquence des discriminations subies par les minorités chrétiennes, leur forte émigration a considérablement réduit leur présence en Turquie. En 1920 il y avait encore deux millions de chrétiens en Turquie ; ils ne sont plus que 169 000 aujourd’hui et représentent 0,2 % de la population. Plus particulièrement, alors que les grecs-orthodoxes représentaient 100 000 citoyens en 1923, ils sont aujourd’hui moins de 2 000, dont dépendent près de 4 000 biens appartenant à leurs fondations. Cette démographie extrêmement basse et vieillissante menace donc la survie de l’orthodoxie grecque en Anatolie.

La présente affaire n’est ainsi qu’un exemple parmi d’autres de la persécution latente subie par les chrétiens en Turquie, victimes d’un nationalisme ethnico-religieux promouvant l’homogénéité d’une nation turque et musulmane. L’ECLJ a dénoncé cette persécution dans sa contribution à l’Examen périodique universel d’octobre 2024 pour la Turquie au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. La survie des dernières communautés chrétiennes de Turquie est en jeu. En leur privant l’accès à leurs biens, Ankara poursuit son objectif de disparition progressive des chrétiens du pays. Une décision forte de la CEDH pourrait enfin mettre un coup d’arrêt à cette politique d’effacement.

Pour la défense des Chrétiens persécutés
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