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ONU: Un rapport prend position contre la pornographie

ONU: Un rapport prend position contre la pornographie

Par Priscille Kulczyk1726826400000
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La pornographie doit-elle être abolie ? La réponse est oui pour Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences. C’est ce qui ressort de son rapport intitulé « Prostitution et violence contre les femmes et les filles » présenté au Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 21 juin 2024.

 

Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) se réjouit de la publication du rapport « Prostitution et violence contre les femmes et les filles ». Ce dernier est remarquable car, avec clairvoyance et courage, Mme Alsalem y prône l’adoption d’un cadre juridique abolitionniste en matière de prostitution et de pornographie, afin de mieux aider et protéger les victimes. Sans détour, elle conclut que « Les États doivent éviter de devenir des « États proxénètes » et abolir les lois qui autorisent, tolèrent ou cautionnent la violence et l’exploitation dans le système prostitutionnel et la pornographie » (§ 54). Concernant en particulier la pornographie, elle en brosse un tableau noir mais réaliste prouvant qu’elle est intrinsèquement néfaste. Avec force, elle recommande ainsi aux États « d’adopter des dispositions de droit international pour abolir la pornographie et sa consommation », ainsi que « des réglementations qui ciblent de manière exhaustive les contenus pornographiques et criminalisent expressément la possession, la production et l’hébergement de matériels qui portent atteinte au droit à la vie et à la dignité et constituent des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants » (§ 57a). L’ECLJ partage la vision et les recommandations présentées par la Rapporteuse spéciale qui corroborent en tous points ses propres travaux.

La pornographie, variante de la prostitution et forme de traite d’êtres humains

Loin de traiter la pornographie comme un simple genre cinématographique, Mme Alsalem rappelle qu’elle doit être considérée comme une forme d’exploitation sexuelle (§ 49) et comme une variante de la prostitution (§ 57a), la pornographie étant « entendue comme prostitution filmée » (§ 3).

À l’instar de l’ECLJ, la Rapporteuse spéciale appréhende la pornographie comme une plaque tournante de la traite d’êtres humains. D’une part, exemples à l’appui, elle montre que la pornographie repose sur la traite, « La réglementation étant réduite au minimum (…). En décembre 2023, à la suite d’une enquête fédérale aux États-Unis, Aylo Holdings (anciennement MindGeek) a admis avoir tiré profit de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et accepté de payer une amende de 1,8 million de dollars pour échapper à des poursuites pénales à cause des vidéos qu’il avait postées sur son site. La plateforme OnlyFans a quant à elle des abonnés qui seraient l’objet de traite, et joue un rôle de proxénète dans le cadre de transactions commerciales tout en cherchant à multiplier les e-proxénètes dans la chaîne d’approvisionnement » (§ 25). La Rapporteuse spéciale met donc explicitement en cause ces plateformes en ligne, les déclarant « complices en facilitant les pratiques d’exploitation de certaines branches du secteur, comme la pornographie et les services sexuels » (§ 53). Elle recommande ainsi aux Etats « De faire en sorte que les entreprises et les industries répondent du rôle qu’elles jouent dans l’exploitation de la prostitution », « de fermer les sites web qui encouragent la traite et l’exploitation sexuelle des femmes et de perturber le modèle économique des sites web faisant la publicité de la prostitution » (§ 55x), ainsi que « de sanctionner les plateformes et les médias sociaux qui hébergent des sites pornographiques illégaux » (§ 57b).

D’autre part, Mme Alsalem souligne que la pornographie favorise la traite dès lors qu’elle alimente la prostitution : « Les plus grands consommateurs de pornographie sont aussi les plus grands consommateurs de prostituées. De nombreux adolescents se tournent vers des prostituées pour leur « initiation sexuelle » » (§ 18).

Le consentement, un argument factice

Dans ce contexte, la Rapporteuse spéciale rappelle que « Le droit international a établi le « caractère indifférent du consentement » pour les cas de traite et d’exploitation de la prostitution d’autrui » (§ 50). Elle réfute l’argument des tenants de la libéralisation de la prostitution et de la pornographie selon lequel des personnes se prostituent ou sont acteurs pornographiques par choix volontaire. Dans la plupart des cas, leur consentement est en réalité sous-tendu par l’argent : « Le signe le plus visible de l’achat d’une personne n’est pas le consentement mais la rémunération et/ou la promesse de rémunération » (§ 50). Loin d’un choix, il relève plutôt d’une nécessité car si cette personne se trouvait dans une situation financière, familiale ou sociale différente, son « choix » serait lui aussi différent. En outre, il n’est pas rare que ce consentement soi-disant libre soit extorqué par divers procédés : « les témoignages de nombreuses personnes qui disent avoir accepté librement de s’adonner à la prostitution révèlent des schémas d’abus de pouvoir et de situation de vulnérabilité, de manipulation, de prostitution forcée ou de traite, ainsi que des pratiques de séduction » (§ 50). Dans ses conclusions, le rapport affirme ainsi qu’« une transaction financière [est] conçue pour matérialiser un soi-disant « consentement » qui ne peut s’exprimer librement dans le système prostitutionnel. Dans ce contexte, la notion même de « consentement » est instrumentalisée contre les femmes en situation de prostitution, le consentement étant extorqué par la coercition physique ou économique, la manipulation et la violence » (§ 52). Les faits divers et l’actualité donnent largement raison à la Rapporteuse spéciale. Elle recommande par conséquent aux États de « prendre acte du fait que criminaliser l’exploitation de la prostitution d’une autre personne vaut même si la personne est consentante, validant ainsi le caractère indifférent du consentement dans le contexte de la prostitution » (§ 55b).

La pornographie, une violation de la dignité des personnes mises en scène

La Rapporteuse spéciale met encore en évidence le fait que la prostitution et la pornographie violent la dignité humaine en raison de la violence qui leur est consubstantielle. Elle affirme ainsi que « La prostitution entraîne des violations flagrantes des droits de l’homme et de multiples formes de violence pour les femmes et les filles, qui sont souvent déshumanisées et considérées comme des individus dépourvus de droits. La prostitution porte atteinte au droit des femmes et des filles à la dignité et constitue souvent une torture et un traitement inhumain et dégradant » (§ 10). Pour illustrer ce lien, elle égrène un long chapelet de violences dont sont victimes les personnes prostituées : insultes, abus sexuels, viols, coups, enlèvements, mutilations, refus de rémunération, exploitation, esclavage, menaces de mort, meurtres, etc. (§ 10-12). Vient ensuite l’énumération des graves conséquences de la prostitution, parmi lesquelles perte du droit à la vie privée, de la liberté de mouvement, du droit à une famille, isolement social, absence de statut migratoire stable, impact négatif sur la santé physique (diminution de l’espérance de vie, exposition aux maladies sexuellement transmissibles, avortement et stérilisation forcées, maladies des appareils génital et digestif, etc.), ainsi que sur la santé mentale (dépression, troubles alimentaires, toxicomanie, etc.) « aboutissant fréquemment au suicide » (§ 13). Sur ce point, il est remarqué que « les conséquences de la prostitution sur la santé mentale sont similaires à celles de la torture » et que, « D’après une étude menée dans neuf pays, 68 % des personnes interrogées répondaient aux critères du syndrome de stress post-traumatique » (§ 13).

Concernant plus spécifiquement la pornographie, la Rapporteuse spéciale note les « invalidités durables » causées par les actes de brutalité très souvent pratiqués (§ 10), ainsi que les atteintes physiques et les maladies vénériennes souvent rapportées (§ 15). Elle rappelle que la violence est omniprésente dans la pornographie : « Une analyse de vidéos pornographiques populaires réalisée en 2010 a montré que 88,2 % des scènes contenaient des actes d’agression physique (…) ; 48,7 % contenaient des insultes verbales dégradantes » (§ 15). Concernant la pornographie générée par l’intelligence artificielle, il est indiqué que « 96 % de [celle-ci] est produite sans le consentement des personnes représentées. Rien qu’en 2022, plus de 100 000 images générées par ordinateur représentant des femmes sans leur consentement ont été diffusées en ligne » ; cette pratique fait notamment des victimes parmi « les adolescents, en particulier les filles » (§ 15).

Les conséquences nocives de la pornographie pour ses consommateurs

Concernant les consommateurs de pornographie, la Rapporteuse spéciale évoque des conséquences telles qu’accoutumance, diminution de la satisfaction sexuelle, modification des attentes sexuelles, etc. Elle indique en effet que « Les consommateurs de pornographie ont besoin de formes toujours nouvelles et plus extrêmes de contenu violent pour atteindre le même degré d’excitation. La pornographie en réalité virtuelle peut rendre plus difficile l’obtention du plaisir dans les rapports sexuels réels » (§ 19). De même, « Les conséquences de la pornographie et de ses méfaits sur la formation des attentes sexuelles des hommes et des garçons ne doivent pas être sous-estimées » (§ 20).

Mme Alsalem souligne également les dangers de l’exposition de plus en plus précoce des enfants à la pornographie : « En 2018, l’âge moyen de la première exposition à la pornographie pour les garçons dans le monde était de 12 ans » (§ 20). Elle relève que cela a eu pour conséquence le « quadruplement du nombre de victimes mineures d’infractions sexuelles au cours de la dernière décennie, ces victimes étant principalement des filles », de même qu’« une augmentation de l’exploitation sexuelle et de la prostitution des enfants », en particulier des filles « piégées dans la prostitution de plus en plus jeunes, parfois dès l’âge de huit ans » (§ 21). Il est ainsi recommandé aux États « de veiller à la suppression immédiate des images sexuelles de mineurs et de la pornographie facilitée par le numérique susceptible d’être accessible de quelque manière que ce soit à des mineurs » (§ 57a). Il leur revient d’autre part, « En attendant l’abolition de la pornographie, d’appliquer un système strict de vérification de l’âge pour toute la pornographie en ligne, un système de modération rigoureux, des dispositifs d’étiquetage et d’avertissement et un filtrage obligatoire pour les fournisseurs de services Internet avec un système opt-in pour les sites pour adultes » (§ 57b). L’ECLJ se réjouit ainsi de constater que ces recommandations, qui vont dans le sens d’une plus grande limitation de l’accès à la pornographie au vu des dégâts qu’elle cause à ses consommateurs, correspondent à celles portées par l’ECLJ dans son rapport « Lutter contre la pornographie. Tome 1 : Mieux réglementer l’accès à la pornographie » (septembre 2023).

Les conséquences nocives de la pornographie à grande échelle

Dans ce même rapport, l’ECLJ montrait que, loin de rester cantonnés aux seuls consommateurs et aux personnes mises en scène, les effets de la pornographie se ressentent à grande échelle dans une société imprégnée de pornographie. Là encore, la Rapporteuse spéciale abonde pleinement dans le sens de ces constats.

Concernant l’influence de la pornographie sur la société, elle évoque le « paysage visuel « pornifié » » (§ 24) et des chiffres parlants : « On estime que 28 258 internautes regardent de la pornographie chaque seconde et que 35 % de l’ensemble des téléchargements effectués sur Internet sont liés à la pornographie. Une étude réalisée en 2020 par une société de marketing numérique a montré que Pornhub (MindGeek) était au 21e siècle la troisième entreprise technologique en termes d’impact sur la société » (§ 20). Elle regrette ainsi que « D’autres formes d’exploitation sexuelle, comme la pornographie, n’ont pas été convenablement traitées en droit international en dépit de leurs effets mondiaux » (§ 49).

Alors que la pornographie fait rimer sexualité avec brutalité, il est reconnu qu’elle contribue à normaliser la violence sexuelle. Ce phénomène est accentué dans le cas de la pornographie générée par l’intelligence artificielle qui « déforme encore davantage la représentation qu’on a des rapports sexuels normaux, encourageant les regardeurs à adopter des attitudes sexuelles plus néfastes » (§ 19). Comme le note la Rapporteuse spéciale, la pornographie « [efface] la frontière entre la représentation qu’on a des rapports sexuels et celle qu’on a de la violence sexuelle. La violence qui s’exerce contre les femmes dans la pornographie (…) est souvent reproduite dans le monde réel par les consommateurs de pornographie » (§ 18). En consommer favorise ainsi les comportements violents, en particulier à l’égard des femmes. À ce sujet, le rapport mentionne notamment qu’« Une méta-analyse réalisée en 2015 a montré que l’exposition à la pornographie, violente ou non violente, entraînait une augmentation des attitudes agressives et tolérantes à l’égard de l’agression ainsi que les passages à l’acte contre des femmes et des enfants » ; il est ainsi avancé que « L’augmentation des viols, y compris des viols collectifs, peut être liée à la hausse de la consommation masculine de pornographie » (§ 18).

Outre l’augmentation de cette violence à leur égard, c’est la condition des femmes dans son ensemble qui est affectée par la normalisation de la prostitution et de la pornographie en ce qu’elles véhiculent leur réification, leur marchandisation et constituent une atteinte à l’égalité. Comme l’exprime Mme Alsalem : « Quand la prostitution est normalisée et fondamentalement basée sur l’inégalité des sexes, les femmes ne peuvent pas participer à la vie sociale sur un pied d’égalité avec les hommes. (…) La prostitution est (…) porteuse d’une vision foncièrement archaïque et sexiste du rôle des femmes et des relations entre les sexes (…). L’existence et la normalisation de la prostitution sont en outre un obstacle rédhibitoire pour une sexualité fondée sur l’égalité » (§ 23). Concernant en particulier la pornographie, la Rapporteuse spéciale met en cause les plateformes pornographiques en ligne qui « normalisent et encouragent la domination masculine sur les femmes et confortent les rôles sexuels patriarcaux » (§ 24). Avec force, elle dénonce notamment l’hypersexualisation et le véritable endoctrinement dont les jeunes, les filles en particulier, sont victimes dans un univers pornifié dont il devient indispensable d’adopter les codes : en particulier, « Les jeunes femmes sont préparées à devenir des objets d’autoexploitation sexuelle. Le paysage visuel « pornifié » les endoctrine dans un état d’esprit patriarcal selon lequel la seule façon d’être visible - en fait d’être valable - est d’être sexuellement désirée, « sexy » et « pornifiée » » (§ 24). Mme Alsalem conclut ainsi que « Les efforts visant à ignorer les causes et les conséquences dévastatrices de la prostitution pour les femmes et les filles et pour l’ensemble de la société s’inscrivent dans le prolongement de la normalisation historique du rôle stéréotypé des femmes dans la société et de la marchandisation des capacités sexuelles et procréatives des femmes » (§ 52).

Au nom de la dignité humaine et dans une optique féministe, de libération de la femme et d’égalité entre les femmes et les hommes, il conviendrait donc, non pas de libéraliser la prostitution et la pornographie, mais de les abolir. Manquent néanmoins une vraie cohésion et un mouvement vraiment global pour y arriver. Dans cette perspective, ce rapport constitue un pas supplémentaire dans la prise de conscience de la nocivité de la pornographie. Il complète ou justifie opportunément diverses initiatives récentes au niveau européen telles que le rapport et la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relatifs à « La protection des enfants contre la violence en ligne » qui accusent la pornographie, ou encore les décisions de la Commission européenne désignant quatre plateformes pornographiques en tant que très grandes plateformes en ligne au sens du Règlement sur les services numériques. Au plan international, il est un nouveau jalon, vers l’abolition de la pornographie.

Non à la pornographie !
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