La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a autorisé l’European Centre for Law and Justice (ECLJ) à intervenir dans l’affaire Asociación de Abogados Cristianos c. Espagne (n° 22604/18), au nom de la Conférence épiscopale espagnole. L’ECLJ a déposé ses observations écrites le 30 juin 2020. Cette affaire, surnommée l’ « affaire des hosties », met en cause le sacrilège le plus extrême jamais porté devant les juges de Strasbourg.
Les faits
L’État espagnol est attaqué par une association chrétienne pour avoir soutenu une performance artistique attaquant les catholiques. Cette performance de process art comporte plusieurs volets :
La procédure en Espagne
L’archidiocèse de Pampelune et Tudela et l’Asociación de Abogados Cristianos ont tous deux porté plainte contre l’exposition. Les juridictions espagnoles ont rejeté ces plaintes.
La plainte déposée par l’Asociación de Abogados Cristianos a été rejetée par le tribunal de Pampelune le 18 novembre 2016. L’appel contre ce jugement devant le tribunal provincial de Navarre a également été rejeté par une décision du 28 avril 2017. L’association a de nouveau fait appel devant la Cour constitutionnelle d’Espagne, qui a pris une décision d’irrecevabilité le 7 novembre 2017.
Les parties à la CEDH
L’Asociación de Abogados Cristianos a introduit une requête contre l’Espagne auprès de la CEDH le 26 avril 2018. L’association requérante invoque une violation du droit à la liberté de religion, protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Deux parties s’opposent donc aujourd’hui devant les juges européens :
L’ECLJ a sensibilisé plusieurs organisations européennes sur cette affaire, dont certaines ont décidé de demander à la Cour d’intervenir en amicus curiae. De manière rare, huit tiers-intervenants ont été autorisés par la Cour à déposer des observations écrites :
LES ARGUMENTS DE L’ECLJ
Dans ses observations, l’ECLJ a démontré que le droit à la liberté de religion a été violé par l’État espagnol, qui n’a pas honoré ses obligations positives et négatives en vertu de l’article 9 de la Convention européenne.
I. Une violation des obligations positives de l’État en vertu de l’article 9
L’État a l’obligation positive d’assurer aux croyants « la paisible jouissance du droit garanti par l’article 9 »[1]. Dans ce but, la Cour a déjà considéré « qu’« en principe on peut juger nécessaire de sanctionner des attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse »[2]. En effet, « la manière dont les croyances et doctrines religieuses font l’objet d’une opposition ou d’une dénégation est une question qui peut engager la responsabilité de l’État »[3].
Or, les juridictions internes ont choisi de ne pas sanctionner la performance artistique en cause. Ce choix est contestable pour plusieurs raisons :
L’ECLJ a par ailleurs rappelé dans ses observations les normes de droit international à la lumière desquelles la CEDH interprète les droits de l’homme. En particulier, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 oblige les États à interdire par la loi « tout appel à la haine (…) religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence » (art. 20). De plus, les Nations unies ont déjà condamné à plusieurs reprises la « christianophobie », aux côtés de l’ « antisémitisme » et de l’ « islamophobie »[5]. En revanche, alors que la CEDH a déjà condamné l’ « antisémitisme » et l’ « islamophobie » dans sa jurisprudence, elle n’a jamais utilisé de classification similaire pour les actes antichrétiens. Cette affaire pourrait en être l’occasion.
En ne sanctionnant pas le performer, l’État espagnol a donc violé son obligation positive de protéger le droit à la liberté de religion des catholiques. Cette protection exige a minima une interdiction de l’appel à la haine à leur encontre.
II. Une violation des obligations négatives de l’État en vertu de l’article 9
L’État a également une obligation négative de ne pas s’ingérer arbitrairement dans le droit à la liberté de religion des croyants[6]. Toute ingérence d’une autorité publique doit être prévue par la loi, avoir un objectif légitime, et être nécessaire pour atteindre cet objectif (Art. 9 § 2 de la Convention européenne). En outre, l’État doit respecter, en matière religieuse, un rôle d’ « organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances »[7]. Ce « devoir de neutralité et d’impartialité de l’État est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci »[8]. Ces limites à l’action de l’État s’appliquent également à toute autorité publique.
Il ne fait aucun doute que les autorités publiques espagnoles ont dans cette affaire outrepassé leur rôle. En particulier :
Ces ingérences d’autorités publiques espagnoles dans le droit à la liberté de religion des catholiques n’étaient évidemment pas prévues par la loi et n’avaient aucun objectif légitime. Elles ont justifié et amplifié l’offense gratuite du performer contre les catholiques. Elles ont aussi généré des offenses supplémentaires, qui n’auraient sinon pas eu lieu, sans respect de leur devoir de neutralité et d’impartialité.
Conclusion
Pour toutes ces raisons, l’ECLJ estime que l’Espagne a violé ses obligations au titre de la Convention. Si la Cour ne sanctionnait pas l’Espagne, alors les chrétiens seraient dépourvus de protection, et toutes les attaques symboliques à leur encontre seraient possibles.
N.B. : L’ECLJ est déjà intervenu dans de nombreuses affaires relatives à la liberté d’expression en matière religieuse, pour défendre avec constance une position équilibrée. L’ECLJ est attaché au débat fondé sur la raison, qu’il soit politique ou scientifique, et à la liberté de critiquer les religions. En revanche, il n’y a pas lieu d’ériger le blasphème et la vulgarité en droit de l’homme. Il n’existe pas de droit au blasphème, mais un droit à la liberté d'expression qui comporte des responsabilités et des limites. Seule doit être restreinte la diffusion d’obscénités gratuitement offensantes ainsi que de propos incitant à la violence immédiate. L’obscénité et l’incitation à la violence doivent pouvoir être censurées, mais pas la critique.
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[1] Otto-Preminger-Institut c. Autriche, n° 13470/87, 20 septembre 1994, § 47.
[2] I.A c. Turquie, n° 42571/98, 13 septembre 2005, § 24.
[3] Otto-Preminger, op. cit., § 47.
[4] Articles 524 et 525 du Code pénal espagnol.
[5] Voir par exemple : Nations unies, Assemblée générale, Résolution n° 72/177, « Liberté de religion ou de conviction », 19 décembre 2017, § 4.
[6] Voir par exemple : Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n° 30985/96, 26 octobre 2000, § 62
[7] S.A.S. c. France [GC], n°43835/11, 1er juillet 2014, § 127. Voir aussi : Manoussakis et autres c. Grèce, n°18748/91, 26 septembre 1996, § 47 ; Hassan [GC], op. cit., § 78 ; Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, 13 février 2003, § 91.
[8] Ibid.