CEDH

[Tribune] Pour la défense de la liberté d’expression en matière religieuse

Religion: Pour la liberté d’expression

Par Grégor Puppinck1555117020000
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Photo : exposition temporaire à la Cour européenne des droits de l'homme "Les droits de l'homme selon le chat" (2017).

Tribune collective parue dans Valeurs Actuelles le 15 mars 2019.

En tant qu’auteurs et chercheurs traitant notamment de questions relatives aux religions, nous exprimons notre vive préoccupation à l’égard de l’affaire de Mme Elisabeth Sabaditsch-Wolff contre l’Autriche. En effet, l’arrêt E. S. c. Autriche rendu en chambre par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 25 octobre 2018 limite dangereusement la garantie de la liberté d’expression en matière religieuse. Le 18 mars 2019, la Cour décidera s’il y a lieu d’accepter la demande de renvoi en Grande chambre, c’est-à-dire de rejuger l’affaire dans sa formation la plus solennelle.

La requérante est une Autrichienne qui a grandi en Iran, puis a travaillé dans des ambassades, au Koweït et en Libye. En 2009, lors d’une conférence publique sur l’islam, celle-ci a, entre autres choses, assimilé le mariage de Mahomet avec la jeune Aïcha âgée de 6 ans à de la pédophilie, en déclarant : « De quoi s’agit-il, si ce n’est de la pédophilie ? ». A cause de ce propos, elle a été condamnée en 2011 par les juridictions autrichiennes pour « dénigrement de doctrine religieuse », infraction prévue à l’article 188 du Code pénal autrichien. La requérante saisit ensuite la CEDH arguant d’une violation de sa liberté d’expression.

Pour analyser la condamnation de cette femme, la CEDH a soulevé des questions pertinentes : la pédophilie – dans son sens actuel – et le mariage d’enfants recouvrent-ils une même réalité ? Une femme se présentant comme experte de l’islam n’aurait-elle pas dû remettre dans son contexte historique le mariage entre Mahomet et Aïcha ? Par ailleurs, les propos de cette conférencière incluaient-ils délibérément des « préjugés » susceptibles de heurter des musulmans ?

La CEDH a considéré que les propos en cause étaient de « nature à susciter une indignation justifiée » des musulmans et constituent « une violation malveillante de l'esprit de tolérance à la base de la société démocratique » risquant « de mettre en danger la paix religieuse ». Elle en a conclu que la condamnation de la conférencière était justifiée au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision des juges de Strasbourg a été fortement critiquée par divers observateurs occidentaux, qui ont fait remarquer qu’elle équivalait à condamner des caricatures de Charlie Hebdo, mais aussi de Voltaire, Ernest Renan ou encore Auguste Comte.

De hautes autorités islamiques ont d’ailleurs considéré que ce jugement de la CEDH donnait raison à leur politique de répression du blasphème. Ainsi, l’Observatoire de l’islamophobie de l’Université El-Azhar du Caire a salué une décision « courageuse » et y a vu une condamnation générale des « blasphèmes contre le prophète ». Le Premier ministre du Pakistan Imran Khan s’est « félicité » de cette décision et a demandé aux pays européens de « redoubler d’efforts » pour lutter contre les blasphèmes. Ce même Premier ministre soutient dans son pays le maintien de la peine de mort ou de la prison à vie pour les blasphémateurs.

Nous demandons en conséquence à la Cour européenne d’accepter la demande de renvoi de cette affaire en Grande chambre. Il ne s’agit pas d’approuver en tout point les propos de la conférencière, mais de clarifier les limites de la liberté d’expression en matière religieuse, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le rappel de faits historiques établis peut-il être condamné lorsqu’il concerne une personnalité considérée comme sacrée par une religion ? Est-il devenu répréhensible d’exprimer de tels propos alors que la Cour européenne dit vouloir protéger l’expression d’informations ou idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » ? La CEDH a aujourd’hui l’occasion de répondre à ces interrogations et de rappeler que la liberté d’expression ne doit être limitée ni par une quelconque pénalisation du blasphème – notion exclusivement religieuse – ni par la violence potentielle de ceux qui se disent offensés par tel ou tel propos.

Nous souhaitons, pour finir, exprimer à la Cour notre attachement au débat fondé sur la raison, qu’il soit politique ou scientifique, et à la liberté de critiquer les religions. Il y va de l’avenir de notre civilisation.

 

Signataires

-Waleed Al-Husseini, essayiste, fondateur du Conseil des ex-musulmans de France,

-Mohammed Christophe Bilek, fondateur de l’association Notre-Dame de Kabylie et du Forum Jésus le Messie,

-Rémi Brague, philosophe, membre de l’Institut de France,

-Chantal Delsol, philosophe, membre de l’Institut de France,

-Zineb El-Rhazoui, journaliste, féministe et militante des droits humains,

-Renée Fregosi, philosophe et politologue.

-Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED),

-Claude Habib, professeur émérite de littérature à la Sorbonne Nouvelle,

-Philippe d'Iribarne, chercheur, directeur de recherche au CNRS,

-Père François Jourdan, théologien et islamologue,

-Maya Khadra, journaliste,

-Annie Laurent, spécialiste de l’Islam et du Proche-Orient, fondatrice de l'association Clarifier,

-Yassine Mansour et Nicolas Bauer, doctorants en droit,

-Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris,

-Héla Ouardi, professeur à l’Université de Tunis, chercheur associé au CNRS,

-Céline Pina, essayiste et chroniqueuse,

-Grégor Puppinck, juriste, directeur de l’ECLJ, membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience,

-Boualem Sansal, écrivain,

-Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, directeur de recherche au CNRS.

-Michèle Tribalat, démographe.

La critique rationnelle de l’islam doit être garantie en Europe
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