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Bulgarie: "un triste rappel d'un passé communiste révolu"

Bulgarie: Un rappel du communisme

Par Nicolas Bauer1543827747683

Mise à jour 21 décembre 2018 : Les principales dispositions violant la liberté de religion ont été retirées de la loi finalement adoptée par l'Assemblée nationale de Bulgarie le 21 décembre 2018. La mobilisation internationale a amené les députés de tout l’échiquier politique à voter un texte complètement différent à deux mois d'intervalle. L’ECLJ se réjouit de cette belle victoire.

Trois partis politiques bulgares[1] ont déposé au Parlement une proposition de loi modifiant la législation nationale sur les cultes. Cette proposition, adoptée en première lecture en octobre, a pour objectif d’« empêcher l'ingérence de pays, institutions et personnalités étrangers dans les religions et les affaires religieuses »[2]. Bien qu’elle vise officiellement l'islam radical, la proposition de loi viole la liberté de religion des chrétiens, en particulier des catholiques et des protestants. Elle conférerait également à l'État une mainmise sur le fonctionnement interne des organisations religieuses.

Selon Mgr Christo Proykov, président de la Conférence des évêques catholiques bulgares, « cette proposition de loi est un triste rappel d'un passé communiste révolu, dont nous pensions ne plus voir le retour »[3]. La protestation de croyants bulgares, la mobilisation internationale et l'action de l’ECLJ ont amené les parlementaires à envisager de modifier la proposition de loi avant sa deuxième lecture.

 

Les restrictions au financement étranger de toutes les religions

Dans sa version actuelle, la proposition de loi impose d’importantes restrictions aux étrangers exerçant des fonctions religieuses en Bulgarie ainsi qu’au financement étranger des religions[4]. Ces restrictions menaceraient une partie des activités éducatives, des manifestations culturelles, des projets sociaux et des centres médicaux des communautés chrétiennes non-orthodoxes. En effet, le soutien financier venant de pays européens et des États-Unis est essentiel à la vie quotidienne des Églises, dans la mesure où il a été indispensable à leur rétablissement après plus de quarante ans de communisme[5].

Sous prétexte de « non-discrimination », les restrictions envisagées par la proposition de loi sont générales. Cependant, comme l'explique Atanas Slavov, professeur de droit à l'Université de Sofia, « si l'objectif est de limiter les dons faits aux musulmans de Bulgarie par des fondations islamiques radicales, traiter toutes les religions de la même manière constitue une discrimination »[6]. De fait, tous les financements étrangers d’organisations religieuses ne se valent pas et ne soulèvent pas les mêmes problématiques. Il serait donc essentiel de distinguer les différents types de financement étranger, en fonction de leurs implications politiques. Un rapport actuellement en discussion à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe cible le financement étranger de l'islam en Europe, comme une menace pour la sécurité (terrorisme et radicalisation), un « moyen d’influence [politique] » avec certaines « activités d'espionnage » et un danger pour la « cohésion » et le « vivre ensemble »[7]. En effet, alors que le christianisme est financé par des organisations issues de pays démocratiques, le financement de l’islam en Europe provient en partie des États du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, Émirats arabes unis et Koweït), de l’Iran et de la Turquie[8].

C'est pourquoi il est nécessaire d’amender la proposition de loi bulgare avant sa seconde lecture au Parlement, afin de cibler le financement de l’islam radical. Par exemple, les parlementaires pourraient limiter ou interdire spécifiquement le soutien financier provenant d'États qui soumettent officiellement les droits de l'homme à la charia[9]. Un tel choix serait compatible avec le droit européen, qui laisse une large marge d'appréciation aux États, dans la mesure où « il n’existe pas au niveau européen un standard commun en matière de financement des églises ou cultes ; ces questions étant étroitement liées à l’histoire et aux traditions de chaque pays »[10].

 

Violation des droits des minorités religieuses

 

La proposition de loi viole d’autres droits et libertés des croyants qui n'ont rien à voir avec l'islam radical. Le problème le plus grave est que le droit d'ouvrir des écoles confessionnelles et de former des religieux serait limité aux communautés représentant au moins 1% de la population. La proposition de loi prévoit également que les subventions étatiques soient réservées à ces communautés, à la hauteur d’environ 5 euros par croyant[11].

Cette disposition profiterait aux religions orthodoxe (60%) et musulmane (8%) ; au contraire, elle discriminerait l’Église catholique (0,7%), les confessions protestantes (0,9% prises ensemble) et la communauté juive (700 membres seulement)[12]. Alors que son Église serait la moins affectée par la proposition de loi, le président du Saint-Synode orthodoxe, le Père Nikolay Georgiev, a rappelé au Parlement que l’« on ne peut pas priver une confession de ses droits simplement parce qu'elle est minoritaire »[13]. Alors que la proposition de loi est censée lutter contre l'islam radical, elle donnerait paradoxalement plus de droits à cette religion qu'aux catholiques, aux protestants et aux juifs.

Ces modifications de la législation bulgare sur les cultes constitueraient une violation du droit européen. En effet, « dans l’exercice de son pouvoir de réglementation en la matière et dans sa relation avec les divers religions, cultes et croyances, l’État se doit d’être neutre et impartial »[14]. Dans une affaire similaire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que le fait de réserver les subventions publiques aux principales religions est une « discrimination [imposant] un fardeau aux croyants des petites communautés religieuses sans raison objective et valable »[15].

 

Une exclusion des petites communautés religieuses

En outre, la proposition de loi bulgare exige un minimum de 3 000 membres pour octroyer la personnalité morale aux organisations religieuses, ainsi qu'une autorisation formelle d'une institution étatique. Une telle règle aurait des conséquences pratiques sur les confessions non reconnues, qui seraient privées de leur droit de propriété et même du droit de louer une salle pour leurs activités. À titre d’illustration, la communauté juive, qui ne rassemble que 700 membres en Bulgarie, pourrait perdre sa reconnaissance légale et les droits associés à ce statut[16].

Cette disposition entre en contradiction avec le droit européen sur la liberté de religion. En effet, la CEDH prend en compte « le risque que les adhérents d’une religion puissent avoir l’impression de n’être que tolérés – mais pas bienvenus – si l’État refuse de reconnaître et soutenir leur organisation religieuse tout en accordant ce bénéfice à d’autres institutions »[17]. Selon la Cour, « pareille impression d’être en situation d’infériorité touche à la liberté de manifester sa religion »[18].

Il convient également de noter que la proposition de loi imposerait de nouvelles restrictions en ce qui concerne les bâtiments et équipements pouvant être utilisés à des fins religieuses.

 

Les obligations de la Bulgarie en matière de droits de l'homme

Pour toutes ces raisons, Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), a écrit une lettre au président bulgare, au chef du gouvernement et aux présidents des groupes parlementaires, afin de leur faire part de ses inquiétudes. Cette lettre a été cosignée par d'autres membres du panel d'experts sur la liberté de conscience et de religion de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Selon ces experts, « les restrictions imposées aux activités religieuses dans ce texte, en particulier la discrimination entre religions, les entraves procédurales et physiques ainsi que les réglementations administratives que la proposition de loi créerait sont problématiques au regard des traités que la Bulgarie a ratifiés ».

En parallèle, d’autres chrétiens s’opposent à la proposition de loi[19]. Des représentants de divers groupes religieux ont agi auprès des parlementaires. De grandes manifestations sont organisées chaque dimanche depuis trois semaines dans de nombreuses villes bulgares. La proposition de loi attire une attention internationale croissante, grâce aux réactions de l'Alliance évangélique mondiale, de l'Alliance baptiste mondiale et même de la United States Commission on International Religious Freedom (USCIRF).

 

Un Parlement sensible à la mobilisation des chrétiens

L'implication de ces organisations dans le débat semble avoir conduit les parlementaires à réexaminer la proposition de loi et à y apporter des modifications positives avant sa deuxième lecture au Parlement. Selon nos informations, les parlementaires souhaitent éliminer certaines des restrictions proposées concernant les écoles confessionnelles, la formation des religieux, le financement étranger des religions et les étrangers exerçant des fonctions religieuses.

Dans tous les cas, l’ECLJ suit de près les discussions précédant l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi, pour lequel aucune date n’a encore été annoncée, et défend le principe de « l’autonomie des organisations religieuses ». Nous sommes en effet fermement convaincus que les États européens doivent distinguer les ordres temporel et spirituel et qu’ils peuvent trouver de nombreux moyens de lutter contre l’islam radical sans violer les droits et libertés des religions pacifiques.

 

 

[1] « Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie » (GERB), Parti socialiste bulgare (BSP) et le parti ethnique turc Mouvement des droits et des libertés (DPS) ont obtenu ensemble 68,8% des voix aux élections législatives de 2017 et 83,8% des sièges au Parlement.

[2] Iva Mihailova, “Bulgaria: new bill on religions criticised by the Catholic Church. Msgr. Proykov, “it’s discriminatory,AgenSIR - Servizio Informazione Religiosa, 12 mai 2018.

[3] Iva Mihailova, op. cit.

[4]  Samuel Smith, “Proposed Amendments Could Close Churches, Seminaries in Bulgaria, Christian Leaders Fear,” The Christian Post,Christian News, 12 novembre 2018.    

[5] Pasteur Rumen Bordjiev, président de l'Alliance évangélique bulgare: “This question is connected with the past. Most of the Protestant Churches are connected and have partnerships with Evangelicals all over Europe and the USA. During the early years of changes, after the Communist regime fell, the country of Bulgaria was in an awful situation: no Bibles or Christian literature, empty shops and poor people, orphanages in terrible conditions. When the Berlin Wall fell, the links with Western Christians were founded and our brothers and sisters were so helpful in supplying our needs in all those areas. These days some of the big churches in Bulgaria can fully supply all their needs. There are small churches, though, which still need support, especially the Roma (Gypsy) churches. There are established connections with Western Churches which help Bulgarian orphans or Roma people. So, if the new Law is accepted, this would mean that lots of Christian Foundations established by foreign Missions would be closed.” Interview dans Joel Forster, “Bulgarian evangelicals: “Testimonies of faith of brothers and sisters who suffered before us are still strong in our memories,”Evangelical Focus, 15 novembre 2018.

[6] Iva Mihailova, op. cit.

[7] Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Commission des questions politiques et de la démocratie, Rapporteur: Mme Doris Fiala (ALDE), « Évaluer les conséquence politiques du financement étranger

de l’Islam en Europe », Note introductive, AS/Pol (2018) 04, 19 janvier 2018, § 21 à 23.  

[8] Ibid., § 22.

[9] Cinquante-sept États ont adopté au Caire le 5 août 1990 une Déclaration des droits de l’homme en islam. Les droits et libertés énoncés sont « subordonnés aux dispositions de la Loi islamique » (art. 24), qui est « la seule source de référence pour interpréter ou clarifier tout article de cette Déclaration » (art. 25).

[10] CEDH, Alujer Fernandez et Caballero Garcia c. Espagne, n°53072/99, décision d’irrecevabilité, 14 juin 2001.

[11] Iva Mihailova, op. cit.

[12] Voir : Chiffres provenant du recensement de 2011.

[13] Iva Mihailova, op. cit.

[14] Voir, par exemple : CEDH, Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, n°45701/99, 13 décembre 2001, § 116; CEDH, Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres c. Autriche, n°40825/98, 31 juillet 2008, § 97; CEDH, Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres c. Hongrie, n°70945/11, 23611/12, 26998/12, 41150/12, 41155/12, 41463/12, 41553/12, 54977/12 et 56581/12, 8 avril 2014, § 76.

[15] CEDH, Magyar Keresztény Mennonita Egyház, op. cit., § 112.

[16] Voir : Chiffres provenant du recensement de 2011.

[17] CEDH, Magyar Keresztény Mennonita Egyház, op. cit., § 94.

[18] Ibid.

[19] Vlady Raichinov, “3,000 members required for a Bulgarian faith group to obtain judicial entity,” Evangelical Focus, 22 novembre 2018.

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