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L’interdiction du porte-à-porte devant la CEDH

L’interdiction du porte-à-porte devant la CEDH

Par Nicolas Bauer1725008400000
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À propos de l’affaire Velev et autres c. Bulgarie (n° 56007/21[1]), pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.

 

Il est fréquent qu’un visiteur imprévu toque ou sonne à la porte d’un domicile. Il peut s’agir d’un vendeur indépendant, d’un candidat à des élections ou encore d’un missionnaire chrétien. Que ce soit pour promouvoir un produit, un programme politique ou la foi, un tel démarchage par le «porte-à-porte» est tout à fait légal. Il est protégé par le droit à la liberté d’expression, à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans le cas des missionnaires, le porte-à-porte est doublement protégé, car il relève du droit de manifester sa religion (article 9). 

La Bulgarie a invoqué un autre droit, le droit au respect de son domicile (article 8), pour justifier une interdiction du porte-à-porte religieux. Depuis quelques années, en effet, des municipalités bulgares interdisent et sanctionnent le porte-à-porte lorsqu’il est pratiqué pour des raisons religieuses. C’est le cas à Choumen, ville du Nord-Est du pays. Le démarchage à domicile y est permis pour tout type de motif, sauf religieux. Il est donc permis de toquer ou sonner à la porte des 100 000 habitants de cette ville pour vendre un aspirateur ou du maquillage, mais il est interdit de donner une Bible ou une image pieuse.

 

Une violation des libertés des missionnaires

L’ordonnance municipale de Choumen, datant de 2016, prétend interdire une pratique séculaire. Ainsi, Jésus Christ exige dans l’Évangile de faire de toutes les nations des disciples et d’aller trouver pour cela les gens directement chez eux[2]. Le porte-à-porte était pratiqué par les premiers chrétiens, qui allaient « de maison en maison », comme le rapportent les Actes des Apôtres[3]. C’est pourquoi, l’interdiction de cette pratique à Choumen a été attaquée en justice par des croyants, mais sans succès. C’est maintenant à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de trancher cette affaire : une autorité publique peut-elle interdire le porte-à-porte ?

Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) avait déjà défendu à la CEDH la cause d’un chrétien condamné injustement en Grèce pour « prosélytisme ». Nous avions alors expliqué, notamment dans cette vidéo, qu’interdire le prosélytisme violait les libertés d’expression et de religion. L’ECLJ est cette fois encore tierce-partie dans l’affaire Velev et autres c. Bulgarie et a déposé le 22 juillet 2024 des observations écrites à la CEDH. Nous avons montré que pratiquer le porte-à-porte est un droit de l’homme, en nous appuyant sur la jurisprudence la plus récente.

La CEDH a ainsi réaffirmé en 2022 qu’en pratiquant le porte-à-porte, « les croyants manifestent leur volonté de se conformer strictement à la doctrine religieuse qu’ils professent et leur liberté de le faire est garantie par l’article 9 de la Convention[4] ». En 2023, elle a ainsi résumé sa jurisprudence sur le sujet : « en l’absence de preuve de coercition ou de pression indue, la Cour a affirmé le droit (…) à s’engager dans l’évangélisation individuelle et la prédication de porte à porte[5] ». Interdire le porte-à-porte pour un motif religieux est non seulement contraire à la jurisprudence européenne, mais aussi à celle du Comité des droits de l’homme des Nations Unies[6].

 

Qu’en est-il des droits d’autrui ?

L’interdiction de la prédication par le porte-à-porte pour un motif religieux viole également les droits de celui qui en est l’objet. Dans la jurisprudence de la CEDH, « la liberté de recevoir des informations (…) interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir »[7]. De même, si la CEDH reconnaît l’importance du « droit d’essayer de convaincre son prochain », c’est aussi afin que ce « prochain » puisse exercer sa « liberté de changer de religion », consacrée par l’article 9 de la Convention européenne[8].

La nécessité du prosélytisme pour permettre aux personnes d’exercer librement leur liberté de changer de religion est attestée par de nombreux témoignages, par exemple ceux du reportage de l’ECLJ « De l’islam au Christ ». L’un d’eux raconte : « Personnellement je me suis converti car quelqu’un a osé m’offrir les Évangiles dans la rue (...). Cela a été la révélation, parce que tout le monde m’avait dit du mal du christianisme, dans les médias, dans mon entourage musulman. Il y avait un mépris des chrétiens et des juifs (…). On m’avait caché la beauté de Dieu ». Quant aux abus, ils peuvent être sanctionnés par d’autres qualifications pénales, adaptées à chaque situation.

En ce qui concerne le respect du domicile des personnes, l’analyse du Gouvernement bulgare relève d’une logique étatiste. Ce n’est pas aux autorités publiques de considérer que le porte-à-porte dérange et en conséquence d’en interdire la pratique. Si une personne s’estime dérangée par le porte-à-porte, plusieurs solutions s’offrent à elle pour ne pas être dérangée : ne pas répondre au visiteur, le congédier poliment, ou encore apposer un autocollant « stop démarchage » à l’entrée de son domicile. Le rôle des autorités publiques est alors de sanctionner les visiteurs qui se présentent à un domicile contre la volonté de son occupant[9].

______________

[1] La requête a été introduite le 12 novembre 2021 et communiquée par la Cour le 13 février 2024.

[2] Évangile selon Matthieu, chapitre 28 : 19-20 et chapitre 7 : 11-13. 

[3] Actes des Apôtres, chapitre 5 : 42 et chapitre 20 : 20.

[4] CEDH, Taganrog LRO et autres c. Russie, nos32401/10 et 19 autres, 7 juin 2022, § 172.

[5] CEDH, Ossewaarde c. Russie, n°27227/17, 7 mars 2023, § 40. La Cour cite l’arrêt suivant : Témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie, n°302/02, 10 juin 2010, § 122.

[6] Voir : Comité des droits de l’homme, Jaarey Suleymanova et Gulnaz Israfilova c. Azerbaïdjan, CCPR/C/133/D/3061/2017, 3 février 2022 ; Vladimir Adyrkhayev, Behruz Solikhov et l’association religieuse des Témoins de Jéhovah de Douchanbé c. Tadjikistan, CCPR/C/135/D/2483/2014, 25 novembre 2022.

[7] Leander c. Suède, n° 9248/81, 26 mars 1987, § 74. Cela a été réaffirmé dans plusieurs arrêts plus récents de Grande chambre, par exemple : Gillberg c. Suède [GC], n° 41723/06, 3 avril 2012, § 83.

[8] Ivanova c. Bulgarie, n° 52435/99, 12 avril 2007. Voir aussi : Kokkinakis, op. cit., § 31 ; 43082/14, § 41.

[9] Voir à ce sujet : CEDH, Taganrog LRO, op. cit., § 183. Voir aussi la démonstration de la Cour suprême des États-Unis dans son arrêt Martin v. City of Struthers, 319 US 141, 3 mai 1943.

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