Erdoğan : la dérive autoritaire turque
L’attitude du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, inquiète très légitimement depuis maintenant des années les chrétiens, les institutions européennes et plus largement toute personne attachée à l’État de droit.
L’ECLJ est intervenu à Genève, au Conseil des droits de l’homme lors de sa 45e session pour dénoncer ses derniers actes devant la représentation turque et celles des autres pays du monde (traduction ci-dessous) :
Nommé premier ministre en 2003, Recep Tayyip Erdoğan a modifié la Constitution et fait progressivement passer la Turquie d’un État démocratique à la dictature, particulièrement depuis le coup d’État de 2016 qui lui a permis d’affermir son pouvoir.
Le 23 octobre 2020, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe tient un débat d’urgence : « Nouvelle répression de l’opposition politique et de la dissidence civile en Turquie: il est urgent de sauvegarder les normes du Conseil de l’Europe ».
Lors de cette session d’automne 2020, l’Assemblée s’inquiète également des violations de « la liberté académique et de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur en Europe », et la Turquie est largement citée comme ‘‘un mauvais élève’’.
Pourtant, en septembre 2020, le Président de la Cour européenne des droits de l’homme, Robert Spano, a rendu une visite très critiquée en Turquie[1], rencontrant toutes les autorités officielles mais aucune ONG ni minorité. Il a même reçu un prix académique d’une Université d’Istanbul ayant purgé des centaines de professeurs.
Nous en parlions sur RCF en septembre : écouter l’émission ici.
L’ECLJ dénonce depuis plusieurs années le manque de réaction des institutions européennes face aux atteintes graves et répétées de la Turquie à l’État de droit. Il y a plusieurs années, la Turquie était déjà soupçonnée de corruption au Conseil de l’Europe tandis que le pays construisait une immense ambassade à Strasbourg, totalement surdimensionnée. Selon certaines sources ces bâtiments seraient en réalité utilisés comme antenne européenne par les services secrets turcs[2].
En matière religieuse, c’est la conversion de la célèbre basilique de Sainte-Sophie de Constantinople qui a marqué les esprits pendant l’été 2020. Cathédrale historique, elle avait été transformée en mosquée avant de devenir un musée au début du 20e siècle sous la présidence d'Atatürk, dans une volonté de lutte contre l’islamisme. En ouvrant ce lieu chrétien à la prière musulmane, le Président Erdoğan manifeste ses velléités d’islamisme.
Cette islamisation n’est pas un cas isolé. Quelques semaines plus tard, le Président a décidé qu’une autre ancienne église byzantine serait aussi transformée de musée en mosquée : Saint-Sauveur-in-Chora, à Istanbul[3].
Comme nous l’expliquons dans ce Mémorandum sur la liberté des chrétiens en Turquie, ces actes sont particulièrement dramatiques car beaucoup de chrétiens en Turquie n’ont pas de lieux de culte. L’administration turque leur fait toutes les difficultés possibles pour les empêcher de se rassembler en un lieu pour prier et de nombreuses églises ont été illégalement accaparées par le gouvernement. Le pasteur Brunson, que nous avons largement fait connaître au Parlement européen et à l’Assemblée du Conseil de l’Europe, a pu être libéré des prisons turques et avait pu témoigner l’année dernière devant les députés au Parlement européen de ces difficultés croissantes pour les chrétiens en Turquie (revoir son intervention en anglais ici).
Madame la Vice-présidente,
La liberté religieuse en Turquie se détériore de façon dramatique. Les chrétiens et les autres minorités religieuses continuent de diminuer tandis que les discriminations à leur encontre ne cessent pas.
L’ECLJ ne partage pas l’appréciation optimiste de la situation fournie par la délégation turque dans l’Examen périodique universel de la Turquie et adopté par ce Conseil des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne « la restitution des biens aux communautés religieuses » (§ 28).
En tant que contre-exemple historique, nous voulons dénoncer ici l’ordre du Président turc, M. Erdoğan, de convertir une église chrétienne historique de 15 siècles ayant le statut de musée en une mosquée islamique ouverte à la prière.
Pendant plus de neuf siècles, Sainte-Sophie a été la principale cathédrale orthodoxe orientale et le siège du patriarche œcuménique. De nombreux dirigeants mondiaux et religieux, y compris des groupes islamiques, ont critiqué à juste titre cette conversion pour ce qu’elle est : un déni de l’histoire et du patrimoine, pour la Turquie et le monde.
Un mois plus tard, le président Erdoğan a converti une autre ancienne église byzantine en une mosquée fonctionnelle, celle de Chora, à Istanbul.
Madame la Vice-présidente,
Ces tristes exemples illustrent le manque de respect de la Turquie pour les chrétiens et les autres minorités non musulmanes. Ce Conseil devrait rappeler fermement à la Turquie ses obligations de garantir la liberté religieuse, y compris la faculté légale de posséder et de créer des lieux de culte. Sinon, d’ici quelques décennies, il n’y aura plus aucune minorité religieuse en Turquie.
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[1] Marie Jégo, « Le juge européen Robert Spano à Istanbul, entre flagornerie et esquive », Le Monde, 9 septembre 2020.
[2] Anne Dastakian, « Strasbourg, cheval de Troie des réseaux d'Erdogan en France », Marianne, 17 octobre 2020.
[3] Cécile-Pierre Magnani, « À Istanbul, les dernières heures d’une ancienne église transformée en mosquée », La Croix, 16 septembre 2020.