2,3 millions de Français victimes de violence sexuelle
Aujourd’hui en France, selon les chiffres de l’ARCOM (La fréquentation des sites « adultes » par les mineurs, mai 2023), 2,3 millions d’enfants visitent chaque mois des sites « adultes ». Soit autant de victimes de violence sexuelle. Par son ampleur, sa portée et le sérieux de ses conséquences, il s’agit d’une grave atteinte sexuelle commise actuellement contre les enfants.
L’exposition des mineurs à la pornographie, une violence sexuelle
L’article 227-24 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende le fait de laisser la pornographie à la portée des mineurs : ce n’est pas par hasard si cette disposition figure dans un paragraphe relatif aux « infractions sexuelles commises contre les mineurs » appartenant lui-même à une section traitant « de la mise en péril des mineurs » dans un titre concernant les « atteintes à la personne humaine ».
Ce n’est pas non plus par hasard si, déjà en 2002, un rapport remis par le Collectif Interassociatif Enfance Médias (CIEM) à Ségolène Royal, alors Ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes handicapées, énonçait que « les perturbations induites par le visionnage de ce genre de programme par des enfants jeunes [peuvent] induire des perturbations psychiques et des dérèglements de comportements analogues à ceux d’un abus sexuel ». En effet, comme toute violence sexuelle, celle-ci non plus ne laisse pas les jeunes indemnes. Les enfants, voire les jeunes adultes, subissent de graves conséquences du fait du visionnage de pornographie en raison de la plasticité du cerveau qui se développe jusqu’à l’âge de 24, voire 25 ans, selon les scientifiques. Ces conséquences sont à la fois psychologiques et comportementales : développement d’attentes irréalistes et déformées à l’égard de la sexualité, comportements sexuels nuisibles et risqués pour eux-mêmes et pour les autres (activité sexuelle précoce, sexting, partenaires sexuels multiples, pratiques sexuelles déviantes, utilisation de substances psychoactives et vulnérabilité aux IST), réduction des niveaux d’intégration sociale, baisse des résultats scolaires, atteinte à l’estime propre, apparition de complexes et de symptômes dépressifs, addiction à la pornographie, augmentation de la violence sexuelle entre mineurs etc.
Sur ce dernier point, il est troublant de constater, à l’instar du Ministère de la Justice dans un rapport relatif à La prise en charge des mineurs auteurs d’infractions à caractère sexuel à la protection judiciaire de la jeunesse (octobre 2022), qu’avec une « hausse significative entre 1996 et 2018, près d’une affaire sur deux de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs traitées par le parquet en 2020, implique un mineur auteur ». Est-ce par hasard si cette hausse intervient précisément en même temps que l’expansion d’internet ? La pornographie fait donc des victimes directes, mais aussi un nombre incalculable de victimes collatérales, qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes, de couples et de familles et enfin la société dans son ensemble.
Pour une protection enfin efficace des droits de l’enfant face à la pornographie
Chaque année, le 20 novembre marque l’anniversaire de l’adoption de la Déclaration des droits de l’enfant en 1959 et de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) en 1989. L’exposition des enfants à la pornographie constitue une violation directe de ces textes qui stipulent tous deux que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance ». Leur ancêtre, la Déclaration de Genève (26 Septembre 1924), énonce en outre que « […] les hommes et les femmes de toutes les nations reconnaissent que l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur […] » (Préambule) et que « L’enfant doit être mis en mesure de se développer d’une façon normale, matériellement et spirituellement » (art. 1). En matière d’accès aux médias, l’article 17.e. de la CIDE stipule encore que « les États parties favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être […] ». On conviendra volontiers que la pornographie ne correspond guère au modèle de ce que l’humanité a de meilleur à donner à l’enfant… Elle heurte de plein fouet ces textes, auxquels les États parties ont l’obligation de se conformer, et il est nécessaire d’en protéger les enfants.
Les enfants d’aujourd’hui sont la société de demain : il y a donc véritablement péril en la demeure. L’État Français semble en prendre progressivement conscience, au vu de récents efforts des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire pour tenter de limiter l’accès des mineurs à la pornographie. En fait partie le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN), dont l’un des objectifs est de protéger les enfants de la pornographie en ligne en créant les conditions permettant de faire respecter l’article 227-24 du code pénal qui exige des sites pornographiques qu’ils vérifient l’âge de leurs utilisateurs. Toutefois, la Commission européenne a semble-t-il récemment notifié à la France ses réticences quant à ce projet de loi SREN en ce que certaines de ses dispositions, notamment celles concernant le contrôle de l’âge des utilisateurs de sites pornographiques, seraient contraires au Règlement sur les services numériques. Ce dernier a été adopté en octobre 2022 et entrera pleinement en vigueur début 2024. Dans ces conditions, il est indispensable que le Gouvernement français fasse pression sur la Commission européenne pour qu’elle se décide enfin à inclure des grandes plateformes pornographiques dans la liste des « très grandes plateformes en ligne » au sens de ce Règlement. Elle seule a le pouvoir de les désigner, or celles-ci ont des obligations renforcées en termes d’atténuation des risques pour les droits fondamentaux relatifs aux droits de l’enfant. Si la Commission européenne rappelle la France à l’ordre en la matière, la France est autant légitime pour lui indiquer des moyens d’user de son pouvoir à bon escient.
Face à l’urgence de la situation, les mots et les projets ne suffisent plus : ce sont des actes et surtout des résultats qui sont désormais attendus.