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L’Europe s’engagerait-elle contre la pornographie ?

L’Europe contre la pornographie ?

Par ECLJ1563762600000
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Une récente proposition de résolution, intitulée « Dimension sexiste et effets de la pornographie sur les droits humains » a été introduite au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Doc. 14864). Elle critique l’impact nocif de la pornographie sur les droits humains et des femmes en Europe. Cette prise de conscience au Conseil de l’Europe fait aujourd’hui écho à plusieurs initiatives gouvernementales en faveur d’une limitation de la pornographie aux personnes de moins de 18 ans. Des mesures ambitieuses mais nécessaires face aux dangers d’une exposition de plus en plus précoce et régulière des jeunes aux contenus pornographiques sur Internet.

Par Bénédicte Colin

On ne cesse de le répéter, Internet a révolutionné notre manière de communiquer. Une information peut aujourd’hui parcourir le monde en l’espace d’une seconde. Tout devient plus accessible. Tout, dont la pornographie, qui sort grande gagnante de la dématérialisation de l’information. Autrefois cantonnée à des cinémas, des sex shops et des kiosques à journaux où l’âge était contrôlé, la pornographie s’invite aujourd’hui au travail, dans les transports et à la maison, et ce sans restriction. Grâce à la démocratisation de l’accès à Internet sur les téléphones portables, la pornographie n’a jamais été aussi proche. En 2006, 1 recherche sur 5 sur Google par téléphone concernait de la pornographie[1]. En 2016, ce sont 91 980 225 000 vidéos qui ont été visionnées sur PornHub, soit 12 vidéos par jour pour chaque personne dans le monde.

Et lorsque Internet est concerné, les adolescents sont rarement en reste. En 2008, le mot « porn » se situait dans le top 5 des mots les plus recherché sur Google pour les enfants de moins de 18 ans et à la 4ème place pour les enfants âgés de 7 ans et moins[2]. La même année, 93% des garçons et 62% des filles avaient déjà visionné de la pornographie durant leur adolescence[3].

Le visionnage de contenu pornographique est pourtant loin d’être anodin. La pornographie peut rapidement devenir une addiction, nocive pour la santé mentale et créatrice d’attentes irréalistes et erronées concernant la sexualité. Conséquence logique, elle favorise des comportements sexuels plus permissifs chez les adolescents : initiation précoce à la sexualité, partenaires sexuels multiples, pratiques sexuelles déviantes, utilisation de substances psychoactives et manque de protection contre les maladies sexuellement transmissibles.

Les contenus pornographiques tendent également à normaliser auprès des jeunes filles et garçons la présentation de la femme comme un objet sexuel, toujours à disposition et satisfaite quoi que lui fasse subir l’homme. La notion de consentement y est inexistante, sans parler de celle du respect mutuel. Au contraire, la quasi-totalité des « scripts » pornographiques est basée sur des rapports violents et humiliants pour la femme. Une analyse des 50 vidéos pornographiques les plus populaires a ainsi constaté que 88 % des scènes sexuelles contenaient des violences physiques, 49 % des agressions verbales et que dans 95 % des cas la réponse des femmes était neutre ou exprimait du plaisir[4]. La pornographie se fait ainsi la championne de la promotion de la culture du viol auprès des grands et des petits. Sans surprise, d’après une étude américaine de 2010, 73 % des femmes victimes de violence et de viol domestiques avaient un partenaire consommateur de pornographie[5]. Concernant les cas de pédophilie, le lien ne pourrait être plus explicite : 92 % des délinquants sexuels possédaient de la pornographie infantile[6].

 

Aux grands maux les grands remèdes. En 2017, le parlement anglais a voté le Digital Economy Act (loi sur l’économie numérique), qui exige que tout site pornographique à but commercial vérifie que les internautes aient bel et bien plus de 18 ans.

Cela concerne tant les sites qui effectuent un bénéfice sur la vente du visionnage de contenu pornographique que les sites gratuits comme PornHub et YouPorn, qui génèrent des revenus grâce aux publicités. Les grands géants que sont Twitter, Facebook et Snapchat réussissent à passer entre les mailles du filet, puisque la loi ne concerne que les sites comprenant plus d’un tiers de contenu pornographique.

Les plateformes concernées ont ainsi la liberté de choisir leur façon de vérifier l’âge des internautes : par l’intermédiaire d’un téléphone portable, d’une carte de crédit, d’un numéro de passeport ou d’un permis de conduire. Cette vérification est opérée par une entreprise « tierce », comme AgeID. Ceux qui ne voudraient pas s’identifier sur Internet peuvent acheter un bon d’achat dans un des points de vente au Royaume-Uni, pour un coût de 4,99£ (5,80€).

Les sites qui ne se conformeraient pas à la nouvelle législation sont passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 250 00£ (290 000€) et d’un blocage de leur site.

La mise en place de la loi, supposée effective le 15 juillet dernier, a récemment été reportée de six mois. Qu’il s’agisse de complexités d’application ou de préoccupations financières, les obstacles se multiplient lorsqu’il s’agit de limiter la pornographie.

Une initiative similaire est portée actuellement en Espagne par la jeune socialiste Andrea Fernández, qui entend bien régler ses comptes avec la pornographie durant sa législature : « qu’un garçon ou une fille qui n’a jamais eu d’expérience sexuelle puisse voir toutes sortes de sexualités misogynes sur Internet est grave »[7].

Du côté français, l’heure n’est encore qu’aux déclarations d’intention. Selon Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, « on ne peut pas laisser des enfants pré-pubères et des jeunes adolescents avoir comme seule représentation de la sexualité une représentation issue de la pornographie ». Pour Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État au Numérique, une solution serait d’instituer un « tiers de confiance » pour restreindre l'accès à la pornographie aux seuls personnes majeures : « le tiers de confiance, c’est un site Internet à qui vous prouvez que vous êtes majeur. Vous allez lui envoyer votre pièce d’identité et dire : « je suis bien Mounir Mahjoubi et j’ai plus de 18 ans ». Sauf que le site porno, lui, n’aura à aucun moment d’informations sur qui vous êtes. Il aura juste eu ce qu’on appelle un « token », un « carton » qui dit : « cette personne est bien majeure » et il vous laisse accéder à ce que vous voulez. On sépare celui qui contrôle l’identité, de celui qui sait que vous êtes majeur, ou non ».

Des mesures timides qui seront sûrement contournées par des adolescents fûtés, mais qui ont au moins le mérite d’admettre publiquement que la pornographie est nocive pour les adolescents. Ces mesures sont néanmoins loin de faire l’unanimité et nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une violation de la liberté d’expression et du droit à la vie privée en ligne. Les utilisateurs de pornographie tiennent en effet très chèrement à leur anonymat concernant leurs goûts sexuels. On touche ici aux limites de l’hypocrisie entourant la pornographie : elle est implicitement acceptée et consommée par la majorité des personnes, tant qu’elle est anonyme, car elle reste en réalité foncièrement amorale, pour les enfants comme pour les adultes.

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[1] Maryam Kamvar and Shumeet Baluja, “A large scale study of wireless search behavior: Google mobile search.” CHI 06: Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems (2006): 701-709.

[2] Maggie Hamilton, “Groomed to Consume Porn: How Sexualized Marketing Targeting Children,” in Big Porn Inc., edited by Melinda Tankard Reist and Abigail Bray, 16–24. North Melbourne, Australia: Spinifex Press, 2011.

[3] Chiara Sabina, Janis Wolak, and David Finkelhor, “The Nature and Dynamics of Internet Pornography Exposure for Youth,” CyberPsychology & Behavior 11, no. 6 (2008):691–693. 

[4] Silvia Bonino, Silvia Ciairano, Emanuela Rabagliette, and Elena Cattelino, “Use of Pornography and SelfReported Engagement in Sexual Violence among Adolescents,” European Journal of Developmental Psychology 3, no. 3 (2006):265-288.

[5] Mary Anne Layden, “Pornography and Violence: A New Look at the Research,” in The Social Costs of Pornography, edited by James R. Stoner Jr. and Donna M. Hughes, 57–68. Princeton, New Jersey: Witherspoon Institute, 2010.

[6] Najat M’jid Maalla, “Report of the Special Rapporteur on the Sale of Children, Child Prostitution and Child Pornography,” A/HRC/12/23 Human Rights Council, Geneva, 2009.

[7] https://www.equinoxmagazine.fr/2019/06/07/une-loi-pour-une-restreindre-la-pornographie-en-espagne/

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