Quelle liberté d’expression sur l’immigration et l’islam ? Zemmour c. France à la CEDHGradient Overlay
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Quelle liberté d’expression sur l’immigration et l’islam ? Zemmour c. France à la CEDH

Zemmour c. France à la CEDH

Par Nicolas Bauer24 Février 2022
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Extraits d’une tribune, publiée dans Valeurs actuelles, revenant sur l’affaire Zemmour contre France, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’enjeu est la liberté de critiquer l’immigration et l’islam. Le Gouvernement français demande à la CEDH d’appliquer à une telle critique un traitement exceptionnel, habituellement réservé au négationnisme, à l’apologie du terrorisme et au racisme. Un tel amalgame serait une forte entrave au débat politique.

Éric Zemmour a fait l’objet d’une condamnation judiciaire pour provocation à la haine religieuse en 2017. Celle-ci, confirmée en appel et en cassation, fera l’objet prochainement d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Les juges européens trancheront donc un litige entre Zemmour et le Gouvernement français.

 

Rappel des faits 

Éric Zemmour a été poursuivi en justice par une association, en raison de cinq réflexions partagées dans l’émission « C à vous » sur France 5 en 2016. Pour les trois premiers passages attaqués, Zemmour a été relaxé. C’est pour les deux derniers passages attaqués que l’ancien journaliste a été condamné, c’est-à-dire pour sa dénonciation d’une « invasion », « colonisation » et « lutte pour islamiser un territoire », ainsi que pour la déclaration « je pense qu’il faut leur donner le choix entre l’islam et la France ». Autrement dit, c’est le cœur de son programme politique actuel qui a été condamné. Son opposition à l’immigration qu’il appelle « arabo-musulmane » a été censurée, en application de la loi Pleven de 1972. Zemmour souhaite faire reconnaître par la CEDH une violation de sa liberté d’expression.

 

Le Gouvernement français en faveur d’une application de l’article 17

Dans ses arguments à la CEDH, le Gouvernement français a soutenu qu’un examen de cette affaire sur le fond était inutile. Selon lui, Zemmour aurait abusé de la liberté d’expression, à tel point qu’il perdrait le bénéfice de cette liberté. Le Gouvernement s’appuie sur l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit l’« abus de droit ». Cet article est appliqué de manière exceptionnelle, contre les propos négationnistes, racistes ou faisant l’apologie du terrorisme. Le Gouvernement le sait, car il cite comme jurisprudence des affaires concernant la négation de la Shoah ou le rejet des personnes non-blanches. Il réduit ainsi sciemment le débat politique sur l’immigration et l’islam à une question de « haine », de « racisme » et de « négationnisme ».

Cette position du Gouvernement français, exprimée dans ses observations écrites à la CEDH, n’a pas été relayée. Ces observations ne sont pas mises en ligne et sont donc très peu lues. L’argumentation du Gouvernement est pourtant choquante. Demander l’application de l’article 17 de la Convention européenne revient à considérer que la démocratie est mise en danger par Éric Zemmour. Dans la jurisprudence de la CEDH, l’article 17 est en effet lié à la notion de « démocratie apte à se défendre ». Le Gouvernement français demande donc aux juges européens de défendre la démocratie face à Zemmour. Pour protéger la démocratie, l’article 17 a pour effet d’exclure la personne de la protection offerte par les droits de l’homme. C’est une forme d’« excommunication », décidée par la CEDH.

Contrairement à ce que demande le Gouvernement, les juges européens n’appliqueront vraisemblablement pas l’article 17 dans l’affaire Zemmour contre France. Ils ont déjà dû rappeler au Gouvernement actuel que cet article visait les « groupements totalitaires » (Z.B. c. France, 2021). En outre, dans sa jurisprudence, la CEDH fait la différence entre la critique radicale de l’immigration ou de l’islam et les discours réellement racistes ou antisémites. Même si le recours de Zemmour est en définitive rejeté, le simple fait que la CEDH refuse l’application de l’article 17 donnerait tort au Gouvernement. Cela confirmerait que Zemmour n’est pas extérieur à la société démocratique et qu’en conséquence il continue de bénéficier des droits de l’homme. Cela serait un échec de la volonté du Gouvernement de confisquer le débat politique sur l’immigration et l’islam.

 

Les affaires comparables déjà tranchées par la CEDH

Certes, par la non-application de l’article 17, Éric Zemmour devrait remporter une victoire symbolique contre le Gouvernement. Mais les juges européens ont posé de telles limites à la liberté d’expression sur les questions d’immigration et d’islam qu’il est probable que son recours soit quand même finalement rejeté, sur un autre fondement. La comparaison entre Zemmour contre France et d’autres affaires est à ce propos éloquente. En 2010, la CEDH avait rejeté une requête de Jean-Marie Le Pen, très similaire à celle de Zemmour. Le Pen avait été condamné pour avoir déclaré « le jour où nous aurons non plus 5 millions, mais 25 millions de musulmans, ce seront eux qui commanderont. Et les Français raseront les murs, descendront des trottoirs en baissant les yeux ».

En 2018, c’est par son jugement E.S. contre Autriche que la CEDH a fortement restreint la protection de la liberté d’expression sur le sujet de l’immigration « arabo-musulmane ». Elisabeth Sabaditsch-Wolff, conférencière autrichienne du parti FPÖ, avait considéré que « les musulmans entrent en conflit avec la démocratie et notre système de valeurs » puis avait qualifié de « pédophilie » la relation entre Mahomet et la jeune Aïcha âgée de neuf ans. La condamnation de cette conférencière en Autriche avait été validée par les juges européens, estimant qu’elle n’avait pas tant cherché à informer le public qu’à démontrer que Mahomet « n’est pas digne d’être vénéré ». La CEDH avait considéré que restreindre sa liberté d’expression était nécessaire à la préservation de la « paix religieuse » et de la « tolérance mutuelle ».

Ce précédent montre que la CEDH pourrait tout à fait rejeter le recours d’Éric Zemmour, à l’issue d’un examen sur le fond. Le Gouvernement français a, dans le but d’obtenir ce rejet, développé quelques arguments de fond pour justifier la censure du candidat à la présidence de la République. Le Gouvernement a notamment estimé que Zemmour « a sciemment alimenté négativement les réflexions sur l’islam en France et la communauté musulmane » et que ses opinions « ne sauraient être considérées simplement comme une mise en cause de la montée du fondamentalisme religieux ». Pour le Gouvernement, les propos de Zemmour « s’apparentent davantage à la stigmatisation d’une communauté » et pourraient « légitimer un discours totalement discriminatoire ».

 

Un jugement de la CEDH pendant la campagne électorale ?

Finalement, le recours d’Éric Zemmour sera probablement rejeté par la CEDH, s’appuyant non sur l’article 17 mais sur un examen de fond, à partir de la jurisprudence. Un tel rejet confirmerait que la protection européenne de la liberté d’expression est fortement limitée sur les sujets de l’immigration et de l’islam. La CEDH ne pourra alors plus prétendre qu’elle protège les propos qui « heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (Handyside contre Royaume-Uni, 1976). En revanche, en refusant d’appliquer l’article 17, les juges européens rappelleraient au Gouvernement français deux principes : Zemmour bénéficie de la protection des droits de l’homme et, surtout, débattre de l’immigration et de l’islam est tout à fait légitime en démocratie.

Mattias Guyomar, le juge français actuel à la CEDH, avait été choisi par Emmanuel Macron. Il porte certainement un regard attentif à l’affaire Zemmour contre France, d’autant plus qu’il siège dans la section V de la CEDH, à laquelle cette affaire est confiée. Il est en revanche peu probable que les juges européens tranchent cette affaire très politique dans le contexte d’une campagne électorale. Donner raison au Gouvernement français ou à Éric Zemmour dans cette affaire serait interprété comme une prise de position plus générale en faveur de l’un ou de l’autre, et donc de Macron ou Zemmour. La CEDH ne devrait pas se risquer à s’ingérer ainsi dans la politique française.

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