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La Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt en Grande chambre le 8 avril 2021 déclarant l'obligation vaccinale infantile actuelle en République tchèque conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. L'ECLJ était intervenu dans cette affaire. Dans cette émission, nous vous expliquons cette décision avec Grégor Puppinck, Directeur de l'ECLJ.

Nos observations écrites.
Notre communiqué de presse suite à l'audience du 1er juillet 2020. Formats Podacst et transcription ci-dessous :

Transcription :

C: Bienvenue dans ce nouveau numéro du Droit en débat pour parler de l’obligation vaccinale et de l’arrêt attendu de la CEDH qui a été rendu ce jeudi 8 avril. La décision concerne l’obligation vaccinale, non pas contre la COVID-19, mais les vaccins traditionnels. Cette décision a donc mis en avant l’obligation vaccinale, la Cour européenne a validé le droit pour les Etats d'imposer ces vaccins. Nous allons revenir sur cette décision en détail avec Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ.

C’était une affaire complexe et intéressante, il s’agissait de plusieurs requêtes faites par des parents tchèques qui avaient saisi la Cour européenne des droits de l’homme car ils avaient été contraints de vacciner leurs enfants. Plus précisément, ils devaient faire vacciner leurs enfants mais ils ne voulaient pas pour différentes raisons. Ils ont été condamnés à payer une amende ou ont été empêchés d'inscrire leurs enfants à l'école.

Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que les motivations des parents étaient très différentes. Dans le cas d’une famille, les parents ne souhaitaient pas faire vacciner leurs enfants pour des raisons religieuses, dans une autre les parents étaient favorables aux vaccins mais pas tous, ils avaient donc partiellement fait vacciner leur enfant. Enfin, une famille de biologistes qui était tout à fait favorable aux vaccins ne souhaitait pas suivre le calendrier vaccinal imposé par le gouvernement tchèque.

Sur toutes ces différentes situations, les parents ont été déboutés par les juridictions tchèques et se sont tournés vers la Cour européenne en invoquant le droit au respect de leur vie privée, leur droit à la liberté de conscience et de conviction pour pouvoir objecter en conscience aux vaccins. Ce jeudi 8 avril, la Grande chambre, la formation solennelle de la Cour, leur a donné tort. Ils ont tous été déboutés de leurs moyens et la Cour a considéré qu’il est légitime pour un État d’imposer la vaccination. La Cour européenne a validé l’argument du gouvernement tchèque, reconnaissant la mise en cause du droit à la vie privée, du respect de la vie familiale et de la liberté de ses personnes dans le but de protéger un intérêt plus important : le bien commun et la santé publique. C’est principalement sur cette justification que la Cour a rendu sa décision.

Je me tourne vers Grégor Puppinck pour une première question générale, quel est votre sentiment sur cette décision aujourd'hui ?

G : Je crois que la Cour ne pouvait juger autrement quant à l’issue, à savoir ne pas condamner la République tchèque. Dans le contexte actuel on imagine mal la Cour condamner un pays car il a mis en place une politique de vaccination. L’importance et l’inconnue portait davantage sur la motivation de la Cour et l'ensemble des subtilités, des nuances apportées au raisonnement.

Pour les auditeurs et la justesse du propos, il faut nuancer l’exposé de ce jugement en disant que la Cour n’a pas pris une position générale. Elle a bien veillé à montrer que ce n’est qu’une position d'espèce pour les faits de la cause, pour le pays et pour les vaccins considérés. Ce qui s’applique dans cette affaire porte sur des vaccins bien connus, et la Cour a spécifié elle-même que cela ne s'appliquait que pour ces vaccins dont l’efficacité et le caractère utile n’est pas remis en cause fondamentalement. Aucun des requérants n’a prétendu que les vaccins étaient mauvais, cela est important lorsqu'on compare avec des polémiques qu’il y a actuellement sur d’autres vaccins face au Covid.

De plus, les enfants n’ont pas été vaccinés, il n’y a pas eu de vaccination forcée. Les parents ont seulement été condamnés à une amende et la Cour a considéré que cette dernière était faible. En effet, les enfants pendant un temps n’ont pas pu être scolarisés avant que l’école soit obligatoire, mais l’ont été par la suite à l’âge où l'école est obligatoire.

La Cour a estimé que dans ces circonstances, la République tchèque ne peut être condamnée. Plus encore, il y a un élément important dont nous pourrons reparler, c’est que la Cour a reconnu l'existence en République tchèque de dérogations à l 'obligation vaccinale et l’existence d'une clause de conscience qui a été reconnue par la juridiction constitutionnelle tchèque en la matière. Un ensemble de facteurs relativise la portée de cet arrêt, et qui donc ne permet pas de transposer cette décision au contexte de la vaccination face au Covid.

C : On va revenir sur quelques points centraux, le premier est la large marge d’appréciation reconnue aux Etats membres car la Cour a bien reconnu que les Etats européens avaient des politiques vaccinales très différentes. Dans certains pays, l'obligation vaccinale existe et dans d’autres ce sont de fortes recommandations de la communauté scientifique. Même si la décision s’applique à la République Tchèque, la Cour a tout de même reconnu le droit d’un État de rendre la vaccination obligatoire et il y a forcément cet arbitrage entre la poursuite d’un but de santé publique et la vie privée et la conviction des parents. Que pensez-vous de cet arbitrage précis sur cette affaire ?

G : La question de la marge d’appréciation des Etats c’est en fait la marge que la Cour se donne à elle-même pour arriver au résultat qu’elle souhaite. Selon les circonstances, elle va dire que les Etats ont une marge plus ou moins large, pour finalement choisir blanc ou noir. Ici, la Cour a choisi une large marge d’appréciation et les Etats peuvent faire comme ils veulent, considérant qu’il n’y a pas de consensus en Europe entre les Etats quant à l’existence d’une obligation vaccinale.

Un autre raisonnement aurait été parfaitement possible à justifier et à mon avis s'imposait, c’était de reconnaître le fait que sont en cause des droits et intérêts importants notamment le droit au respect de l’intégrité physique auquel on ne peut porter atteinte, en principe, que pour un motif impérieux. Et pour cela il ne devrait pas y avoir de marge d’appréciation large, permettant à un Etat de porter atteinte à l’intégrité physique d’une personne. De même, l’autre droit en cause c’est le droit des parents en matière éducative à l’égard de leurs enfants et encore une fois, pour porter atteinte à ce droit il faudrait un motif impérieux et on ne peut pas imaginer conférer une large marge d’appréciation aux Etats pour porter atteinte à des droits aussi importants que le respect de l’intégrité physique et le respect du droit des parents.

Donc de mon point de vue, la Cour a choisi, on va dire, une solution de facilité, pratique pour arriver au résultat. Elle a regardé l’affaire sous l’angle de l’absence de consensus entre les Etats en matière de vaccination, alors que, au regard de la demande des requérants elle aurait dû, à mon sens, regarder plutôt sous l’angle de l’atteinte portée aux droits des requérants, qui elle par contre, aurait exigé un motif impérieux. Là on arrive à une autre critique importante qui peut être formulée à l’égard de cette décision : ce qu’est que la nécessité.

L’ECLJ, vous ne l’avez pas dit, mais l’ECLJ est intervenu dans l’affaire. Nos observations ont été largement cités dans l’arrêt de la grande chambre.

Un élément important, c’est l’appréciation de la nécessité de la vaccination. Est-ce qu’il est nécessaire pour un pays d’imposer la vaccination de façon contraignante sous peine de sanction, pour arriver au résultat de santé publique recherché ? Ça c’est un élément important.

C: Surtout si la moitié des Etats n’a pas cette politique obligatoire mais justement une politique de recommandation et qu’elle arrive à un taux de couverture vaccinale à peu près équivalent, on voit mal l’intérêt impérieux.

G: Et c’était là l’approche de l’ECLJ, c’est de dire : certes, on ne va pas du tout mettre en question l’objectif de santé publique, ni d’ailleurs l’efficacité de ces vaccins en cause dans l’affaire. Par contre, on peut mettre en cause la nécessité de contraindre, ou de condamner à des amendes, ou d’empêcher la scolarisation pour parvenir à la vaccination. Parce que quand on compare la situation dans les États, on s’aperçoit que le taux de couverture vaccinale est sensiblement le même dans les pays qui ont une vaccination obligatoire et dans ceux qui n’ont qu’une vaccination recommandée. Et donc c’est la nécessité de l’ingérence portée dans les droits des parents et les droits au respect de l’intégrité physique qui finalement est remise en cause, lorsqu’on observe qu’en fait il n’est pas nécessaire d’obliger les gens à se vacciner pour que la population soit globalement vaccinée. On le voit aussi d’ailleurs très bien aujourd’hui avec la question du Covid, où les gens finalement, très largement, vont se faire vacciner alors même qu’il n’y a pas d’obligation. Il faut réussir à ce que cette politique de santé publique repose sur la confiance, plutôt que sur l’obligation, parce que c’est là l’élément essentiel.

C: À propos de confiance et de réflexion, il y a un autre point important dans l’arrêt, c’est justement ce respect de la liberté de conscience. Les requérants ont invoqué l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté de conviction, de religion, et la Cour rejette assez rapidement le grief, j’aimerais simplement citer la fin du paragraphe en question, parce que l’un des requérants disait que c’était contre sa conviction, il avait une objection de conscience à la vaccination. Et la Cour assimile ça plutôt à un avis critique et dit, au paragraphe 335, “La Cour juge que l’avis critique de l’intéressé sur la vaccination n’est pas de nature à constituer une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’article 9”. Quel est votre avis sur cette argumentation, une opinion critique au vaccin n’est pas une conviction suffisamment forte ?

G: La Cour a observé, à l’instar des juridictions nationales, que le requérant n’avait soulevé cette objection que de façon tardive dans la procédure judiciaire, et pas toujours de façon forte. Si bien que la Cour en a déduit que cette opinion, cette conviction, plutôt cet avis, cette critique, n’a pas la force d’une véritable conviction qui mérite d’être protégée au titre de l’article 9 de la Convention, c’est à dire au titre de la liberté de conscience. Ça c’est toujours un élément difficile : l’article 9 protège la liberté de conscience et de religion, mais à condition d’avoir de vraies convictions. Les opinions personnelles sont plutôt garanties au titre de l’article 8, qui protège l’autonomie. La Cour a estimé, et je ne suis pas totalement en désaccord avec la Cour sur ce point, que pour protéger au titre de la liberté de conscience, il faut avoir de vraies convictions qui soient solides, que ce soient des convictions de nature morale, ou de nature religieuse. La Cour a aussi très largement cité nos observations dans cette appréciation, il y a quasiment une page entière qui expose notre argumentation, donc elle nous a effectivement bien développés. On ne peut pas préjuger d’une autre hypothèse, c’est à dire que, si le requérant avait été capable de montrer qu’il avait une vraie conviction, que cette conviction est fondée sur des éléments scientifiques ou des éléments probants, ça aurait été différent. Par exemple aujourd’hui on peut très bien avoir des convictions fortes et solides à l’encontre de tel ou tel vaccin sur le Covid. Ou une autre personne pourrait avoir des convictions de nature morale et religieuse à l’encontre des vaccins qui utilisent des embryons, ou des cellules fœtales ou embryonnaires. Là ce serait des convictions plus fortes. Ce serait intéressant de voir...On ne peut pas tirer de cette décision une conséquence sur une objection de conscience à l’utilisation d’un vaccin qui soit est considéré pour de motifs solides, comme dangereux, soit est considéré comme immoral avec des motifs par exemple, ayant recours à des cellules embryonnaires. Dans ce cas-là, la Cour pourrait juger différemment.

C: Donc dans un cas d’école hypothétique, si le vaccin contre la Covid 19 est rendu obligatoire dans un pays, vous pensez qu’un requérant aurait quand même une chance s’il invoque dès le début une conviction morale forte sur l’absence de recul par exemple ou sur ce que vous disiez, le développement de vaccins avec des cellules souches ?

G: En théorie, oui, mais en situation de crise comme aujourd’hui, la théorie ne s’applique plus. On voit bien que les droits et libertés sont largement oubliés. Si vraiment la crise sanitaire devenait encore plus intenable, je pense que les droits de l’homme seraient oubliés, on ne va pas se faire d’illusions.

C: Alors on va finir en 2 minutes sur un dernier droit de l’homme, le droit à l’éducation, qui était aussi important et la Cour l’a évacué assez vite. Finalement c’était aussi l’argument des requérants qui disaient “mais nous on ne veut pas les faire vacciner et comme ils ne sont pas vaccinés on ne peut pas les inscrire à l’école.” Les enfants subissent cette conséquence, ils n'ont pas le droit à l’instruction. La Cour évacue ça, qu’est-ce que vous en pensez?

G: La Cour a dit finalement, cette violation du droit à l’instruction n’est que la conséquence du choix des parents. Ce n’est pas dit-elle, en soi une sanction à l’encontre du refus de la vaccination, c’est une conséquence du refus. En cela, elle l’évacue, d’autant plus que les enfants ont quand même été scolarisés plus tard, il me semble lorsque la scolarité devient vraiment obligatoire, donc elle rejette. C’est assez habituel de la part de la Cour européenne de concentrer son analyse sur une disposition, en l'occurrence elle l’a fait sur l’article 8 relatif au respect de l’intégrité physique des personnes et de la vie privée, et puis ensuite d’évacuer le reste. Là encore, un aspect important à souligner dans ce jugement, c’est le fait que la Cour justifie l’obligation vaccinale par ce qu’elle appelle la recherche, la préservation de la solidarité, cet objectif de solidarité sociale entre les personnes au regard de la santé. C’est une notion, une valeur un peu nouvelle quand même, qui est mise en avant par la Cour et qui je pense pourrait à l’avenir être appelée à une utilisation plus fréquente, parce que cette notion de solidarité peut justifier beaucoup d’atteintes à des droits et des libertés individuels.

Pour l'objection de conscience à la vaccination obligatoire
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