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Violence en ligne faite aux enfants : L’APCE accuse la pornographie

Violence en ligne faite aux enfants: L’APCE accuse la pornographie

Par Priscille Kulczyk1715850000000
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Le 19 avril 2024, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a débattu en séance plénière d’un rapport relatif à « La protection des enfants contre la violence en ligne » (n° 15954), rédigé par le sénateur irlandais Joseph O’REILLY (Parti populaire européen). Elle a ainsi adopté à l’unanimité la résolution n° 2547, qui est une prise de position de l’APCE sur le sujet concerné, et la recommandation n° 2274, c’est-à-dire un avis à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui aura l’obligation d’y répondre. Plusieurs propositions d’amendements au texte initial de la résolution avaient été déposés par des députés : si l’Assemblée a refusé celle consistant à inviter les États « à analyser plus avant les liens entre consommation de pornographie et abus sexuels sur enfants », elle en a toutefois adopté d’autres qui permettent d’insister davantage sur les dangers de l’exposition des enfants à la pornographie en ligne et de l’hypersexualisation des enfants.

Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) s’en félicite car tant l’exposé des motifs (rapport) que les textes adoptés dénoncent largement ces dangers, tels que nous les avions exposés dans la contribution écrite que nous avions fait parvenir à la Commission des affaires sociales de l’APCE. Ce document avait pour objectif de rendre le rapporteur attentif à la nécessité de traiter de l’exposition des enfants à la pornographie puisqu’elle relève de la violence faite en ligne aux enfants. Nous y rappelions que si la pornographie s’avère néfaste pour toute personne, les enfants y sont particulièrement vulnérables : ceux-ci en visionnent massivement et en subissent de graves conséquences. Nous recommandions ainsi au rapporteur d’inviter les États à prendre diverses mesures pour protéger les enfants de ce fléau.

L’ECLJ note avec satisfaction que, reprenant notre travail à plusieurs reprises et renvoyant même explicitement à notre contribution écrite, le rapporteur traite largement de l’exposition des enfants à la pornographie et de ses conséquences et partage pleinement notre inquiétude à ce sujet. Ces préoccupations se reflètent dans les textes adoptés par l’APCE, en particulier dans la résolution n° 2547. Celle-ci s’inscrit ainsi dans la continuité de résolutions adoptées précédemment par l’APCE, notamment « Dimension de genre et effets de la pornographie sur les droits humains » (n° 2412 (2021) - 26 novembre 2021) et « Pour une évaluation des moyens et des dispositifs de lutte contre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques » (n° 2429 (2022) - 25 avril 2022). Dans ce second texte, l’APCE s’était dite « vivement préoccupée par l’exposition sans précédent des enfants aux images pornographiques, qui nuit à leur développement psychique et physique » (§ 2).

La pornographie en ligne, une violence faite aux enfants

Dans son rapport, M. O’Reilly cite les dangers de l’exposition à la pornographie comme relevant de deux des quatre « C » (contenu, contact, comportement et commerce)[1] de la classification des risques liés à la sécurité en ligne (§ 7-8). Il note ainsi que « les risques liés au contenu […]surviennent lorsque l’enfant est exposé à un contenu médiatique préproduit susceptible d’avoir un effet négatif, tel qu’un contenu pornographique » et que « les risques liés au comportement […] surviennent lorsque les enfants participent à des échanges, qui peuvent être préjudiciables, avec d’autres mineurs de leur âge tels que […] le partage ou la réception d’images de nudité et de semi-nudité ainsi que la visualisation ou l’envoi de matériel pornographique » (§ 8).

Les références aux travaux de l’ECLJ sont particulièrement visibles aux paragraphes 25 et 26 du rapport. L’auteur y souligne qu’ « Il est particulièrement important de protéger l’enfant de toute exposition à la pornographie compte tenu de ses effets avérés sur le comportement et le développement ». À l’instar de notre contribution, il rappelle « que la consommation de pornographie [est] significativement associée à une augmentation des agressions verbales et physiques ». Il souligne également l’existence du « lien entre la consommation de pornographie et les troubles compulsifs du comportement sexuel » et de la « corrélation entre la pornographie et la violence sexuelle entre jeunes », notant par conséquent que « Les enfants doivent être protégés des adultes mais aussi des autres enfants dans ce domaine ». Le rapporteur partage encore notre avis selon lequel « La pornographie doit être considérée comme une question de santé publique pour laquelle les États ont la responsabilité de prendre des mesures appropriées, notamment en matière d’éducation et de sensibilisation ».

C’est ainsi que dans sa résolution, l’Assemblée reconnaît explicitement la vulnérabilité des enfants face à la pornographie considérée comme une violence en ligne, ainsi que l’urgence d’en protéger les enfants à ce titre (1 et 2). Elle invite les États à « prendre des mesures spécifiques visant à protéger les jeunes enfants d’une exposition prématurée à l’environnement numérique étant donné leur vulnérabilité face notamment à des contenus violents, sexuels ou pornographiques » (4.3). Il est également encourageant que l’APCE se déclare prête à aller de l’avant dans la lutte pour la protection des enfants face à l’exposition à la pornographie en se disant « déterminée à examiner de plus près la question de la «pornographie violente», y compris en ligne, en prenant plus particulièrement en considération la situation des enfants qui sont exposés à ce phénomène » (9).

Une inquiétude particulière est exprimée concernant certaines pratiques spécifiques. C’est notamment le cas de « la création de matériel sexuel par les enfants eux-mêmes » (Rapport, § 4) et du sexting : le rapporteur relève ainsi que selon « une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 8 % des adolescents ont vu une image sexuelle créée par eux-mêmes transmise sans leur consentement » (Rapport, § 9). Il en va de même des deepfakes pornographiques et des « images d’abus sexuel sur les enfants créées par une utilisation abusive de l’IA », phénomène que le rapporteur estime devoir « être analysé et pris en considération rapidement par les responsables politiques » (Rapport, § 4). Dans la résolution, l’APCE invite donc les États à « mener des campagnes d’information et de sensibilisation au sujet des deepfakes préjudiciables, notamment pornographiques, les interdire et assurer leur retrait des plateformes numériques » (4.8 et 8).

Exposition massive à la pornographie : pandémie et smartphone montrés du doigt

Le rapporteur explique que l’exposition des enfants à la pornographie est un phénomène de masse en relevant que « L’âge auquel les enfants sont confrontés pour la première fois à des contenus sexuellement explicites tend à baisser d’un an tous les deux ans » (§ 4). Il cite également le sondage français de l’IFOP dont l’ECLJ lui avait fourni les références («Les adolescents et le porno: vers une "Génération Youporn"?», Sondage IFOP pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique) et qui montrait que « les enfants sont de plus en plus exposés à la pornographie. En effet, 63 % des garçons et 37 % des filles âgées de 15 à 17 ans ont regardé au moins une fois le contenu d’un tel site web » (§ 9).

Le rapport (§ 9 et 2, 5, 10) met explicitement en cause le rôle néfaste de la pandémie de covid-19 et les confinements, ainsi que l’usage intensif du smartphone par les enfants que l’ECLJ dénonce aussi. C’est également le cas de la résolution, par laquelle l’APCE affirme que « L’utilisation accrue de l’internet et des outils numériques, en particulier pendant la pandémie de covid-19 et les confinements, a entraîné une surexposition des enfants à des contenus et comportements inappropriés à leur âge. Les smartphones sont indubitablement devenus un nouveau vecteur de développement de leur vie en ligne mais aussi une source potentielle de violence » (§ 2).

L’importance de l’information, de la sensibilisation et de l’éducation

La violence en ligne, y compris l’exposition des enfants à la pornographie, étant un type de violence qui « reste largement caché en raison de la peur, de la honte, de la stigmatisation et du manque de services de soutien » (Rapport, § 9), les textes insistent sur la nécessité d’améliorer l’information et la sensibilisation en matière de cybersécurité pour « les enfants, les parents, les tuteurs légaux et le personnel éducatif » (Rapport, § 22 et 57).

Des réserves peuvent être émises quant à certaines recommandations dans le domaine de l’éducation. S’il paraît bienvenu, comme le fait l’APCE dans la résolution, de demander aux États de « mettre en œuvre des programmes éducatifs en milieu scolaire, en promouvant notamment l’interaction entre les enfants et l’implication des parents » (4.5), il semble toutefois plus controversé de leur demander de « mettre en place une éducation complète à la sexualité […] qui vise à contrer les messages de violence dans les rapports sexuels […] et sensibiliser à la lutte contre l’hypersexualisation des enfants » (4.7). Bien que le rapporteur affirme l’efficacité d’une telle éducation dans la réduction de la violence (Rapport § 15), des voix s’élèvent toutefois pour dénoncer le contenu d’une telle éducation complète à la sexualité adaptée à l’âge. En effet, certaines dérives dans les contenus parfois présentés aux enfants dans le cadre de tels enseignements sont régulièrement rapportées, y compris en France, et relèvent précisément d’une sexualisation des enfants[2].

D’autre part, à l’instar cette fois de l’ECLJ, le rapporteur admet que l’information des parents et autres éducateurs revêt en la matière une importance particulière mais qu’ils sont souvent démunis (§ 14). C’est ainsi que dans la résolution, l’APCE recommande aux États d’ « associer et de sensibiliser les parents et les personnes qui s’occupent des enfants, qui n’ont souvent pas les connaissances ou le soutien suffisants pour détecter l’exploitation, les abus, la violence et l’exposition des enfants à la pornographie en ligne, et leur donner les moyens d’y réagir » (4.2). Le rapporteur reconnaît toutefois que « Les conseils et les contrôles des parents ne sont pas suffisamment efficaces pour constituer le principal mécanisme de protection, d’autant que le danger provient des sites web eux-mêmes » (§ 20) : les parents ne doivent donc pas être laissés seuls, alors même que la responsabilité du secteur technologique est cruciale (§ 14).

Pour une responsabilité accrue du secteur technologique

Cela est souligné à plusieurs reprises par le rapporteur dans l’exposé des motifs, notamment lorsqu’il affirme « le rôle essentiel du secteur technologique pour garantir la sécurité en ligne et la protection des enfants. Les entreprises technologiques sont responsables de leurs sites web et de leurs contenus […]. Ces entreprises doivent donc être tenues pour responsables » (§ 19 et 22). Concrètement, pour assumer cette responsabilité, le rapporteur invite ces entreprises à « [procéder] à des études d’impact sur les enfants et [les impliquer] à la conception des services et produits numériques. Les risques posés par les technologies de l’intelligence artificielle et les avantages qui en découlent devraient également être analysés » (§ 47).

Dans la résolution, l’APCE « recommande aux États membres de travailler en étroite collaboration avec les parties prenantes du secteur technologique » (5). Elle affirme en effet la nécessité d’« accroître la responsabilisation des parties prenantes du secteur technologique et leur obligation de rendre des comptes en matière de protection des enfants utilisateurs » (5.2).

Pour des mesures équilibrées guidées par l’intérêt supérieur de l’enfant

Dans la résolution, l’APCE invite les États à prendre des mesures équilibrées permettant à la fois de « réduire l’exposition aux préjudices en ligne tout en n’empiétant pas sur les possibilités qu’ont les enfants de tirer profit d’internet » (4), de même que sur « leur liberté d’expression, ainsi que d’autres droits concurrents » (3). Elle souligne néanmoins que c’est bien « l’intérêt supérieur de l’enfant [qui] doit prévaloir dans l’élaboration et la mise en œuvre de toute mesure ou politique » (3).

L’on peut constater que certaines des recommandations que nous formulions pour réglementer l’accès à la pornographie en ligne figurent dans la résolution adoptée par l’APCE. Il s’agit en particulier pour les États, en tant que « norme minimale » de protection des enfants en ligne (Rapport § 57), de prévoir « une obligation de vérification efficace de l’âge sur les sites web, en particulier sur les sites fournissant des produits et des contenus qui ne sont pas destinés aux enfants et qui entraîneraient des obligations similaires dans le monde hors ligne » (4.1 et Rapport § 25). Dans l’exposé des motifs, le rapporteur fait également sienne la recommandation de l’ECLJ concernant la réglementation des politiques de modération et de signalement, affirmant qu’ « Afin d’assurer la sécurité d’un espace en ligne, il conviendrait de mettre en place des mesures pour faciliter le signalement des contenus préjudiciables, pornographiques ou autres. Les fournisseurs doivent en outre modérer eux-mêmes les contenus de manière proactive, par exemple au moyen d’outils de détection ou d’unités spécialement formées » (§ 26). L’APCE recommande ainsi, dans le cadre de la collaboration entre les États et le secteur technologique, de « mettre en œuvre des politiques […] qui incluent des informations claires sur […] les mécanismes de signalement » (5.3). De manière pragmatique, l’APCE invite également les États à « prendre des mesures spécifiques visant à protéger les jeunes enfants d’une exposition prématurée à l’environnement numérique (…) » (4.3).

S’adressant au Comité des ministres du Conseil de l’Europe dans sa recommandation, l’APCE l’exhorte à lutter activement pour la protection des enfants contre la violence en ligne en « [tenant] compte, dans ses travaux, des dangers que représente internet pour les enfants, qui sont plus exposés à la violence et à des nouvelles formes de violence dans l’environnement en ligne ». L’APCE l’appelle en particulier à trouver des solutions en la matière en collaborant davantage avec l’industrie numérique concernant plusieurs axes : « l’évaluation de la fiabilité des outils de vérification de l’âge, en fonction du contenu et de l’âge des enfants utilisateurs » (2.1), « en mettant à la disposition des enfants et des parents des outils de sensibilisation aux dangers sur internet » (2.2) et « en proposant des outils en ligne permettant de signaler facilement des faits de violence en ligne » (2.3).

L’ECLJ se réjouit de constater que son engagement pour la protection des enfants contre la pornographie porte du fruit et ait pu servir de référence dans les travaux de l’APCE, l’un des organes du Conseil de l’Europe. Il est bon que les risques liés à un accès sans limite à la pornographie en ligne soient dénoncés expressément par les institutions internationales. En effet, internet n’est pas une zone de non-droit : comme le rappelle M. O’Reilly, « l’ensemble des droits de l’enfant qui s’appliquent hors ligne devraient s’appliquer en ligne » (rapport § 37). Si les présents textes adoptés ne sont pas contraignants, ils ont néanmoins la portée d’une déclaration politique s’appliquant aux quarante-six États membres du Conseil de l’Europe.

De son côté, l’ECLJ poursuit ses travaux concernant la lutte contre la pornographie : après avoir publié un premier rapport se focalisant sur la consommation de pornographie et ses conséquences, il en prépare désormais un deuxième dans l’objectif de mettre en évidence et combattre ce qui se pratique de l’autre côté de l’écran.

________________

[1] Livingstone, S. et Stoilova, M. (2021), «The 4Cs: classifying online risk to children».

[2] On consultera avec intérêt le rapport suivant : SOS Education, Éducation à la sexualité à l’École de la prévention à la sexualisation précoce - Risques et bonnes pratiques, 2024

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