Le 4 mars 2021, Rachid Seighir, pasteur de l’église de l’Oratoire à Oran, et Nouh Hamimi, autrefois vendeur dans la librairie-papeterie dirigée par le pasteur, ont été reconnus coupables de prosélytisme[1]. Ils ont été condamnés par contumace à deux ans de prison et une amende de 500 000 dinars algériens (environ 3 100 €), ce qu’ils ont appris par un avis glissé sous la porte de leur église.
D’après le jugement, il leur était reproché d’avoir « distribué des publications ou toute autre propagande portant atteinte à la foi d’un musulman » : en 2017, de la littérature chrétienne et des Bibles avaient été trouvées dans cette librairie lors d’une perquisition. Or l’article 11-2 de l’ordonnance 06-03 du 28 février 2006 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans[2], sur le fondement duquel les deux hommes ont été condamnés, prévoit que « Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de 500.000 DA à 1.000.000 DA quiconque : […] 2 - fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi d’un musulman ». Cette ordonnance a été qualifiée de « liberticide » par Salaheddine Chalah, président de l’Église Protestante d’Algérie (EPA)[3].
Pour le pasteur Seighir, cette condamnation n’est que la suite d’une précédente affaire mettant en cause sa librairie : en 2008, il avait déjà été condamné pour de tels faits avant d’être relaxé en appel. À la suite de la perquisition en 2017, la boutique avait été contrainte de baisser le rideau sur l’ordre du Wali (Gouverneur) d’Oran. En 2018, un tribunal avait toutefois déclaré cette fermeture invalide pour des raisons procédurales, mais les autorités ont refusé d’autoriser la librairie à rouvrir. En 2019, la justice administrative avait ordonné le retrait des scellés et la réouverture du magasin mais, à nouveau, les autorités n’ont pas respecté ce jugement : le commerce est donc toujours fermé actuellement.
Si le Christianisme y a été présent dès le IIe siècle, l’Algérie a aujourd’hui l’Islam pour religion d’État et sa population est musulmane à plus de 98 %[4]. En effet, les conquêtes arabo-musulmanes du VIIIe siècle y ont quasiment fait disparaître le Christianisme avant un bref retour au XVe siècle grâce aux Espagnols, rapidement remplacés par les Ottomans. Les chrétiens représentent aujourd’hui 0,3 % de la population algérienne. Ils vivent principalement en Kabylie et sont en majorité des musulmans convertis, protestants pour la plupart.
Le fait que l’apostasie soit interdite en Islam peut ainsi expliquer les vexations malheureusement fréquentes dont font l’objet les chrétiens, en particulier protestants, sur la terre natale de Saint Augustin. La présente affaire intervient ainsi deux mois après que plusieurs chrétiens ont été reconnus coupables de blasphème, l’un d’eux ayant été condamné à cinq ans de prison et 100 000 dinars d’amende pour avoir republié sur les réseaux sociaux une caricature de Mahomet qu’il avait reçue[5]. D’autre part, alors que le gouvernement algérien a assoupli les mesures contre la COVID-19 incluant la fermeture des lieux de culte, ceux-ci ont été officiellement autorisés à rouvrir en août 2020 mais pas les églises protestantes[6]. En tout état de cause, entre juillet 2018 et octobre 2019, l’EPA a vu treize de ses lieux de culte mis sous scellés par les autorités, notamment les deux plus grandes églises du pays, à savoir celle du Plein Evangile à Tizi Ouzou et celle du Printemps de vie à Makouda en octobre 2019.
C’est dans ce contexte que le Parlement européen a adopté la résolution du 28 novembre 2019 sur la situation des libertés en Algérie (2019/2927(RSP)[7] dans laquelle il a appelé les autorités algériennes à « l’arrêt des violations de la liberté de culte des chrétiens, des ahmadis et d’autres minorités religieuses » et à « rouvrir les lieux de culte ». Il importe de rappeler que l’Algérie a signé et ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) dont l’article 18 garantit notamment que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement » (§1) et que « Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix » (§2).
La situation des chrétiens en Algérie s’est fortement dégradée ces dernières années, comme le montre l’Index mondial de persécution des chrétiens établi par l’ONG Portes Ouvertes : en 2021, l’Algérie y occupe la 24e place[8], alors qu’elle se classait 42e en 2018. De même, le rapport 2020 sur les pires violations de la liberté de religion au monde, rédigé par la Commission américaine pour la liberté de religion internationale (USCIRF), mentionne pour la première fois l’Algérie comme « [ayant] systématiquement réprimé la communauté protestante évangélique[9] ».
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[1] Voir notamment “Two Christians Sentenced to Prison and Heavy Fine in Algeria”, Morning Star News, 4 mars 2021 ; “Algeria: Pastor faces prison term”, Middle East Concern, 2 mars 2021.
[2] https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/algerie_ordon-06-03-2006religions.htm
[3] « Reconnu coupable de « prosélytisme », un pasteur est condamné à 2 ans de prison en Algérie », InfoChrétienne.com, 3 mars 2021.
[4] Open Doors International/World Watch Research, WWL 2021 Country Dossier - Algeria, December 2020, p. 10.
[5] Augustine Passilly, « En Algérie, trois chrétiens condamnés pour blasphème », Réforme, 26 février 2021.
[6] « En Algérie, les mosquées et des églises catholiques rouvrent mais les églises protestantes restent fermées », InfoChrétienne.com, 19 octobre 2020.
[7] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0072_FR.html
[8] https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens/profils-pays/algerie
[9] Hakim Arif, « Persécution des chrétiens en Algérie. La riposte des congresmen américains », L’Observateur du Maroc et d’Afrique, 12 mai 2020.