Pachinian vs l’Église: l’Arménie au bord de la fracture
La tentative de coup d’État de l’archevêque Bagrat Galstanian en Arménie révèle le fossé qui sépare de plus en plus l’Église apostolique arménienne du Premier ministre Nikol Pachinian. En toile de fond, se joue la survie de l’Arménie, prête à toutes les concessions à la Turquie et à l’Azerbaïdjan pour sortir de son isolement.
Une tentative de coup d’État a été déjouée en Arménie, a annoncé le Premier ministre Nikol Pachinian le 25 juin 2025. Selon lui, le «clergé criminel oligarchique» aurait fomenté un vaste plan de déstabilisation, impliquant l’archevêque Bagrat Galstanian, figure religieuse et leader d’opposition. Des perquisitions ont été menées au domicile de l’archevêque et d’une trentaine de ses proches. L’un de ses alliés politiques, le député Garnik Danielian, a qualifié ces accusations de manœuvres propres à un «régime dictatorial».
Ces tensions sont le prolongement d’un conflit profond entre le Premier ministre et l’Église apostolique arménienne. Cette dernière, bénéficiant d’un statut constitutionnel spécial dans un pays pourtant officiellement laïque (article 18 de la Constitution arménienne[1]), exerce une influence morale et sociale considérable. Le 10 juin 2025, Nikol Pachinian a appelé à la «libération» de l’Église et à l’organisation d’élections pour remplacer son chef, le Catholicos Garéguine II, qui l’avait publiquement critiqué à la suite de la perte du Haut-Karabakh. Fin mai 2025, Nikol Pachinian et sa femme avaient suggéré que Garéguine II avait un enfant, ce qui violerait son vœu de célibat, provoquant critique acerbe et appels à l’excommunication du couple.
Ce contexte tendu survient alors que le gouvernement arménien tente de négocier un accord de paix avec l’Azerbaïdjan, pays avec lequel l’Arménie a mené plusieurs guerres pour le contrôle du Haut-Karabakh. En septembre 2023, une offensive azérie soutenue par la Turquie a mis fin à la présence arménienne plurimillénaire dans la région, entraînant l’exode de plus de 120 000 Arméniens. Depuis, les relations entre Bakou et Erevan se poursuivent sur fond de négociations laborieuses. En mars 2025, un accord de paix a été annoncé, prévoyant la reconnaissance mutuelle des frontières, la dissolution du Groupe de Minsk, et la fin des poursuites internationales réciproques. Mais Bakou exige que l’Arménie supprime de sa Constitution toute mention du Haut-Karabakh. Le contenu exact du texte reste flou, et la signature est retardée par ce point de blocage. La question de la libération des otages arméniens à Bakou, une cause activement défendue par le Centre européen pour le droit et la justice, est éludée.
Malgré l’opposition de l’Église, de la diaspora, et d’une partie de la population, Pachinian tente par tous les moyens de sortir l’Arménie de son isolement, quitte à subir toutes les humiliations. Le 20 juin 2025, il s’est rendu en Turquie pour une visite historique hautement symbolique, la deuxième seulement depuis son arrivée au pouvoir en 2018. La rencontre avec Recep Tayyip Erdogan à Istanbul visait à avancer sur la normalisation des relations avec la Turquie. Les deux États n’ont jamais établi de relations diplomatiques et leur frontière commune est fermée depuis les années 1990. Pachinian avait annoncé en mars 2025 avoir renoncé à la revendication de la reconnaissance internationale du génocide arménien, reconnu à ce jour par 34 pays, dont les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Brésil et la Russie. Par cette concession majeure, les 1,5 million d’Arméniens tués entre 1915 et 1916 sont tués une deuxième fois.
Par ailleurs, le président Erdogan «a souligné l’importance du consensus atteint dans les négociations de paix en cours entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, compte tenu des circonstances, et a déclaré que la Turquie continuerait à soutenir pleinement les efforts visant à développer la région avec une approche gagnant-gagnant». Une déclaration dont il faut se méfier, alors que la Turquie est un soutien historique de l’Azerbaïdjan, liés par leur origine turcique commune («Une Nation, deux États») et leur interdépendance pour la production et le transit des hydrocarbures de la mer Caspienne vers l’Europe. Enfin, Erdogan et Pachinian ont également abordé le sujet du conflit entre Israël et l’Iran, qui partage une frontière avec la Turquie et l’Arménie.
Pour l’heure, la société arménienne est traversée par une profonde lassitude. Selon un sondage réalisé au printemps 2025, plus de 86% des Arméniens souhaitent consulter l’accord de paix avant signature. Si 36% désirent des élections anticipées, 17% soutiennent encore le Premier ministre. Mais tous partagent un même sentiment d’insécurité permanente. L’Arménie avance sur une ligne de crête: entre paix incertaine, crise politique, et rupture spirituelle. Pour Pachinian, un pragmatisme douloureux mais inévitable face à un rapport de force déséquilibré l’oblige à la normalisation des relations avec la Turquie et à la paix avec l’Azerbaïdjan. Le principal enjeu reste la sauvegarde de l’intégrité territoriale de l’Arménie.
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[1] Article 18 de la Constitution arménienne:
«1. La République d’Arménie reconnaît la Sainte Eglise apostolique arménienne pour sa mission exceptionnelle d’Eglise nationale dans la vie spirituelle du peuple arménien, son rôle dans le développement de la culture nationale et la préservation de l’identité nationale.
SIGNATURES