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Blocage de sites, viols de Mazan: les procès de la pornographie

Viols de Mazan: les procès de la pornographie

Par Priscille Kulczyk1732288396584
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Quatre sites pornographiques viennent d’être bloqués en France par les fournisseurs d’accès à internet, à la suite d’une décision de justice rendue le mois dernier. En plein procès des viols de Mazan, ce hasard du calendrier met la pornographie et ses conséquences sur le devant de la scène et rappelle qu’il y a urgence à protéger la société de ce poison.

Le 17 octobre 2024, la Cour d’appel de Paris, saisie par deux associations de protection de l’enfance, a ordonné aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer quatre sites pornographiques édités par des sociétés établies hors de l’Union européenne, dès lors qu’ils enfreignaient l’article 227-24 du Code pénal français. Depuis 2020, ce dernier exige que l’accès à ce type de sites soit conditionné à une vérification de l’âge de l’utilisateur autre qu’une simple déclaration de majorité. Depuis vendredi 15 novembre, ces quatre sites sont désormais bloqués sur le territoire français.

Une goutte d’eau dans un océan de sites illégaux

Nouvel épisode d’un feuilleton jurisprudentiel impliquant les juridictions nationales et européennes, cette décision doit nécessairement être saluée mais également relativisée. D’une part, la Cour d’appel a fait prévaloir l’intérêt de l’enfant en jugeant que « Privilégier la protection de la vie privée des consommateurs majeurs, en écartant un contrôle de l’âge, est incompatible avec le droit des mineurs à être protégés de l’accès illimité, anonyme et gratuit, à des contenus inappropriés à leur âge, susceptibles de mettre en péril leur construction intime, de contribuer à des phénomènes addictifs et de favoriser la diffusion d’une image inexacte et dégradée de la sexualité ». Il est heureux que la Cour ait ainsi reconnu les conséquences dévastatrices de l’exposition des jeunes à la pornographie qui justifient le blocage de ces quatre sites dans l’attente de leur mise en conformité avec le droit français. Bloquer des sites pornographiques illégaux est donc possible, preuve en est. Et si selon certains, un tel blocage est inutile car il peut être contourné, il permet néanmoins de faire obstacle à l’accès non-intentionnel à la pornographie qui s’apparente, en particulier chez les plus jeunes, à un viol psychologique. Cette décision concernant quatre sites n’est toutefois qu’une goutte d’eau dans l’océan des sites pornographiques illégaux. D’autre part, alors que neuf sites étaient mis en cause, le sort des cinq autres, parmi lesquels figurent certains des plus visités, est suspendu à une décision prochaine de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

La pornographie ou l’innocence des enfants sacrifiée sur l’autel du profit

Les juges ont dû surseoir à statuer face à l’intervention volontaire à la procédure des sociétés éditrices de ces cinq sites qui ont invoqué leur établissement dans des États membres de l’Union européenne qui ont une législation moins protectrice des mineurs. En effet, dans l’arrêt controversé du 9 novembre 2023 Google Ireland, la CJUE avait jugé en substance que la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, qui prévoit le « principe du pays d’origine », empêche que des mesures générales et abstraites en vigueur dans un État membre autre que celui où est établi le service s’appliquent à ce dernier dans le « domaine coordonné » par la directive. La Cour semblait ainsi privilégier la libre circulation des services numériques au détriment de la protection des enfants. Profitant d’un droit européen au demeurant lacunaire en matière de vérification de l’âge en ligne, ces cinq sites invoquent ce principe pour esquiver le droit français plus protecteur des mineurs. Pourquoi ? Parce qu’enfant rime avec argent : selon l’ARCOM, « En moyenne, 12 % de l’audience des sites adultes est réalisée par les mineurs ». La pornographie dévoile ainsi son vrai visage : celui d’une industrie prête à sacrifier l’innocence, le bien-être et la santé des enfants sur l’autel du profit. Cette résistance transparaît aussi dans la contestation par Aylo de l’attribution à Pornhub du statut de « très grande plateforme en ligne » en vertu du Règlement européen sur les services numériques. Ce statut implique des obligations renforcées, notamment en termes de protection des mineurs en ligne. La balle est donc dans le camp de la CJUE : saisie par le Conseil d’Etat français le 6 mars 2024, elle apportera prochainement des précisions supplémentaires quant à la mise en œuvre de la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique dans le contexte de la protection des mineurs par les sites pornographiques et permettra de fixer le sort de ces cinq sites.

La pornographie ou les femmes sacrifiées sur l’autel du vice

Les enfants ne sont malheureusement pas les seuls sacrifiés de l’industrie pornographique. La consommation désormais massive de pornographie a des conséquences pour ses consommateurs, mais aussi pour la société en général, y compris la condition des femmes. C’est bien ce que montre actuellement le procès médiatique des viols de Mazan dans lequel la victime est une femme ayant subi pendant dix ans des viols par son mari et plusieurs dizaines d’hommes invités par lui, alors qu’elle était inconsciente car droguée par son conjoint. « J’ai été sacrifiée sur l’autel du vice », déclare-t-elle. Comment ne pas reconnaître en cette affaire un symptôme de l’état de pornification avancée de la société ? Entre ces actes pouvant être volontiers qualifiés d’« horreur », qui plus est filmés par l’époux, et tant de films pornographiques sordides qui pullulent sur la toile, toute ressemblance est loin d’être fortuite. En outre, les dizaines d’hommes qui se sont volontiers succédé dans le lit de cette femme sur proposition de son mari n’ont apparemment pas de profil-type, mais la consommation de pornographie est avérée chez des accusés. Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’affaire French Bukkake où plusieurs dizaines de femmes ont été victimes de viols en réunion : des hommes étaient notamment invités à se retrouver en un même lieu pour participer, devant la caméra, à des pratiques violentes sur une femme.

Comment expliquer de tels comportements, sinon par la banalisation de la pornographie et de sa violence ? En effet, de nombreuses études attestent que la consommation de pornographie, qui fait majoritairement rimer sexualité avec brutalité, favorise la violence sexuelle : l’une d’elles,[1] examinant la littérature scientifique des vingt dernières années en la matière, a conclu en 2023 que « L’exposition à la pornographie a été liée à la coercition sexuelle, ainsi qu’à des niveaux plus élevés de croyances favorables au viol, à l’approbation par les pairs des rapports sexuels forcés (…). Les hommes qui ont regardé de la pornographie grand public ont obtenu des résultats significativement plus élevés en ce qui concerne la probabilité qu’ils se déclarent capables de commettre des viols (…). L’utilisation de la pornographie est associée à une plus grande acceptation de la réification des femmes. »

Libérer la société du poison pornographique

Oui, « la pornographie, sa violence, ses scènes de barbarie ont des conséquences dans la vraie vie », comme l’affirme la députée Aurore Bergé le 12 septembre 2024 sur X (ex-Twitter). Et elles en ont encore plus dans une société où « 28 258 internautes regardent de la pornographie chaque seconde et [où] 35 % de l’ensemble des téléchargements effectués sur Internet sont liés à la pornographie ». C’est ce qu’indique Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes et les filles, qui recommande l’abolition de la prostitution et de la pornographie dans un rapport publié en mai 2024. Elle cite encore une étude selon laquelle « Pornhub [est] au 21e siècle la troisième entreprise technologique en termes d’impact sur la société ».

Ces deux affaires fournissent ainsi la preuve qu’il est urgent mais possible de s’attaquer au problème des violences sexuelles par une de ses racines : l’accès illimité, anonyme et gratuit à la pornographie qui a fait de celle-ci un véritable produit de consommation, parfois même une drogue. Libérer la société de ce poison commence par en protéger la jeunesse : ce n’est pas un hasard si, en réaction à l’affaire des viols de Mazan, une cinquantaine d’organisations constituées en Coalition pour une Loi Intégrale contre les Violences Sexuelles promeut cent-trente mesures parmi lesquelles rendre effective « l’interdiction d’accès des mineurs aux contenus pornographiques » dans le cadre de la lutte « contre l’industrie pornocriminelle et pédocriminelle et contre la culture du viol en ligne ». Face aux conséquences irréfutables de la pornographie dans la vie de millions de femmes, d’hommes et d’enfants, il est temps que les responsables politiques européens et nationaux prennent à bras le corps le problème de santé publique qu’est devenue la consommation de pornographie. À combien de procès de Mazan faudra-t-il s’attendre dans le futur, alors que les enfants sont de plus en plus massivement biberonnés à la pornographie ?

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[1] Mestre-Bach, G., Villena-Moya, A., & Chiclana-Actis, C. (2024). Pornography Use and Violence: A Systematic Review of the Last 20 Years. Trauma, Violence, & Abuse, 25(2), 1088-1112.

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