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La censure de CNEWS devant la CEDH

La censure de CNEWS devant la CEDH

Par Nicolas Bauer1664282356229
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Une affaire oppose CNEWS au Gouvernement français, à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’ECLJ a pu consulter le dossier de l’affaire « CNEWS contre la France », contenant les arguments du Gouvernement contre la chaîne de télévision. Ils sont révélateurs de l’état de la liberté d’expression sur l’islam et l’immigration en France. Tribune publiée dans Valeurs actuelles (14 septembre 2022).

 

Pendant la campagne présidentielle de 2022, le Gouvernement avait dû se justifier devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’avoir censuré Éric Zemmour dans l’émission « C à vous » (France 5). Zemmour avait en effet été condamné en 2017 pour certains propos hostiles à l’immigration et à l’islam. C’est l’affaire « Zemmour contre la France », qui n’est pas encore jugée par la CEDH. Les juges européens devront trancher entre Éric Zemmour, qui invoque sa liberté d’expression, et le Gouvernement français, qui promeut la censure des « discours de haine ».

En parallèle, une autre affaire similaire est devant la CEDH. Cette fois, c’est CNEWS qui invoque sa liberté d’expression et attaque le Gouvernement devant les juges européens. La chaîne de télévision s’estime victime de censure, en raison d’une décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) relative à une émission de « Face à l’info », en 2019. Dans cette émission, des propos d’Éric Zemmour, alors journaliste chez CNEWS, avaient été considérés par le CSA comme incitant à la haine et à la violence à l’encontre des musulmans.

Les arguments du Gouvernement contre CNEWS, récemment soumis à la CEDH, méritent d’être rendus publics.

 

Un débat sur l’immigration

Rappelons d’abord les faits. Un débat s’est tenu sur CNEWS en octobre 2019 entre François Pupponi, alors député socialiste, et Éric Zemmour. Ce dernier avait déclaré notamment « l’immigration, l’islam et l’islamisme, tout ça c’est le même sujet », tout en évoquant la nécessité de prendre des « mesures radicales » anti-immigration. Il avait poursuivi ainsi : « quand on vient en France et que l’on est français, on doit changer son point de vue et on doit voir l’Histoire en fonction d’intérêts de la France (…). Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer des musulmans et même certains juifs. Moi, je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud, c’est ça être français ».

Éric Zemmour expliquait s’être assimilé en s’appropriant l’histoire nationale, y compris les événements qui déshonorent pourtant la France. Il avait choisi un exemple qui le concernait directement, étant issu d’une famille de juifs d’Algérie. Par une décision de novembre 2019, le CSA a toutefois considéré que c’était un discours de haine et incitant à la violence, que CNEWS n’aurait pas dû laisser passer. Le CSA a reproché à Christine Kelly, l’animatrice de « Face à l’info », « un défaut de maîtrise de l’antenne », et a mis en demeure CNEWS de s’assurer qu’il n’y ait plus, à l’avenir, « aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité ». C’est cette décision du CSA, validée par le Conseil d’État en juin 2021, qui est attaquée par CNEWS devant la CEDH.

 

Les arguments du Gouvernement

C’est en juin 2022 que le Gouvernement intervient dans l’affaire en envoyant ses arguments à la CEDH, pour défendre la décision du CSA. Selon le Gouvernement, CNEWS « n’est pas fondée à se dédouaner de sa responsabilité », d’autant que « la télévision a un impact particulièrement puissant sur la formation de l’opinion des citoyens ». Christine Kelly aurait dû au moins apporter une « nuance ou contradiction », ou « demand[er] à M. Zemmour de préciser ses propos ». Le Gouvernement invite la CEDH à considérer que les propos tenus ont « été diffusés à un horaire susceptible d’attirer de larges audiences, par un personnage médiatique dont l’arrivée sur CNEWS a stimulé les audiences de la chaîne sur la tranche horaire de l’émission « Face à l’info » ».

Sur le fond du sujet, le Gouvernement a indiqué à la CEDH que « la portée de cette séquence doit être appréciée à l’aune de l’ensemble des interventions du chroniqueur [Zemmour] durant cette émission. Il a en effet tenu à plusieurs reprises des propos stigmatisants à l’encontre des musulmans, associant les problèmes engendrés par l’immigration à l’islam, entretenant la confusion entre islam et islamisme ou islam « radical », et présentant ainsi en substance les musulmans comme des personnes dangereuses dans leur ensemble ». Le Gouvernement ajoute par ailleurs que Zemmour « défend, comme condition de l’intégration à la communauté nationale, le fait d’assumer des massacres commis à l’encontre des personnes de cette confession [musulmane] ».

D’autres arguments du Gouvernement contre CNEWS sont moins substantiels et relèvent d’une logorrhée habituelle, dénonçant par exemple un « amalgame susceptible de véhiculer des stéréotypes religieux, de nature à stigmatiser ».

 

Une future « affaire à impact »

Dans une lettre adressée au Gouvernement français, la CEDH a prévenu le Gouvernement du fait que son litige avec CNEWS « pourrait constituer une affaire à impact ». Autrement dit, le futur jugement de la CEDH dans l’affaire « CNEWS contre la France » pourrait donner des orientations d’ordre général, à destination de la France mais aussi des 45 autres États membres du Conseil de l’Europe. La CEDH pourrait ainsi, à l’occasion de ce jugement, approfondir sa jurisprudence sur la liberté d’expression dans les médias. Le Gouvernement prend donc cette affaire au sérieux.

À la CEDH, certaines affaires touchant à la politique se jouent en partie en coulisse. Le journaliste Bastien Lejeune, dans une enquête pour Valeurs actuelles, sous-entendait que c’était le cas de l’affaire « Zemmour contre la France ». Bastien Lejeune évoquait les « accointances entre Emmanuel Macron et les dirigeants de [la CEDH] », en particulier « une affinité personnelle avec l’homme qui compte à la CEDH : l’influent chef de cabinet de son président, Patrick Titiun ». Interrogé à ce sujet par le député Emmanuelle Ménard, le Gouvernement n’a pas nié ce lien particulier. En octobre 2021, Macron a d’ailleurs offert une réception à l’Élysée en l’honneur de Titiun, pour le promouvoir au grade d’officier de la légion d’honneur. Cette cérémonie a eu lieu en présence du Président de la CEDH et du juge français.

 

CNEWS dérange le Gouvernement

La CEDH a déjà rejeté des recours comparables à celui de CNEWS. En 2010, elle avait rejeté une requête de Jean-Marie Le Pen, condamné pour avoir déclaré « le jour où nous aurons non plus 5 millions, mais 25 millions de musulmans, ce seront eux qui commanderont. Et les Français raseront les murs, descendront des trottoirs en baissant les yeux ». En 2018, la CEDH a confirmé la condamnation d’une conférencière autrichienne ayant considéré que « les musulmans entrent en conflit avec la démocratie et notre système de valeurs » et ayant qualifié de « pédophilie » la relation entre Mahomet et la jeune Aïcha (âgée de neuf ans). Si le recours de CNEWS est rejeté, cela confirmera une tendance jurisprudentielle favorable à la censure.

Au-delà de cette affaire, que la CEDH devrait juger dans les deux prochaines années, les arguments du Gouvernement témoignent de son inquiétude face au succès de CNEWS et de Zemmour dans les débuts de « Face à l’info ». Il note ainsi que « le lancement de l’émission (…) s’est traduit par une progression forte de l’audience de la chaîne » et que « cette émission trouve par ailleurs un relais important sur les réseaux sociaux et dans le débat public compte tenu de la notoriété du chroniqueur ». Et le Gouvernement ajoute : « notoriété telle que ce chroniqueur est par la suite devenu candidat à l’élection à la présidence de la République française ».

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