Révision du Règlement Sanitaire International & Accord de l’OMS sur les pandémies
La crise sanitaire de la Covid-19 a-t-elle durablement marqué le domaine de la santé publique ? La gestion de la Covid-19 a entraîné de graves atteintes aux libertés fondamentales dues aux restrictions mises en place pour limiter sa propagation. Par ailleurs, les gouvernements se sont mobilisés pour renforcer le système de santé mondial, mais l'équilibre entre santé publique et droits individuels reste délicat. La pandémie a également suscité des inquiétudes sur une possible prise de contrôle de la santé mondiale par l'OMS, exacerbée par la révision controversée de son règlement.
Par Milly-Gloria ITANGIVYIZA
L’OMS est dotée de plusieurs textes fondamentaux sur lesquels elle fonde son action. Parmi eux figure le Règlement Sanitaire International (RSI)[1] ancré dans la Constitution du 7 avril 1948[2]. Il s’agit d’un instrument international juridiquement contraignant[3] à l’égard des 196 États parties au règlement, dont 194 États membres de l’OMS. Le règlement actuel date de 2005 et est entré en vigueur le 15 juin 2007.
Ce RSI de 2005 énonce les approches à adopter et les obligations des États afin de prévenir la propagation internationale des maladies. En son article 2 figurent son objet et sa portée. Il a été mis en place « pour prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, tout en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux ». En d’autres termes, il sert à la prévention et la gestion des maladies au niveau international, en permettant aux États de ne prendre que des mesures strictement nécessaires, afin d’entraver le moins possible la libre circulation des personnes et des marchandises.
Depuis la crise sanitaire de Covid-19, un nouvel instrument devant compléter le RSI est en discussion. Il s’agit du projet d’Accord de l’OMS sur les pandémies. Son objectif est de compléter le RSI en introduisant de nouvelles règles internationales en matière de santé afin de permettre à l’OMS d’agir pour une meilleure prévention et gestion des futures pandémies.
Forum de Paris sur la Paix de 2020 : point de départ
L’idée de la révision du RSI (2005) et de l’adoption d’un nouvel accord de l’OMS sur les pandémies a été lancée en 2020 par le Forum de Paris sur la Paix*. Cet événement marquant a réuni des experts de la santé, des représentants gouvernementaux, des organisations internationales, et d’importantes fondations. Les différents partenaires du Forum ont joué un rôle clef dans l’organisation et la réussite du Forum. Entre autres, la fondation Bill & Melinda Gates a financé le projet pour près d’un million[4] de dollars. D’autres fondations comme Ford, Open Society, Rockefeller et Brunswick ont également participé.
Organisées en réponse aux critiques croissantes concernant la gestion de la pandémie de Covid-19, les discussions du Forum ont porté sur l’amélioration de la rapidité de la réponse aux pandémies, le partage d’informations et la coordination internationale. Les participants au Forum ont ainsi convenu que le RSI, dans sa forme actuelle, nécessitait des révisions substantielles pour mieux répondre aux futures urgences sanitaires. Dès le départ, les organisateurs du Forum de 2020 ont eu pour objectif de mettre en lumière les lacunes et les faiblesses du RSI actuel face à une crise sanitaire mondiale d’une ampleur sans précédent. L’accent a ainsi été mis sur la nécessité de réformer et de renforcer le rôle de l’OMS dans la gestion des pandémies. Par ailleurs, divers ateliers ont été organisés pour aborder des sujets spécifiques tels que la surveillance épidémiologique, la distribution équitable des vaccins, et les stratégies de communication en période de crise.
Deux des principales propositions concrètes du Forum doivent être soulevées. Il s’agit premièrement de la négociation d’un nouvel instrument international juridiquement contraignant pour la riposte aux pandémies, le futur projet d’Accord de l’OMS sur les pandémies; et deuxièmement, de la création d’un Conseil d’experts[5] de haut niveau « One Health » (OHHLEP). Ce Conseil serait alors créé dans le cadre d’une initiative interdisciplinaire portée par la FAO, l’OMS, l’OMSA et le PNUE (les Partenaires), pour permettre de tenir compte des interactions entre santé humaine, animale et environnementale. Chargés de soutenir et potentiellement aider à orienter les politiques de santé nationales, régionales et internationales, les experts de l’OHHLEP, ont été choisis et nommés lors des consultations entre les Partenaires, à la suite d’un appel public à candidatures[6].
Création d’organes chargés de la révision et des négociations
Le processus de modification du RSI (2005) s’inscrit dans la continuité de la lutte contre la pandémie de COVID-19. Ce processus est assuré par deux entités : le Groupe de travail sur les amendements du RSI (2005) et l’organe intergouvernemental de négociation. Ces organes rassemblent des experts en santé, dont des docteurs en médecine et des diplomates.
Les négociations au sein du Groupe de travail sur les amendements au Règlement sanitaire international
Il y a 196 États Parties au RSI : les 194 États membres de l’OMS, le Liechtenstein et le Saint-Siège. L’ensemble du RSI n’étant pas ouvert à une nouvelle négociation, une compilation[7] de propositions d’amendements (au total 307 amendements) sur des questions et des enjeux spécifiques a été soumise pour examen. Ce sont les 196 États Parties qui négocient[8] les amendements proposés au RSI, par l’intermédiaire du Groupe de travail sur les amendements au Règlement sanitaire international (2005).
Le Groupe de travail sur les amendements du RSI (2005) est composé de coprésidents, de vice-présidents et du comité d’examen des amendements. Ce Groupe fonctionne comme une subdivision de l’Assemblée mondiale de la Santé. Les négociations sont coordonnées par le Bureau du Groupe de travail, qui comprend des représentants de chaque Région de l’OMS, dont deux coprésidents. À la demande des États membres, le Secrétariat de l’OMS soutient le Groupe de travail et son Bureau en convoquant ses réunions et en lui fournissant les services et les moyens dont il a besoin pour s’acquitter de sa mission, ainsi que des renseignements et des conseils.
Les négociations au sein de l’organe intergouvernemental de négociation
Lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée de la Santé en décembre 2021, les gouvernements ont convenu d’élaborer et de négocier une convention, un accord ou un autre instrument international et contraignant de riposte face aux pandémies, en vertu de la Constitution de l’OMS. Ces négociations se tiennent sous la direction de l’Organe intergouvernemental de négociation[9], composé d’un bureau dont les membres sont les différents représentants des six régions de l’OMS et d’un secrétariat. Il est chargé de rédiger le texte du potentiel nouvel accord et de faciliter les négociations entre États.
Lorsque s’est concrétisée la création de l’organe de négociation, l’Assemblée mondiale de la Santé a noté la nécessaire complémentarité et cohérence des travaux sur le RSI et de l’élaboration de l’accord. Il a été alors demandé au Groupe de travail sur les amendements et à l’Organe de négociation d’instaurer une coordination régulière entre les deux bureaux en alignant les calendriers des réunions et les plans de travail.
Amendements controversés
La révision du RSI n’a pas été sans controverse. Certains des amendements proposés, bien que destinés à protéger la santé publique, ont suscité des inquiétudes quant au respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux. Parmi les amendements proposés, certains ont été particulièrement choquants. Ils incluaient des mesures drastiques de quarantaine et d’isolement, la surveillance accrue des populations et la possibilité de restreindre les libertés individuelles en cas de crise sanitaire.
Ainsi, on peut noter à un amendement supprimant les notions de respect de la dignité humaine et des libertés fondamentales inscrites à l’article 3 du RSI (2005). Alors que l’article dispose que la mise en œuvre du RSI doit respecter « pleinement la dignité des personnes, les droits de l’homme et les libertés fondamentales », la Malaisie et l’Inde ont proposé de remplacer ces principes par «l’équité, l’inclusivité, la cohérence».
L’Uruguay, au nom des États membres du Marché commun du Sud, a proposé la digitalisation des documents de santé, notamment par l’introduction de passeports internationaux de vaccination, ce qui pourrait porter atteinte au droit à la vie privée.
Le Bangladesh, quant à lui, a proposé de supprimer la mention « non contraignant » de la définition des recommandations permanentes et temporaires de l’OMS, tendant à leur conférer un caractère obligatoire pour les États et leurs populations, menaçant ainsi l’autonomie individuelle et le consentement éclairé leur permettant de prendre des décisions éclairées sur leur santé.
D’autres amendements consistaient en la suppression de la liberté des États de collaborer ou non avec l’OMS et de la consultation de l’État par l’OMS avant d’agir sur son territoire[10]. L’octroi à l’OMS du pouvoir de définir les critères d’alerte des pandémies[11] et de déclarer l’état d’urgence mondiale de manière unilatérale est également apparu comme scandaleux.
Cependant, les experts du comité d’examen[12] ont exprimé des réserves substantielles concernant ces amendements à travers les recommandations techniques[13]. Ils ont souligné le risque de violation des droits humains et la nécessité impérative de trouver un équilibre entre sécurité sanitaire et respect des libertés individuelles. Ils ont donc rejeté ces amendements.
Conclusion
La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les systèmes de santé mondiaux, perturbé les économies, et profondément affecté les sociétés. Elle a mis à nu les vulnérabilités et les inégalités au sein des systèmes de santé, nécessitant une refonte des stratégies de réponse aux pandémies. On peut se poser la question du bien-fondé de la révision du RSI (2005) et de l’adoption d’un nouvel instrument de gestion des pandémies et surtout les risques qu’il pourrait présenter, notamment, avec l’intervention des experts pouvant intervenir au même titre que les États membres à travers des recommandations. Ces dernières servant de base dans la prise de décisions sanitaires dans le cadre de la gestion des maladies au niveau international. Il est alors important de rester vigilant et de participer activement aux débats pour garantir que ces accords servent véritablement le bien commun sans compromettre les droits individuels. Ces mesures pourraient créer un précédent dangereux, amenant les gouvernements à restreindre les libertés individuelles sous prétexte de sécurité sanitaire.
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[1] OMS, Règlement Sanitaire International (2005), 3ème éd.
[2] La Constitution a été adoptée par la Conférence internationale de la Santé, tenue à New York du 19 juin au 22 juillet 1946, signée par les représentants de 61 États le 22 juillet 1946 (Actes off. Org. mond. Santé) et est entrée en vigueur le 7 avril 1948.
[3] RSI, Op. Cit., art. 3 §§ 3 et 4 : « 3. La mise en œuvre du présent Règlement est guidée par le souci de son application universelle en vue de protéger l’ensemble de la population mondiale de la propagation internationale des maladies. […] 4. […] les États […] doivent favoriser les buts du présent Règlement. ». Voir aussi : art. 53 et 59.
* C'est une plateforme internationale dédiée à la gouvernance mondiale et au multilatéralisme. Ce fut le premier événement majeur à aborder la réponse à la pandémie de covid-19. La 3e édition s'est tenue du 11 au 13 novembre 2020 sous le thème de " Construire un monde meilleur après la pandémie". https://parispeaceforum.org/
[4] 650,000 USD pour la mobilisation des parties prenantes en faveur de l’action collective et ainsi permettre d’avancer des projets concrets de gouvernance et la plateforme numérique pour le forum en ligne. La somme de 349,451 USD a également été allouée afin de soutenir ce dialogue de haut-niveau et stimuler des politiques mondiales coordonnées sur la manière de répondre à la pandémie
[5] https://www.fao.org/one-health/background/ohhlep/fr#:~:text=Le%20Groupe%20d'experts%20de,pand%C3%A9mies%20apparaissent%20et%20se%20propagent.
[6] https://www.who.int/fr/news-room/articles-detail/call-for-experts-one-health-high-level-expert-panel-(ohhlep)
[7] https://apps.who.int/gb/wgihr/pdf_files/wgihr1/WGIHR_Compilation-fr.pdf
[8] Décision EB150(3), p. 15 https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB150-REC1/B150_REC1-fr.pdf#page=30
[9] Membres de l’OIN, p. 1 https://apps.who.int/gb/inb/pdf_files/NFR/NFR_INB_27-02-03-03-2023-fr.pdf
[10] Passage supprimé dans le cadre des amendements : « Avant de prendre quelque mesure que ce soit sur la base de ces rapports, l’OMS consulte l’État Partie sur le territoire duquel l’événement est censé se produire et s’efforce de vérifier ces informations auprès de lui conformément aux procédures de vérification définies à l’article »
[11] Voir Propositions d’amendements au RSI (2005) : Article 5 nouveau §5, Article 9, Article 10 § 4, Article 12, Article 35
[12] Membres du comité d’examen des amendements du RSI: Rapport du Comité d’examen des amendements au Règlement sanitaire international (2005) p. 8 et 12 https://apps.who.int/gb/wgihr/pdf_files/wgihr2/A_WGIHR2_5-fr.pdf
[13] https://apps.who.int/gb/wgihr/pdf_files/wgihr2/A_WGIHR2_Reference_document-fr.pdf