CoE : La Pologne sous surveillance
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déjà condamné la Pologne à trois reprises en raison d’un accès à l’avortement jugé non effectif, dans les arrêts Tysiąc (2007), R.R. (2011) et P. et S. (2012).[1] Il ne s’agissait soi-disant pas d’imposer à la Pologne de libéraliser encore l’avortement, mais de permettre un accès en temps utile et sans entraves aux avortements déjà légaux.
Comme pour tous les jugements de la CEDH, la Pologne a l’obligation de se conformer à ces trois arrêts. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a la charge de la surveillance de cette exécution. Or, la procédure de surveillance est étonnamment toujours ouverte, entre 11 et 16 ans après ces arrêts. Elle est en réalité abusive, pour deux raisons : d’une part la Pologne a largement satisfait à ses obligations et d’autre part les demandes récentes du Comité des Ministres outrepassent son mandat.
Dans le cadre de la Règle n° 9 § 2 du Comité des Ministres, toute organisation non gouvernementale peut présenter une communication dans ce type de procédure, ce que l’ECLJ a fait en mai 2023 pour les trois affaires mentionnées, un mois avant la prochaine réunion du Comité sur celles-ci (5-7 juin 2023). Nous avons répliqué au lobbying pro-avortement mené par trois organisations auprès du Conseil de l’Europe : le Centre pour les Droits Reproductifs, la Fédération pour les Femmes et le Planning Familial, et la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme. L’ECLJ était déjà intervenu dans cette même procédure en juillet 2021.
Les observations écrites remises par l’ECLJ
Nous avons rappelé au Comité des Ministres que la Pologne a déjà répondu à ses demandes. Elle a mis en place des garanties procédurales effectives permettant à une femme enceinte de faire entendre ses arguments en cas de désaccord avec l’équipe médicale, notamment sur le point de savoir si elle remplissait les conditions légales d’un avortement. Elle a aussi garanti l’accès à des informations fiables pour les femmes souhaitant procéder à un avortement.
La procédure de surveillance des arrêts Tysiąc, R.R. et P. et S. aurait donc déjà dû être close.
Dans ses observations, l’ECLJ a dénoncé les deux exigences excessives du Comité des Ministres, présentes dans ses résolutions depuis mars 2021.[2] Le Comité a en effet largement étendu son domaine de surveillance, sans lien avec les trois arrêts dont il surveille l’exécution :
La Pologne n’est pas dans l’obligation de répondre à ces deux demandes du Comité des Ministre, qui empiètent sur sa souveraineté. Au contraire, la Pologne devrait être félicitée des engagements qu’elle prend en faveur de la préservation de la vie des enfants à naître, y compris handicapés.
L’influence du European Implementation Network (EIN)
L’ECLJ espère que le Comité des Ministres clôturera rapidement la surveillance de l’exécution de ces trois arrêts. Le Comité doit résister au lobby pro-avortement, qui instrumentalise cette surveillance afin de contester l’ensemble de la législation et de la jurisprudence polonaises en matière d’avortement.
Plutôt que d’y résister, le Comité des Ministres coopère étroitement avec l’European Implementation Network (EIN), cofondé par la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme et l’Open Society Justice Initiative. L’EIN est un réseau dont l’objectif est de favoriser une intervention massive d’ONG progressistes dans la procédure d’exécution des arrêts de la CEDH. Ce réseau organise, en partenariat avec le Comité des Ministres et la CEDH, des formations à destination des ONG souhaitant intervenir dans la procédure (voir par exemple cette formation). Évidemment, l’ECLJ n’est pas invité à de telles formations.
Nous faisons face, seuls, à des organisations pro-avortement qui sont formées par des juges et juristes de la CEDH et par des membres du service de l’exécution des arrêts du Comité des Ministres. En tant qu’ONG intervenant dans la procédure d’exécution des arrêts, l’ECLJ a demandé ce mois-ci à pouvoir bénéficier de telles formations et est prêt pour cela à coopérer avec la CEDH et le Comité des Ministres, à l’image de l’EIN. Il serait injuste que les institutions du Conseil de l’Europe ne collabore qu’avec le lobby pro-avortement.
La décision très attendue de la CEDH
C’est devant la CEDH elle-même que les mêmes organisations pro-avortement multiplient les recours pour tenter d’obtenir une quatrième condamnation de la Pologne. Leur objectif est que la CEDH crée un droit à l’avortement eugénique, qui protégerait dans l’Europe entière la « liberté » d’éliminer les enfants handicapés avant leur naissance.
Pour le moment, depuis 2012, les requêtes pro-avortement contre la Pologne ont toutes été rejetées par la CEDH. La dernière défaite importante du lobby de l’avortement est la décision B.B. c. Pologne du 18 octobre 2022. L’ECLJ était intervenu en tant que tierce-partie dans cette affaire, et la CEDH avait repris une partie de ses arguments juridiques, comme nous l’avions expliqué dans cet article.
Une future décision de la CEDH est très attendue, dans l’affaire M.L. c. Pologne. La CEDH se prononcera sur la question suivante : existe-t-il un droit d’avorter un enfant parce qu’il est trisomique ? De manière exceptionnelle, un groupe d’anciens juges de la CEDH, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et d’experts des Nations unies sont intervenus avec l’ECLJ dans cette affaire. Parmi ces personnalités éminentes, l’un était Président du Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies pendant sept ans (2009-2016).
Nos observations dans l’affaire M.L. c. Pologne demandent à la Cour de reconnaître que l’avortement eugénique des enfants trisomiques peut être interdit, et même qu’il devrait l’être partout en Europe par respect pour les droits des personnes handicapées.
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[1] Tysiąc c. Pologne, n° 5410/03, 20 mars 2007 ; R.R. c. Pologne, n° 27617/04, 26 mai 2011 ; P. et S. c. Pologne, n° 57375/08, 30 octobre 2012.
[2] Voir la Résolution intérimaire CM/ResDH(2021)44.