Lieux de culte fermés en temps de Covid : la CEDH osera-t-elle condamner les restrictions abusives ?Gradient Overlay
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Lieux de culte fermés en temps de Covid : la CEDH osera-t-elle condamner les restrictions abusives ?

Lieux de culte fermés en temps de Covid: la CEDH osera-t-elle condamner les restrictions?

Par ECLJ1712241442255
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Les restrictions prises par les gouvernements occidentaux pour freiner la propagation de la Covid-19 apparaissent, avec le recul, comme de plus en plus disproportionnées. Cependant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jusqu’à présent rejeté l’immense majorité des requêtes portant sur de graves atteintes aux libertés fondamentales. Sur la suspension du culte en 2020, seule une affaire contre la France est actuellement examinée par la CEDH.

L’affaire Mégard contre France (n° 32647/22) introduite à la CEDH en juin 2022 porte sur l’interdiction de tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte, à l’exception des cérémonies funéraires et dans la limite de 30 personnes. Cette mesure radicale figurait à l’article 47-I du décret n° 2020-310 du 29 octobre 2020 édicté lors du second confinement. Même si les établissements de culte pouvaient rester ouverts, l’exercice de la liberté religieuse y était complètement restreint, toutes les cérémonies (sauf funéraires) étant interdites. Le décret prévoyait même la fermeture de ces établissements si la disposition précédente n’était pas respectée (article 47-IV du décret).

Estimant à juste titre que l’exercice effectif de sa liberté de religion était réduit à néant durant ce confinement, M. Mégard a demandé l’annulation, pour excès de pouvoir, de l’article 47-I du décret litigieux. À la suite du rejet de sa demande par le Conseil d’État, M. Mégard a déposé une requête devant la CEDH. La question à laquelle la Cour a accepté de répondre est de savoir si l’interdiction quasi-totale de tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte, a porté une atteinte disproportionnée à la liberté de religion, garantie à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’article 9 de la Convention protège la liberté de pensée, de conscience et de religion, mais plusieurs restrictions sont possibles et prévues par le § 2 lorsqu’elles sont nécessaires « dans une société démocratique », notamment pour protéger la santé publique. Toutefois, cela ne devrait en aucun cas servir de blanc-seing à l’État pour agir à sa guise en restreignant complètement toutes nos libertés. En effet, l’État doit, en principe, justifier d’un avis circonstancié lorsqu’il édicte certaines mesures contraignantes. Ce n’est cependant pas ce qu’a exigé la Grande Chambre de la Cour dans l’affaire Communauté genevoise d’action syndicale, qui concernait une interdiction générale et absolue de tout rassemblement public en Suisse, toujours dans le cadre de la lutte contre la Covid. Le 15 mars 2022, la CEDH avait condamné la Suisse au motif que la marge d’appréciation des États membres ne leur permet pas de justifier in abstracto, des restrictions règlementaires radicales et générales. Cependant, le 27 novembre 2023, la Grande Chambre a considéré que la requête n’était pas admissible car présentée hors délai et qu’au surplus les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours. Une décision très critiquable puisque la Grande Chambre esquive la question de fond en humiliant implicitement la Chambre de la 3e Section qui n’aurait pas remarqué que la requête était présentée hors délai…

Autre affaire illustrant la volonté de la CEDH de ne pas se prononcer sur les restrictions liées à la Covid, la requête Magdić c. Croatie. Le 1er septembre 2022, la CEDH a rejeté cette requête, au motif que le requérant n’aurait pas « précisé à quels rassemblements publics il ne pouvait pas assister en raison des mesures en question[1] ». Si la CEDH veut bien examiner l’affaire pendante, elle pourra constater que M. Mégard expose bien sa qualité de catholique et qu’au titre de l’application de l’article 47-I de décret litigieux, il a été contraint d’interrompre sa pratique cultuelle personnelle et collective.

Selon l’ECLJ, l’élément qui pourrait être déterminant dans cette affaire est celui de la jauge imposée de 30 personnes lors des cérémonies funéraires, seules cérémonies autorisées pendant le second confinement au sein des établissements de culte. Effectivement, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions proportionnées, mais non de restrictions générales et absolues qui porteraient atteinte au cœur même de la liberté de religion. Ici, il y a non seulement l’interdiction générale et absolue de toute cérémonie religieuse qui empêche entièrement le culte collectif, mais il y a également une absence de fondement scientifique et raisonnable de cette jauge de 30 personnes. Il est indispensable de s’interroger sur le motif objectif justifiant ce seuil de 30 personnes, étant donné que chaque établissement de culte dispose d’une superficie extrêmement variable, ce qui influence directement le risque de transmission de la covid. Par ailleurs, cette jauge de 30 personnes a fini par être abandonnée par suite d’une ordonnance du Conseil d’État en date du 29 novembre 2020[2].

D’après la CEDH, « pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, l’existence d’une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but doit être exclue[3] ». Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, la Cour ne devrait pas diminuer son exigence en termes de protection des droits fondamentaux. Ainsi, la CEDH a dans une autre affaire validé une mesure nationale restreignant la liberté de circulation du requérant, dans la mesure où ce dernier gardait de nombreuses possibilités de sortie et qu’il pouvait toujours nouer des contacts sociaux. L’ingérence a été jugée proportionnée par la Cour car elle n’éteignait pas totalement la possibilité pour le requérant d’utiliser son droit à la liberté de circulation.

En l’espèce, les mesures de restriction mises en place par la France ne maintiennent aucune possibilité d’exercice de la pratique la plus importante dans la religion catholique, à savoir la participation à la messe. En outre, on voit difficilement comment l’État pourrait justifier la nécessité de la limitation de 30 personnes lors des cérémonies funéraires ainsi que l’interdiction des autres cérémonies, alors même que les crèches, écoles, collèges et lycées restaient ouverts avec des protocoles sanitaires renforcés. La France n’aurait pas dû traiter les activités religieuses de façon plus restrictive que les activités profanes similaires. Dans ce sens, la Cour Suprême des États-Unis s’est penchée sur la différence flagrante de traitement entre les activités religieuses et profanes, et a conclu que cette différence de traitement n’était pas justifiée car le risque de contamination n’était pas plus élevé dans un lieu de culte par rapport aux autres activités[4].

Par ailleurs, l’État ne dispose pas de la compétence pour juger du caractère plus ou moins essentiel de telle ou telle pratique religieuse, ni pour réglementer de façon unilatérale, et dans le détail, les pratiques religieuses. En effet, « le devoir de neutralité et d’impartialité de l’État est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci[5] ». Il en résulte notamment le devoir pour l’État d’organiser avec neutralité et impartialité « l’exercice des diverses religions, cultes et croyances[6] ». Ainsi, le choix opéré par l’État d’autoriser les funérailles religieuses à l’exclusion de toute autre pratique religieuse n’est pas neutre, et peut être perçu comme arbitraire lorsque l’on considère le fait que pour les catholiques, le culte dominical est une obligation religieuse, ce qui n’est pas le cas de la participation à des funérailles. Ce principe a été rappelé par une Cour américaine du district de Colombie : il ne revient pas aux autorités « de dire que les croyances religieuses sur la nécessité de se réunir en un seul corps sont erronées ou non-essentielles[7] ». En décidant d’autoriser telles pratiques religieuses plutôt que telles autres, les autorités publiques sortent de leur rôle. Elles sortent aussi de leur rôle lorsqu’elles prétendent prescrire la façon dont doivent se dérouler des pratiques religieuses telles que le rite de la communion, ou les chants, ou imposer, comme ce fut parfois le cas en France, que la messe soit célébrée portes fermées. De même, la décision prise par certains gouvernements d’autoriser la présence d’un nombre fixe de fidèles au sein des lieux de culte, sans tenir compte de leur surface, comme ce fut le cas en France, est, elle aussi arbitraire. Pour éviter de telles restrictions arbitraires portant atteinte à la neutralité de l’État et à l’autonomie des communautés religieuses, les autorités publiques doivent, autant que possible, se concerter avec les communautés religieuses concernées.

Quatre ans après l’éruption de la Covid-19, la suspension du culte fait partie des mesures restrictives qui apparaissent aujourd’hui comme largement disproportionnées. Comme l’analyse dans cet article de synthèse Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ, la peur de la Covid a objectivement eu un pouvoir de sidération sur les citoyens et les conférences épiscopales qui ont très largement accepté les restrictions à la liberté de culte. Malgré les milliers de recours envoyés à la CEDH à propos de libertés fondamentales gravement atteintes, celle-ci n’en a accepté qu’une poignée[8]. L’ECLJ est intervenu en tant que tierce partie dans plusieurs d’entre elles, notamment deux affaires contre la Roumanie Constantin-Lucian Spînu et Mihai-Silviu Chirilă. Puisse la Cour avoir le courage de condamner la France dans cette affaire, comme sa jurisprudence classique le lui imposerait.

 

Pour aller plus loin :

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[1] Traduction libre de l’anglais. L’ECLJ est intervenu en tant que tierce partie dans cette affaire. Lire nos observations écrites.

[2] CE, Ord., 29 novembre 2020, Associations Civitas et autres, req. n°446930, §§18-20.

[3] Glor c. Suisse, n°13444/04 ; 30 avril 2009, §94.

[4] Supreme Court of the United States South Bay, United Pentecostal Church v Newsom (2021).

[5] Voir par exemple : Manoussakis et autres c. Grèce, n°18748/91, §47 ; Bayatyan c. Arménie [GC], n°23459/03.

[6] S.A.S c. France [GC], n°43835/11, 1er juillet 2014, §127.

[7] UNITED STATES DISTRICT COURT FOR THE DISTRICT OF COLUMBIA Capitol Hill Baptist Church v. Muriel Bowser, in Her Official Capacity as Mayor of the District of Columbia (CaseN°20-cv-02710 (TNM)) on 9 October 2020, page 11.

[8] Voir les requêtes pendantes : Association d’obédience ecclésiastique orthodoxe c. Grèce, n°52104/20 dans laquelle l’ECLJ a déposé des observations écrites en tant que tierce partie et Figel’ c. Slovaquie, n°12131/21, dans laquelle l’ECLJ a également soumis des observations écrites.

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