CEDH

L’accès à la pornographie : un droit de l’homme selon la CEDH

CEDH : L'accès au porno est un droit

Par Priscille Kulczyk1658149264783
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L’accès à la pornographie est-il en passe de devenir un droit de l’homme ? La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient de faire un pas dans cette direction par un arrêt, pour le moins surprenant, publié le 7 juillet 2022 dans l’affaire Chocholáč contre Slovaquie (requête n° 81292/17). Cette requête concerne la règle en vigueur en Slovaquie selon laquelle la possession de matériel pornographique, qui porte atteinte à la moralité, est interdite aux prisonniers. Purgeant une peine de prison à perpétuité pour meurtre, M. Roman Chocholáč, né en 1989, se plaint d’une part de s’être vu confisquer ses photos pornographiques, et d’autre part d’avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire, en l’occurrence une simple réprimande. Selon lui, posséder de telles images ne met en danger ni la moralité, ni le maintien de l’ordre dans la prison, ni les droits d’autrui.

Par cinq voix contre deux, la CEDH a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant le droit à la vie privée et familiale et a accordé au requérant 2 600 EUR à titre de satisfaction équitable pour son préjudice moral.

Le droit (fourre-tout) au respect de la vie privée

Pour la première fois, la CEDH s’exprime donc sur la question de la possession de matériel pornographique par un détenu sous l’angle de l’article 8 dans son volet « vie privée ». De prime abord, devant des faits aussi futiles que triviaux, on se demanderait presque si la Cour n’a pas du temps à perdre pour examiner une telle requête. Plein de bon sens, le juge Wojtyczek (Pologne) affirme d’ailleurs dans son opinion dissidente figurant à la suite de l’arrêt que « l’accès à la pornographie ne peut pas être objectivement considéré comme un sujet d’importance pour un individu », sauf à ce que « toute restriction à un comportement particulier dans un domaine qu’un individu considère comme important pour lui constitue une ingérence dans l’article 8 ». Or c’est précisément cette réputation que s’est taillé l’article 8 et qui se trouve par conséquent à nouveau confirmée : il s’agit d’une disposition pouvant être invoquée pratiquement à l’infini, la vie privée étant selon la Cour « une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive »[1]. Le présent arrêt participe ainsi du phénomène d’enflement de la portée de l’article 8, d’arrêt en arrêt, au gré de l’imagination et de la volonté infinies de l’individu-requérant. À tel point qu’un juge avait un jour suggéré ironiquement de le rebaptiser « article ∞ »[2]

La Cour constitutionnelle slovaque, qui avait examiné l’affaire en concluant à la compatibilité de la mesure contestée avec la Constitution slovaque, l’avait justifiée au regard de la protection de la morale, de l’ordre et des droits et libertés des tiers qui figurent parmi les buts légitimes pouvant rendre nécessaire une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale selon l’article 8§2 de la Convention. La CEDH met toutefois en doute la légitimité et la finalité de la restriction de l’accès à la pornographie : dès lors que le détenu ne possédait ces images pornographiques que pour son propre usage, sans avoir pour objectif de les transmettre à d’autres, aucun de ces buts légitimes ne semblent pertinents. En somme, il n’y a pas de mal à se faire du bien… Selon la Cour, concernant par exemple la protection de l’ordre et des droits et libertés des tiers, « aucune preuve concrète ni aucun exemple n’ont été fournis à l’appui de l’allégation selon laquelle la possession de contenus pour adultes […] comportait des risques réels par rapport à ces valeurs » (§ 72). Elle fait ainsi sienne l’idée reçue selon laquelle la consommation de pornographie est une affaire privée qui n’a aucune conséquence ni pour le consommateur lui-même, ni pour les tiers.

Or cela est bien évidemment faux. À titre de comparaison, si la Cour a eu l’occasion de juger que le refus des autorités pénitentiaires de fournir à des détenus certaines éditions d’un quotidien violait leur droit de recevoir des informations ou des idées selon l’article 10 de la Convention[3], il ne paraît toutefois pas déraisonnable de réserver un traitement sensiblement différent à des contenus de nature pornographique.

En effet, comme l’a rappelé le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) dans ses observations écrites en tant que tierce-partie à la CEDH dans cette affaire, la pornographie est intrinsèquement immorale et les États peuvent restreindre certaines libertés, ainsi que l’indique notamment la Convention européenne en son article 8, pour protéger la morale, autant que la sécurité, la santé, ou les droits d’autrui. S’appuyant également sur son rapport « Pornographie et droits de l’homme » (2020), l’ECLJ a indiqué à la Cour que de nombreuses recherches établissent qu’une utilisation répétée de la pornographie cause un risque de dépendance, ainsi que de nombreuses pathologies psychologiques et des troubles relationnels. La pornographie dévalorise systématiquement les personnes et incite à la violence, à l’agressivité et même au sadisme ou au masochisme. La dévalorisation de la femme y est quasi-systématique, celle-ci étant généralement présentée de façon stéréotypée et humiliante. Il paraît d’autant plus légitime de protéger les détenus des effets pervers de la pornographie que ces personnes y sont particulièrement vulnérables, leurs isolement et oisiveté pouvant accroître le risque de dépendance.

Une décision hors-sol par rapport à la réalité du milieu carcéral

Le présent arrêt est donc dénué de bon sens, ce que tentent d’ailleurs d’expliquer les deux juges dissidents. Tout d’abord, le juge Derenčinović (Croatie) remarque de façon terre-à-terre mais non moins judicieuse que « rien dans le dossier ne suggère que le requérant ait été empêché de quelque manière que ce soit de pratiquer l’auto-érotisme » : seul lui a été retiré le matériel spécifique destiné à attiser ses fantasmes. De son côté, le juge Wojtyczek met en avant plusieurs textes émanant de diverses organisations internationales et très critiques par rapport à la pornographie, eu égard notamment à ses conséquences sur les violences faites aux femmes. Il rappelle également que la décision des autorités slovaques n’est pas isolée puisqu’en 1975, la Cour constitutionnelle fédérale allemande avait justifié le rejet de la plainte d’un détenu qui s’était vu interdire l’accès à des publications obscènes, par la nécessité d’assurer la bonne exécution des peines et la réintégration du prisonnier dans la société. Tirant les conséquences du présent arrêt qui prévoit que l’interdiction générale de la pornographie en prison viole l’article 8 de la Convention, le juge polonais conclut que « l’accès à la pornographie dans les prisons devient au moins un droit prima facie, car toute limitation de celui-ci exige le respect des critères énoncés à l’article 8, ainsi qu’une justification individuelle fondée sur une évaluation de la proportionnalité au cas par cas ». Or, outre son coût financier et le risque évident d’arbitraire, exiger des États l’examen au cas par cas de l’opportunité d’autoriser tel ou tel détenu à posséder du matériel pornographique paraît largement inapplicable d’un point de vue pratique sans risque de dissémination des matériels en question, alors que de nombreux États font face à une surpopulation carcérale.

Ce jugement concerne spécifiquement le milieu carcéral, mais comment justifier de quelconques mesures destinées à limiter l’accès à la pornographie à l’extérieur, notamment aux mineurs ? La CEDH donne ainsi un très mauvais signal alors que la société prend de plus en plus conscience de la nocivité de la pornographie et de la nécessité d’en protéger tant les personnes mises en scène que le grand public, en particulier les jeunes et autres personnes vulnérables[4] : en effet, bon nombre d’associations et de professionnels de santé tirent actuellement la sonnette d’alarme concernant l’ampleur de la consommation pornographique et de ses effets délétères non seulement sur l’individu, mais aussi sur les couples, les familles et la société dans son ensemble.

________

[1] CEDH, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, 29 Juil 2002, § 61.

[2] CEDH, Erményi c. Hongrie, n° 22254/14, 22 nov. 2016, Opinion dissidente du juge Küris.

[3] CEDH, Mesut Yurtsever et autres c. Turquie, n° 14946/08, 20 janvier 2015.

[4] Voir Christophe Foltzenlogel, Dangers de la pornographie en ligne : les membres de l’APCE se mobilisent, ECLJ

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