CEDH: deux politiciens de gauche contre la Pologne catholique
L’ECLJ est tiers-intervenant dans deux affaires contre la Pologne, introduites par des représentants de la gauche polonaise athée. Dans la première, le requérant soutient que la dégradation d’une statue religieuse relève de sa liberté d’expression ; dans la seconde, un militant revendique le droit d’être admis dans un établissement confessionnel tout en contestant ses fondements religieux. Explications.
Dariusz Czerski est militant de la Coalition civique (Koalicja Obywatelska) et Marek Jopp fait partie de La Nouvelle Gauche (Nowa Lewica). Ces mouvements politiques forment une coalition soutenant le gouvernement actuel de la Pologne dirigé par Donald Tusk. Chacun a introduit une affaire à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Leurs requêtes, pendantes, seront examinées dans les prochains mois ou semaines[1].
Dariusz Czerski avait été condamné en 2021 à 60 heures de travaux d’intérêt général pour avoir dégradé une statue de Jean-Paul II en Pologne. Il prétendait ainsi s’opposer à la pédophilie dans l’Église, alors même que Jean-Paul II n’a jamais eu aucune complicité avec des actes pédophiles. 42 autres actions similaires avaient suivi celle de M. Czerski et ciblaient spécifiquement le culte rendu à Jean-Paul II : des actes de vandalisme, des vols de reliques, l’interruption d’une messe, la profanation d’une hostie, des agressions physiques ou encore l’incendie d’un sanctuaire. M. Czerski considère que sa condamnation a violé ses libertés de pensée et d’expression (art. 9 et 10 de la Convention européenne).
La requête de Marek Jopp est très différente, mais se caractérise par la même hostilité à l’Église. M. Jopp avait postulé en 2017 pour une formation dans un établissement privé catholique, en indiquant dans son dossier « je suis non-croyant ». Il refusait d’envoyer une lettre de recommandation de son curé, pourtant exigée dans la candidature, car il considère qu’un établissement catholique ne devrait pas se soucier de la pratique religieuse de ses étudiants. La candidature de M. Jopp a été rejetée et il a alors attaqué l’établissement devant les juridictions administratives. Celles-ci se sont déclarées incompétentes, en raison du droit polonais. Dans sa requête pendante à la CEDH, M. Jopp invoque sa liberté de pensée (art. 9), son droit à l’instruction (art. 2 Prot. n° 1) et l’interdiction de la discrimination (art. 14).
Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) a été autorisé par la Cour à intervenir dans ces deux affaires pendantes. Nous avons déposé des observations écrites, qui sont disponibles sur notre site (Czerski c. Pologne et Jopp c. Pologne). Celles-ci démontrent que ces deux requêtes sont irrecevables d’abord pour des raisons de procédure. En effet, M. Czerski ayant omis de saisir la Cour suprême de Pologne, il n’a pas respecté son obligation d’épuiser les voies de recours internes[2].
Quant à M. Jopp, il a sciemment dissimulé à la CEDH la procédure parallèle qu’il a initiée devant les juridictions civiles polonaises. Cette procédure est pourtant déterminante, car il a obtenu gain de cause. Ces juridictions ont considéré que M. Jopp avait été discriminé et ont condamné l’établissement à lui verser une indemnité. M. Jopp a pu finalement suivre une formation dans ce même établissement privé catholique. Occulter ces éléments vise à tromper la Cour. Étant donné que M. Jopp a déjà obtenu la reconnaissance et la réparation de son préjudice, sa requête à la CEDH est abusive[3].
Sur le fond, les requêtes de MM. Czerski et Jopp traduisent une mauvaise compréhension des libertés de pensée et d’expression. Ces libertés ne protègent pas le droit de vandaliser des monuments publics comme un moyen d’action politique[4]. C’est ce comportement de M. Czerski qui a été sanctionné, et non son message. Il a choisi un moyen troublant l’ordre public, offensant gratuitement les catholiques et touchant aux « valeurs sociales profondément enracinées » en Pologne[5]. M. Czerski avait à sa disposition de nombreux autres moyens pour s’exprimer sur Jean-Paul II ou contre la pédophilie.
Concernant le cas de M. Jopp, il n’existe pas de droit d’intégrer un établissement privé catholique en revendiquant son absence de foi ou pratique religieuse. Dans la jurisprudence de la CEDH, la liberté de pensée ne garantit « aucun droit à la dissidence à l’intérieur d’un organisme religieux ». En tant que « non-croyant », M. Jopp avait le choix d’intégrer de nombreux autres établissements, publics et non confessionnels. Dans nos observations, nous avons démontré que le principe d’« autonomie des organisations religieuses »[6] s’applique aux écoles[7] et nous avons rappelé la jurisprudence de la CEDH selon laquelle un État peut légitimement « donne[r] à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante dans l’environnement scolaire »[8].
Ces derniers mois, la Cour a communiqué une série de requêtes avec une même hostilité antireligieuse que celles de MM. Czerski et Jopp. L’ECLJ a été autorisé à intervenir dans deux autres d’entre elles. L’une, introduite par l’Union des athées, considère que la présence d’icônes chrétiennes dans les tribunaux grecs viole la liberté de pensée et remet en cause le devoir d’impartialité de l’État (Union des athées c. Grèce[9]). L’autre correspond à une demande d’avis consultatif de la Cour suprême ukrainienne, qui se penche sur le cas d’une ancienne religieuse. Celle-ci souhaite revenir habiter dans le couvent qu’elle a quitté en 2017, au nom de son droit au respect de son domicile (art. 8)[10].
Certaines de ces requêtes auraient dû ne pas être communiquées, soit en raison de leur manque de sérieux ou de leur caractère abusif (Jopp c. Pologne), soit parce qu’elles posent des questions juridiques auxquelles la CEDH a déjà répondu dans sa jurisprudence (Union des athées c. Grèce[11]). Le choix de la Cour de les communiquer ouvre la voie à une multiplication des recours antichrétiens.
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[1] Dariusz Czerski c. Pologne, requête n° 55654/21, communiquée le 11 octobre 2024 ; Marek Jopp c. Pologne, requête n° 54711/18, communiquée le 17 mars 2025.
[2] Voir à ce sujet la démonstration dans nos observations (§ 1), fondée notamment sur les affaires suivantes : Kemmache c. France (n°3), n°17621/91, 24 novembre 1994, § 44 ; Scordino c. Italie (n°1) (déc.), n°36813/97, 27 mars 2003 ; Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, n°17849/91, 20 novembre 1995, §§ 26-27 ; S.A.S. c. France [GC], n°43835/11, 1er juillet 2014, § 61.
[3] Voir à ce sujet la démonstration dans nos observations (§ I-4), fondée notamment sur les affaires suivantes : Sónia Maria Martins Alves c. Portugal, n° 56297/11, 21 janvier 2014, § 8 ; Kérétchachvili c. Géorgie (déc.), n° 5667/02, 2 mai 2006, I.2.c. ; Bekauri c. Géorgie, n° 14102/02, 10 avril 2012, § 23 ; Mitrović c. Serbie, n° 52142/12, 21 mars 2017, §§ 33-34 ; Zličić c. Serbie, n° 73313/17, 26 janvier 2021, § 56.
[4] Voir à ce sujet la démonstration dans nos observations (§ 2.1.), fondée sur une comparaison avec l’affaire Handzhiyski c. Bulgarie, n° 10783/14, 6 avril 2021.
[5] Handzhiyski c. Bulgarie, préc., § 56 ; Akdaş c. Turquie, n° 41056/04, 16 février 2010, § 30.
[6] Voir notamment : Sindicatul Păstorul c. Roumanie [GC], n° 2330/09, 31 janvier 2012, notamment § 74 ; Fernández-Martínez c. Espagne [GC], n° 56030/07, 12 juin 2014, notamment §§ 127-129 ; Károly Nagy c. Hongrie [GC], 56665/09, 14 septembre 2017 ; Ţîmpău c. Roumanie, n° 70267/17, 5 décembre 2023, notamment §§ 187-188, 216.
[7] Voir à ce sujet la démonstration dans nos observations (§ III-9), avec mention de l’affaire Lombardi Vallauri c. Italie, n° 39128/05, 20 octobre 2009, § 41.
[8] Lautsi et autres c. Italie [GC], n° 30814/06, 18 mars 2011, § 71.
[9] Union des athées c. Grèce et Union des athées et autres c. Grèce, requêtes nos 19150/20 et 11122/25, communiquées le 7 juillet 2025.
[10] Demande d'avis consultatif Cour suprême ukrainienne, P16-2025-001, communiquée le 16 septembre 2025.
[11] Lautsi et autres c. Italie [GC], préc.