Jan Figel sur la liberté de religion
Jan Figel est envoyé spécial de l'UE pour la liberté de religion
Pouvez-vous décrire votre mandat ?
Mon rôle est de promouvoir la liberté de religion ou de conviction (en anglais freedom of religion or belief ou FoRB, ci-après LRC) en dehors de l’Union Européenne comme valeur essentielle et droit de l’homme universel, principalement à travers la coopération internationale et une politique de développement. C’est pourquoi je travaille étroitement avec le Commissaire Neven Mimica et la DG DEVCO, mais également avec d’autres services (l’EEAS - European external action service (service européen pour l'action extérieure), la DG NEAR – politique de voisinage).
La plupart de mes activités sont orientées vers les pays partenaires avec lesquels nous avons des accords de développement et de coopération bilatéraux ou multilatéraux. Mon mandat inclut aussi des rapports réguliers par rapport à l’article 17 du traité dialogue avec les églises et les communautés religieuses dans l’UE. J’ai commencé en mai 2016 et ai été renouvelé jusqu’en mai 2018. Cette période introductive a déjà montré de nombreuses raisons d’adaptation de cette position. L’objectif principal est de faire de la LRC une politique externe de l’UE qui soit plus efficace.
Et bien sûr, si nous voulons être des partenaires crédibles pour le monde, il nous faut garder une approche consistante, à la fois interne et externe. Mais nous avons des instruments et des compétences différentes à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE.
Quels sont les actions de l’UE pour promouvoir la LRC à l’étranger ?
L’UE a adopté ses lignes directrices pour cette politique en 2013. C’est un instrument consensuel clé pour la protection et la promotion de la LRC. Les violations ou abus de LRC commis à la fois par des acteurs étatiques et non-étatiques sont diffus et complexes et affectent des gens partout dans le monde, y compris en Europe. Le dernier exemple en date en Europe est celui de l’interdiction des Témoins de Jéhovah en Russie.
Le spectre des actions de l’UE est assez large : suivi, analyse et rapports sur l’état des libertés de religion ou de conviction, utilisation de la diplomatie de façon préventive ou en réponse à des violations sérieuses, telles que des exécutions, des tueries sommaires, des procès injustes, des poussées de violence ou d’attaques communautaires. Quant à la protection et la promotion de la LRC, l’Union peut également utiliser le dialogue politique et les visites des pays, ainsi que les instruments d’aide ou financiers. Nous travaillons aussi dans les forums multilatéraux et formons les diplomates de l’UE aux problématiques de LRC. Les principaux problèmes et inquiétudes concernent des pays totalitaires, des zones de conflits, dans des états fragiles avec des groupes militants non-étatiques. De nombreux régimes détournent les lois de blasphème ou anti-conversion contre les minorités religieuses.
Mais nous avons aussi des avancées positives. Par exemple, l’IEDDH (Initiative européenne pour la démocratie et les droits de l'homme). C’est un instrument financier à hauteur de 1,4 milliards d’euros qui aide de nombreux pays en développement. Dans le cadre du programme actuel, plus de 50 projets en lien avec la LRC sont soutenus pour un budget total de 15 millions d’euros. Le dernier projet en date est le prix LRC de développement Lorenzo Natali Media Prize. Après 25 ans, nous mettons en place pour la première fois ce mois de juin les récompenses pour les meilleures reportages amateurs et professionnels sur la LRC.
Il y a aussi les instruments pour des projets éducationnels et culturels. Je pense que l’UE peut faire beaucoup pour faire prévaloir l’humanité, la paix et la justice dans le monde en promouvant la liberté et la responsabilité des responsables religieux et de leurs communautés, ainsi que le bien commun. La liberté sans responsabilité n’est pas viable et ne peut durer.
L’Europe a-t-elle reconnu les « génocides » en Syrie et en Irak ?
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui est une organisation intergouvernementale paneuropéenne, a été la première institution internationale à exprimer sa reconnaissance des faits et à les dénoncer, en janvier 2016. La résolution la plus forte et qui a été très importante sur les atrocités de masse commises par l’EI en Irak et en Syrie a été adoptée très rapidement après cette reconnaissance, en février 2016. Dans cette résolution, le Parlement recommande aux états-membres de l’UE et à la communauté internationale d’agir grâce au conseil de sécurité de l’ONU pour arrêter les persécutions des minorités religieuses et ethniques, et de saisir la Cour pénale internationale pour enquêter sur les crimes brutaux et extra-ordinaires et pour poursuivre les auteurs de ces crimes. Une écrasante majorité de Membres du parlement européen ont aussi demandé dans cette résolution que soit « créé une position permanente pour le représentant spécial de l’UE à la LRC ». Ainsi, en lien avec cet appel je vois les régions du Proche-Orient et leur situation critique est ma priorité. J’ai visité la Jordanie, l’Irak, les Émirats-Arabes Unis, et récemment le Soudan et le Maroc.
La même reconnaissance a été faite par la Chambre des Communs britannique, la Chambre des représentants du Congrès des États-Unis et par de nombreuses autres institutions et organisations. Malheureusement, les gouvernements respectifs n’ont pas suivi cette position. Il n’y a pas eu de proposition ou de position directe amorcée ni au Conseil de sécurité de l’ONU ni à l’Assemblée générale de l’ONU. Je suis sûr que pour apporter la paix, la sécurité et la justice au Proche-Orient, dans l’intérêt de nos engagements internationaux et pour la crédibilité de l’ONU en tant qu’acteur responsable, des actions devraient dument être engagées, négociées, et prises.
Que peux faire l’UE suite à cette reconnaissance ?
L'UE n'a aucun mandat ou siège au sein de l'organisation à l'ONU. Nous fournissons vraiment beaucoup d'effort dans la région pour lutter contre l'extrémisme et le fondamentalisme grâce au CSFP et en coopération avec les organisations internationales. La majeure partie de l'aide humanitaire en Syrie et en Irak provient de l'Europe. En Irak nous travaillons avec toutes les institutions concernées, y compris avec la société civile et les minorités religieuses et ethniques, afin de garantir la sécurité, la réconciliation, la justice et la reconstruction sur place. Je pense que nous devons nous documenter sur l'ensemble des crimes contre l'humanité ainsi que sur la législation concernant le génocide et commencer les enquêtes afin d'envoyer un signal fort aux personnes qui se trouvent dans le besoin et leur dire qu'elles ne sont pas abandonnées et qu'une justice et de nouvelles perspectives l’emporteront bientôt.
La conférence de soutien pour la reconstruction de la Syrie organisée à Bruxelles en avril a récolté six milliards de dollars. Un soutien analogue pour l'Irak a eu lieu il y a un an à Londres. La Syrie a besoin d'une nouvelle solution politique et d'un accord concernant son avenir. L'Irak doit trouver le chemin d’une solution démocratique étatique pour protéger les sunnites, les chiites, les Kurdes, les chrétiens, les Yezidis et toutes ses minorités. Vous souvenez-vous des images post-seconde-guerre-mondiale de Dresde ou Stalingrad en Europe?
Quels sont les devoirs des États par rapport aux auteurs du génocide, si certains font partie de ses ressortissants ?
C’est très clair : les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide sont punissables devant la loi internationale et devant la plupart des lois nationales. Il est très important que les instances compétentes (principalement des procureurs et des procureurs généraux) mettent en place des procédures légales contre les militants de l’EI et les combattants étrangers. La raison principale en est la justice elle-même. Mais des raisons secondaires sont également importantes : c’est un signe aux communautés meurtries que la justice, bien que limitée, arrive, et un avertissement pour les futures recrues potentielles du terrorisme islamique d’éviter de passer à l’acte.