L’Azerbaïdjan exclu de l’APCE
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a acté la suspension de la délégation de l’Azerbaïdjan le 24 janvier 2024. Si le nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh a assurément été l’élément déclencheur d’une telle sanction, l’Azerbaïdjan prouve également de grands dysfonctionnements démocratiques et un manque de coopération criant.
Article paru dans Valeurs Actuelles le 2 février 2024. Photo: © Council of Europe / Candice Imbert, à des fins d'information et d'éducation concernant les travaux du Conseil de l'Europe. M. Ali Naghi oglu Naghiyev (Azerbaïdjan) & Marija Pejčinović Burić (CoE).
La délégation de l’Azerbaïdjan s’est vue contester la ratification de ses pouvoirs par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en ouverture de sa session de 2024, et ce jusqu’à nouvel ordre. Même si l’Azerbaïdjan reste membre à part entière du Conseil de l'Europe, c’est un signe encourageant pour le maintien de la crédibilité de l’Institution.
En effet, plus de 20 ans après son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan n’a toujours pas rempli les engagements majeurs en découlant. Face à la reprise par la force armée du Haut-Karabakh en septembre 2023 et le nettoyage ethnique de la quasi-totalité des 120 000 Arméniens, il était devenu impossible de tolérer davantage l’ignominie du régime d’Ilham Aliyev.
L’Azerbaïdjan est notoirement connu pour le non-respect des principes de la démocratie pluraliste et de l’État de droit ainsi que le non-respect des droits humains et des libertés fondamentales. L’Assemblée le dénonce sans détour dans sa résolution 2527 (2024) : « de très sérieuses inquiétudes subsistent quant à sa capacité à organiser des élections libres et équitables, à la séparation des pouvoirs, à la faiblesse du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif, à l'indépendance de la justice et au respect des droits humains ».
L’Assemblée s’interroge régulièrement sur le fonctionnement des institutions démocratiques de l’Azerbaïdjan. Dans sa résolution 2184 (2017), la liste de ses « préoccupations » donne le tournis : « contrôle présidentiel sur le ministère public », « allégations relatives au recours excessif à la détention provisoire », « application arbitraire de la législation pénale pour limiter la liberté d’expression », 120 arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme non exécutés ou partiellement en 2017 (285 en 2023), « mesures répressives visant des médias indépendants et des défenseurs de la liberté d’expression », « mécanisme de surveillance interne du ministère de l’Intérieur », « allégations de torture et de mauvais traitements », « lien entre le Gouvernement azerbaïdjanais et un système de blanchiment de capitaux à grande échelle, qui a fonctionné dans les années 2012 à 2014 et a notamment servi à influencer l’action de membres de l’Assemblée à l’égard de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan », « dysfonctionnements de la législation sur les ONG », « répression systématique des défenseurs des droits de l'homme, des médias et des personnes qui critiquent le gouvernement ».
Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) dénonce depuis 2017 la corruption azerbaïdjanaise, qui permet à Ilham Aliyev de maintenir son influence sur la scène internationale et jusqu’au cœur des Institutions européennes. Consciente du « système de ‘’lessiveuse azerbaïdjanaise’’, qui a transféré 2,9 milliards de dollars hors d'Azerbaïdjan », l’Assemblée ne savait que lui demander une « enquête complète et effective sur le blanchiment de capitaux » et une « enquête indépendante et impartiale sur les allégations de corruption des membres de l’Assemblée » (résolution 2279 (2019). Quel vœu bien pieu que de confier à un État corrupteur le soin d'enquêter sur sa propre corruption.
L’Europe, qui s’est par ailleurs aveuglément liée au gaz azéri en pensant sanctionner la Russie, a ainsi assisté sans bouger à la reprise progressive du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan. Suite à la guerre de 2020, l’Azerbaïdjan, aidé de la Turquie, reprend 75 % du territoire du Haut-Karabakh autonome. Les Arméniens gardent un droit de passage au niveau du corridor de Latchine mis sous le contrôle des forces de paix russes. La question du Haut-Karabakh demeure en suspens.
En décembre 2022, l’Azerbaïdjan instaure un blocus, affamant et privant de médicaments la population démunie du Haut-Karabakh. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe demande alors le 22 juin 2023 à l’Azerbaïdjan le rétablissement d’un accès libre et sûr par le corridor de Latchine, « frappée de constater que ses dirigeants ne prennent pas la mesure des conséquences très graves de la situation actuelle sur le plan humanitaire et des droits humains » (résolution 2508 (2023). C’est tout le contraire qui se produit, puisque le 19 septembre 2023 l’Azerbaïdjan donne le coup de grâce à la république autonome.
Le 12 octobre 2023, l’Assemblée « condamne fermement l’opération militaire », et reconnait un « exode tragique de presque toute une population de sa patrie ancestrale », donnant « lieu à des allégations et à des suspicions raisonnables de nettoyage ethnique » (résolution 2517 (2023). Surtout, l’Assemblée se dit prête à demander l’ouverture d’une procédure complémentaire conjointe pouvant déboucher sur la suspension de l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe, et à contester les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise à l’Assemblée lors de la première partie de sa session de 2024.
Le Centre européen pour le droit et la justice se réjouit de la suspension de la délégation azerbaïdjanaise de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, actée le 24 janvier 2024. Dans la même résolution 2527 (2024), l’Assemblée, outre le drame des Arméniens du Haut-Karabakh, « regrette vivement qu’elle n’ait pas été invitée à observer l’élection présidentielle à venir [le 7 février 2024] malgré l’obligation incombant à l’Azerbaïdjan d’adresser une invitation à cette fin, étant donné que le pays est sous la procédure de suivi ». L’ECLJ renouvelle son invitation à l’Assemblée de demander la suspension voire l’exclusion de l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe, comme elle s’était engagée à l’envisager.
SIGNATURES